(Enregistrement de l'intervention)
Sénat, le 19/10/2016 : Débat sur l’eau
Quand on lit avec attention ces 2 rapports, rapports proposés par nos 3 collègues du Sénat, les Sénateurs Tandonnet, Lozach et Pointereau, rapports qui se complètent parfaitement d’ailleurs, on perçoit en filigrane les fondamentaux de la chaine décisionnelle, fondamentaux que vous connaissez tous: La loi, l’esprit de la loi, l’interprétation de la loi et l’application de la loi.
Et, dans le domaine de l’eau, la responsabilité de ces items est bien partagée entre l’Etat, l’Europe éventuellement, le législateur et les maitres d’ouvrage ; et, du coup, on assiste très logiquement à des peurs, des incompréhensions, des tensions, voire des conflits qu’ils soient d’usage ou administratifs.
Aussi permettez à un vieux militant de l’eau de formuler 3 ou 4 réflexions très ciblées :
Vieux militant parce que, lorsque j’étais en responsabilité… De l’eau, j’en avais partout… beaucoup en dessous et beaucoup au-dessus… Que toutes les lois, obligations et contraintes sur l’eau je les ai pratiquées, je les ai endurées et je les ai subies… Que les noms d’oiseaux attribués aux gens de la DIREN, puis de la DREAL ont longtemps émaillé mes relations avec l’état… C’est souvent la règle du jeu.
Et fort de cette expérience, certaines réflexions sont pour moi des évidences :
Première évidence : Dans le domaine de la gestion de l’eau, on ne peut pas vouloir une chose et son contraire.
C’est-à-dire qu’on ne peut pas vouloir une implication plus forte des collectivités locales et, en même temps, demander le transfert de la GEMAPI aux Agences de l’Eau ou à l’État.
La taxe GEMAPI est un outil financier de solidarité territoriale, outil que Nous avons réclamé, pendant des années ; Nous les acteurs locaux, protégeant les champs captants, subissant les inondations et assumant la gestion des polders. Mettre la gestion de la GEMAPI trop loin des acteurs locaux ou locorégionaux serait une ineptie.
Et puisque nous évoquons les financements, laissez-moi vous faire une suggestion : généralisons les contrats de ressource, ces quelques centimes ajoutés au prix du m3 d’eau potable et qui sont reversés intégralement à la collectivité qui fait des travaux de protection d’un champ captant.
Quelques centimes du m3 mais sur les millions de m3, ça peut aider au remboursement des emprunts. Et là, tous les consommateurs payent ; pas seulement ceux qui habitent au-dessus du champ captant où on va chercher l’eau potable.
Deuxième évidence : Les Agences de l’eau sont des partenaires indispensables pour les maitres d’ouvrages, partenaires techniques et partenaires financiers. Or les objectifs de la DCE ne sont pas irréalistes; Or les effets du changement climatique s’imposent à nous chaque jour; Or certaines régions ont accumulé les handicaps ; et, il faut bien l’avouer, il reste beaucoup et tant à faire.
C’est pourquoi, il n’est pas de bonne politique de ponctionner financièrement les Agences, pour alimenter le budget de l’Etat… sous prétexte que ces agences ont de bonnes trésoreries.
Ensuite, avouons-le : jouer les alchimistes en transformant une partie des taxes sur l’eau en impôts indirects, c’est financièrement très subtil mais c’est moralement indéfendable.
Alors qu’on modifie les compétences des Agences, oui ! Qu’on leur demande d’être encore plus offensives, oui ! Elles y sont prêtes et elles assumeront ! Mais pas de ponction systématique.
En plus, on peut le reconnaitre : bien gérer pour être finalement ponctionné, c’est quand même frustrant et c’est très démotivant.
Troisième évidence : la loi doit rester ambitieuse et les contraintes doivent nous obliger à faire.
Je sais qu’en disant cela, je risque de m’attirer les foudres de nombreux élus ou de certaines professions… Et j’ai moi-même beaucoup râlé mais tout le monde a le droit, dans le domaine de l’eau, d’avouer certains débordements…
Pourquoi cette recommandation ? Simplement parce que la pratique montre que l’eau fait rarement partie des urgences ; et que les priorités, pour des raisons politiques ou financières, sont souvent ailleurs ; qu’un tout-à-l’égout, ça coûte cher, que c’est bon pour la nature mais que ce n’est pas payant électoralement parce que ça ne se voit pas ; et que, pour beaucoup de gens, l’eau est un élément inépuisable et réparable. Ce qui, nous le savons tous, est entièrement faux.
Et si le gendarme législatif ou réglementaire n’était pas là pour rappeler à l’ordre, les choses seraient bien souvent remises à plus tard. Alors, dans le domaine de l’eau, le processus est clair : il faut transformer l’obligation en prise de conscience, la prise de conscience en devoir et le devoir simplement en réussite.
Quatrième et dernière évidence : Dans le domaine de l’eau, il n’est pas interdit d’être inventif et audacieux ; et, en plus, il est fortement recommandé d’avoir le sens pratique et de faire beaucoup de pédagogie.
Inventif sur l’aménagement du territoire et sur l’aménagement urbain ; Audacieux sur les nouvelles techniques et les nouvelles technologies pour se séparer de tous ces produits résiduels qui empoisonnent notre environnement avant de nous empoisonner, nous ; Pragmatique quant à l’usage des eaux usées ou des eaux de pluie. Et faire beaucoup de pédagogie parce que… Les gens auront toujours du mal à comprendre qu’on fasse des restrictions budgétaires sur tout, tout en dépensant des sommes colossales pour faire des passes à poissons… Réaction naturelle et compréhensible.
Alors, mes chers collègues. L’eau est un bien collectif et puisqu’il y a danger, puisqu’il y a urgence et que l’eau est malade, c’est bien collectivement que nous devons rédiger l’ordonnance. Et, très honnêtement, on lui doit bien cela !
HERVE POHER