Débat au Sénat sur le rapport entre les collectivités et l'Etat
Lorsqu’on doit intervenir sur un tel sujet, on a parfois du mal à trouver un point de vue imprégné d’objectivité, surtout quand on est ou quand on a été élu local. Personnellement, je dois avouer que j’ai beaucoup hésité pour un thème ; hésité entre « Us et coutumes du peuple des élus locaux » ou « Les aléas de la vie de couple ». Tout cela pour dire que les relations entre l’Etat et les élus locaux sont bien souvent complexes.
Et c’est bien normal car l’Etat a pris un malin plaisir à complexifier les choses en voulant mettre, dans un même creuset : La décentralisation, la déconcentration, la RGPP, l’obsession stérilisante des économies budgétaires et l’inconfort permanent des réformes territoriales. Tout cela mélangé, on perd un peu de lisibilité… Et les élus territoriaux, en particulier, ont horreur de ne pas voir clair.
Mais rassurez-vous, M ministre, je ne tomberai pas dans la critique facile car les relations entre les collectivités territoriales et l’Etat sont bien plus nuancées et bien plus complémentaires qu’il n’y parait.
« Us et coutumes du peuple des élus locaux », avec, trop fréquemment, une mauvaise habitude : on tape sur l’Etat… C’est bien pratique : « C’est l’Etat… C’est la loi… Ce n’est pas moi ! ». Nous avons tous, usé et abusé de cette façon de faire.
Mais c’est normal : nous, les élus, nous passons régulièrement à la toise électorale ; Alors, quand les choses vont bien, on en tire les bénéfices ; par contre, quand l’ambiance est orageuse, on cherche un vilain coupable… Et l’Etat, c’est quand même bien pratique.
Heureusement, nous avons bien souvent en face de nous des Préfets et des sous-préfets qui ont le sens du devoir et le sens de l’Etat… Mâtinés d’un peu de diplomatie, ce qui ne gâche rien. Bref, un corps préfectoral de haut niveau.
Mais l’important, avant de féliciter ou de critiquer l’Etat, c’est de savoir ce qu’on attend de lui, dans un pays décentralisé ; dans un pays où les collectivités territoriales ont, au fil des réformes, de plus en plus de compétences ; dans un pays où le cerveau est bien souvent « anar » mais où le cœur reste étrangement jacobin.
Et le rôle de l’Etat dans sa composante déconcentré est triple. Il doit être : Commandeur, conseiller et complice.
Commandeur parce que c’est lui le gardien de la loi ; conseiller parce que nul n’est plus adapté que l’Etat pour aider à l’application de cette loi ; complice enfin car, bien souvent, l’alliance entre les représentants de l’Etat et ceux des collectivités permet de trouver une intelligence pratique ou une pratique intelligente de cette loi.
Mais cet exercice si difficile a, quand même ses limites : limite quand « l’obsession budgétaire » nous conduit à des sous-effectifs très handicapants pour « l’image » et l’efficacité de l’Etat.
J’ai cru voir, dans un texte se rapportant à la diminution des effectifs, qu’on remplaçait « la quantité par la qualité »… Je veux bien mais même avec beaucoup de qualités, l’être humain a ses limites... Alors, pour telle ou telle raison, réduire les effectifs, soit ; mais entre le soi-disant trop-plein et la disette, il y a un juste milieu…
Autre remarque. On peut aussi, pour alléger la charge de l’Etat, faire des transferts de compétences… A condition, bien entendu, de faire aussi un transfert de moyens… Financiers en particulier. Et qu’on ne vienne pas nous dire, après des transferts de compétences, que les collectivités ont trop embauché. Je n’ai jamais vu une collectivité embaucher pour le plaisir de dépenser des sous.
Avec un bémol toutefois. Le transfert de compétences a ses limites. Limites financières, limites administratives et, il faut bien l’avouer, certaines limites politiques, politique au sens « gestion de la ville ». Personne ne peut nier que parfois, je dis bien parfois, le poujadisme local ou l’électoralisme peuvent nuire au message et à la finalité de la loi. C’est pourquoi le rôle de l’Etat neutre, indépendant mais gardien de certains principes et présent sur le terrain est essentiel.
Le rapport d’information présenté par nos collègues La Sénatrice Pérol-Dumont et le Sénateur Doligé est très parlant sur les questions, les incertitudes, les frustrations, voire l’exaspération (sic) des élus locaux, dans leur rapport avec l’Etat. Et les 35 propositions sont basées sur le bon sens, sur l’écoute et sur l’expérience du terrain. Et ça, c’est essentiel.
Avec, quand même, des choses qu’il faudra nuancer. Un seul exemple : la durée d’affectation pour les préfets… Je suis d’un département, le Pas-de-Calais, où les représentants de l’Etat sont souvent mis à dure épreuve, souvent chahutés par les événements dès leur arrivée et où les temps-morts sont rarissimes.
C’est sans doute très formateur mais c’est aussi très fatigant. Et tous les départements ou tous les arrondissements n’ont pas le même potentiel d’adrénaline.
Mais indéniablement, ces propositions répondent à cette dualité qui taraude en permanence les élus… Assurer pleinement la libre administration de la collectivité tout en étant partenaire d’un Etat qui fait, naturellement, pour plein de raisons, partie de notre environnement et encore de nos réflexes.
Une dernière remarque : Faisons attention en parlant du le tout-numérique ! Big Data a beaucoup de mémoire, d’intelligence et de rapidité, certes, mais il manque singulièrement de sentiments et rien n’interdit, dans notre société, que les structures dirigeantes et administratives aient un peu d’humanité.
Cela dit, merci à nos collègues pour ce rapport d’information. Il rappelle simplement que l’Etat et les collectivités locales ont le même devoir et le même objectif : le service public et le développement dans une certaine idée de la république.
Hervé Poher