Le 8 avril 2016, au Sénat, un débat a eu lieu, concernant l’offre de soins en milieu rural. Suite à mon intervention, une interview téléphonique a été réalisée pour le site Egora.FR. Cette interview a été publiée fin avril… Début de la polémique sur certains termes employés et , du coup, plaintes portées devant le Conseil de l’Ordre des médecins.
Voici le texte intégral qui a été publié (mais pas forcément de ce qui a été dit « formellement » et sans le contexte où cela a été dit…)
Médecin généraliste de profession, le sénateur écologiste Hervé Poher a des idées bien tranchées sur les conditions d’exercice de ses confrères. Il s’est ouvertement exprimé au Sénat sur le sujet, plaidant à coup de phrases chocs pour la suppression de la liberté d’installation. Il nous propose une explication de texte de ses propos.
Egora.fr : Vous dites : « Les primes à l’installation ne fonctionnent pas »…
Hervé Poher : C’est un sujet sur lequel on a beaucoup discuté depuis 20 ans. J’ai été conseiller général pendant 20 ans et vice-président chargé de la santé dans le Pas-de-Calais. On s’aperçoit que la prime à l’installation ne marche pas. Dans les territoires ruraux, cela ne sert à rien de donner une prime d’installation à des médecins puisque de toute façon ils savent qu’ils travailleront très facilement. Je ne fais que reprendre ce que j’ai lu dans des études publiées par les syndicats médicaux et l’assurance maladie qui disent que les incitations financières sont un échec.
Pensez-vous à d’autres incitations ?
Très honnêtement non. C’est pour cela que j’en arrive à dire qu’il faudra peut-être revoir la liberté d’installation. L’incitation financière au moment de l’installation, ça ne marche pas. Les contrats d’engagement de service public non plus. On paye les étudiants tous les mois et en retour, ils s’engagent à travailler sur une certaine durée dans des zones sous-dotées. C’est inefficace.
Vous dites : « Il faut des mesures profondes sans crainte de bousculer les corporatismes »…
Je suis médecin, ma femme est médecin, mon fils est médecin, ma belle-fille est médecin… Je suis dans le monde médical et je sais très bien qu’une fois qu’on est médecin, on défend son métier et surtout son tiroir-caisse. Je connais la mentalité médicale. On peut être un très bon médecin, mais il est clair que c’est un métier qui est, par définition, profondément individualiste. Les praticiens oublient certaines choses, certains devoirs et par-dessus tout que c’est un service public. Il est du devoir du législateur et du gouvernement de rappeler certains fondamentaux aux médecins, même si ça ne leur fait pas plaisir. Pourquoi le législateur et les gouvernements ont tant de problèmes avec les médecins ? Parce que les médecins sont des agents électoraux remarquables. Quand un médecin voit 30 à 40 familles dans la journée, électoralement, ça peut faire mal.
Vous avez dit : « La médecine est un service public, ce n’est pas qu’une boite à sous »…
Quand on écoute certains médecins ou les syndicalistes, on a l’impression que la médecine n’est qu’une boite à sous. Ils râlent sur le fait qu’ils font beaucoup d’heures. Je suis d’accord. J’ai été moi-même médecin en semi-rural et je travaillais entre 60 et 70 heures par semaine. Mais il y a une compensation. On gagne beaucoup d’argent. Lorsque l’on discute avec les médecins, ils disent qu’ils sont sous-payés et ils demandent une revalorisation du prix de l’acte. Moi je préférerais entendre les médecins dire « je me bats pour bien soigner les gens », ou « je me bats pour que les patients soient égaux face à la médecine ». Le problème c’est que le corps médical ne se rend pas compte de ce qu’il représente au niveau de la population. Ils ont un devoir de service public avant tout.
L’ennui c’est qu’il y a une déviance et une déformation de l’activité médicale qui fait que la médecine ne correspond plus à ce qu’elle était il y a 20, 30 ou 40 ans. Même le Conseil de l’Ordre reconnait qu’il y a de moins en moins de médecins qui veulent faire des gardes. Du coup, les urgences sont surchargées. Il y a une perte du sens initial de la médecine qui me semble flagrante.
Vous dites également : « Les médecins gagnent leur argent grâce à la sécurité sociale, l’Etat paye leurs études : on doit pouvoir les obliger à s’installer à tel ou tel endroit »…
Oui, c’est vrai. Je ne sais pas combien coûtent 8 ou 9 ans d’études médicales mais je le subodore. Cela vaut cher et il faut être clair, c’est la nation qui paye. J’ai dit cette phrase dans une discussion au Sénat lors de laquelle j’ai interpellé le président du Conseil de l’Ordre. A côté de lui, il y avait la présidente d’un syndicat de jeunes médecins qui m’a répondu : « On le rend bien puisqu’on travaille à l’hôpital. » J’ai aussi été externe. Le travail à l’hôpital n’équivaut pas au paiement de l’ensemble des études. En plus, ils sont déjà rémunérés ! Lorsque j’étais externe avec mon épouse, on gagnait 500 francs de l’époque par mois.
Il y a aussi une déviance des hôpitaux qui considèrent les étudiants en médecine comme des employés pas trop chers. Sans les étudiants en médecine, les hôpitaux auraient surement du mal à tourner. Mais il ne faut pas exagérer non plus. Il faut se rendre compte qu’une personne qui fait médecine parce qu’elle a envie d’exercer cet art et de servir la population, coûte cher et doit quelque chose à la nation.
Il ne faut non plus oublier que c’est la sécurité sociale qui paye les praticiens. Si les gens consomment facilement du médecin, c’est bien parce que la sécurité sociale a été inventée. Si on était dans un système comme aux Etats-Unis où il n’y a que des assurances et pas de sécurité sociale, les gens iraient moins chez le médecin, c’est évident. Le fait que l’on soit, en grande partie, remboursé fait que les gens n’ont pas peur d’aller chez le médecin. C’est aussi pour cela qu’en France on peut considérer que l’on est bien soigné. La médecine est l’un des pôles d’excellence de la France. Lorsque je me permets de dire des choses qui choquent un peu, c’est simplement pour que cela le reste. Pour que notre médecine d’excellence reste accessible à tous. Je souhaite que tout le monde soit à égalité devant la médecine. Or actuellement, c’est en train de dévier. Etant à la fois dans le milieu médical et législateur, je me permets de dire que l’évolution actuelle ne me convient pas.
Concrètement, que déplorez-vous ?
Mon fils est médecin urgentiste à l’hôpital. Ma femme travaille aussi à l’hôpital. Quand j’entends les queues qu’il y a aux urgences, cela me gêne. Quand j’entends aussi qu’on demande aux parents de venir en consultation quand ils ont un enfant qui a 40 de fièvre, je trouve cela impensable. C’est au médecin de se déplacer. Il y a sans doute une évolution de la médecine, mais il y a aussi une faute énorme de l’Etat. L’Etat n’a qu’un raisonnement financier. Son seul but, depuis des décennies, c’est de combler le trou de la sécurité sociale. Alors, il fait pression sur les médecins, leur demande de prescrire moins, de faire plus de consultations et moins de visites. L’Etat leur donne des primes sur objectifs. Tout cela me choque énormément. On fait de la médecine pour soigner les gens, pas pour combler le trou de la sécu. Ce n’est pas avec ce raisonnement là qu’on fait de la bonne médecine. Quand je vois tous les déremboursements de médicaments qui n’auraient « pas fait preuve de leur efficacité », je suis effrayé. J’ai exercé pendant 20 ans et pendant 20 ans, j’ai utilisé des médicaments qui étaient inefficaces. Il ne faut quand même pas exagérer.
Votre phrase la plus polémique est : « En tant que praticien, je ne peux que soutenir l’idée d’imposer au lobby des médecins la suppression de la liberté d’’installations »…
Lors de mon intervention au Sénat, il y a 15 jours, j’ai dit ce que je pensais sur les causes de ce problème de la désertification. Il y a l’accumulation du numerus clausus qui a été une connerie magistrale et qui est arrivé au mauvais moment, il y a défaut de formation des médecins… Avant un médecin généraliste était un omnipraticien. Maintenant, on apprend le minimum aux généralistes. On leur apprend surtout à faire le tri et à envoyer les patients chez les spécialistes. Il y a trop d’hospitalocentrisme. Enfin, le choix des médecins sur des critères scientifiques est une erreur. Pour être un bon médecin, il ne faut pas être un matheux mais il faut être humaniste. Tout cela il faut le changer, mais en attendant, il faut trouver des solutions.
La seule solution, c’est de dire aux médecins qu’ils continuent à pouvoir exercer un service libéral mais qu’il y a des endroits où ils n’auront plus le droit de s’installer. Si on instaurait ça, il faudrait le dire dès le début des études. Cela ne prendrait donc effet que dans 8 ou 10 ans. Les étudiants seraient au courant dès le départ de la règle du jeu. On ne pourrait pas asséner cette mesure à des étudiants qui terminent leurs études.Ca ne serait pas juste. On va trainer pendant 10 ans ce handicap mais c’est le seul moyen de venir à bout de la désertification. On l’a fait avec les pharmaciens et les infirmières, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas avec les médecins. C’est peut-être violent mais c’est la réalité. D’ailleurs, cette façon de faire n’est pas une atteinte à l’exercice libéral. Il y a un vrai problème de gestion de la démographie médicale. Quand on arrive à des stades comme ça, il faut que le législateur et le gouvernant prennent des décisions un peu violentes. On n’a pas le choix.