Je devais offrir le tome II des Contes de Grand-père à tous mes petits-enfants, en juin prochain. Mais tout le monde est confiné et les journées peuvent paraitre longues. Alors, je mets les histoires en ligne. Ça leur fera passer un peu de temps… Bisous aux 9.
Papy Guînes
Grocube, le robot de Totor
Conte pour Victor
Pomerols, 9 heures du matin.
« Y’en a marre ! Ce n’est pas possible ! Nico… C’est toi qui a vidé le lave-vaisselle ? Où as-tu encore rangé la passoire ? ».
Marie était en furie. C’est la troisième passoire qu’elle perdait depuis un mois. Avant cela, elle avait égaré 2 écumoires, 1 poêle à omelette, une casserole, 5 couteaux, 7 fourchettes et 4 cuillères. Tout disparaissait dans la maison et elle était incapable de remettre la main dessus. Au début, elle avait pensé que Nico lui faisait une blague et cachait les ustensiles de cuisine pour la faire râler. Elle avait donc décidé de le punir : elle n’achetait plus de pain…
Mais au bout de 15 jours, alors que Nico était en train de maigrir et de dépérir, force était de reconnaitre que les objets continuaient à disparaitre et que Nico n’y était pour rien.
Elle avait fouillé la maison, vidé les armoires, regardé sous les lits… Rien du tout ; pas de passoire… Les fourchettes s’étaient envolées et la casserole s’était, apparemment volatilisée. Ce que ne savait pas Marie, c’est que le coupable, le voleur de passoires et le kidnappeur de fourchettes, c’était son fils, Victor dit « Totor le Butor ». Car figurez-vous que Totor avait décidé de construire, derrière le garage, un homme en métal… Avec une casserole pour faire la tête, des passoires pour faire le corps et des fourchettes en guise de bras et de jambes.
Un drôle de bonhomme mais un bonhomme quand même. Et régulièrement, quand il trouvait un petit morceau de métal, une visse ou un clou, Totor le rajoutait à sa réalisation. Il avait décidé d’appeler son bonhomme Grocube car il trouvait que ce nom-là était imposant et pouvait faire peur à ses ennemis.
Au bout de quelques semaines, Totor considéra que son œuvre était terminée. Bien sûr, Groscube avait une allure bizarre mais, de loin, il ressemblait à un homme… Petit certes mais un homme quand même. Il décida de révéler son secret et de montrer sa belle réalisation à sa grande copine Alfreda
Alfreda était une petite fille fort mignonne et fort gentille et elle était dans la même classe que Totor. Mais un jour que tous les enfants chahutaient dans la cour de l’école, Alfreda était tombée et s’était blessée au genou. Depuis cet accident, les copains de l’école l’appelaient, pour l’embêter, « Alfreda à la jambe de bois ». Mais, malgré ces moqueries, Victor était resté son grand copain… On disait même que c’était son amoureux. D’ailleurs, ils avaient, tous les deux, des rituels que seuls des amoureux pouvaient appliquer : A la récréation, Alfreda grattait le dos de Totor avec un balai brosse et lui, tous les jours, lui nettoyait les oreilles avec sa langue. En résumé, ils étaient fort amis pour ne pas dire plus !!!
Quand elle vit Groscube, Alfreda fut impressionnée. « Qu’il est beau s’écria-t-elle. On dirait un vrai robot. Comment marche-t-il » Et là, Victor fut bien embêté… Car Groscube avait l’air d’un robot ou même d’un homme mais il ne marchait pas, ne parlait pas et il n’était, en fait qu’un gros tas de ferraille. « Pour l’instant, il ne marche pas encore mais ça va venir. Quand je l’aurai totalement terminé, il fera tout comme toi et moi. » « Dépêche-toi de le finir. J’ai hâte d’aller me promener avec lui. » Victor, qui était un peu jaloux, regarda Alfreda en faisant une grimace. « Comment ça ! Aller promener avec lui… Et moi alors ? Il s’appelle peut-être Groscube, mais ce n’est qu’un gros tas de ferraille !». Malgré ce petit accès de mauvaise humeur dû à la jalousie, il décida de se remettre au travail mais, il faut bien l’avouer, il ne savait pas comment faire. Comment faire vivre un bonhomme fait de casserole, de passoires et de fourchettes ?
Il décida d’aller demander conseil à Monsieur Pladechou, le nouvel instituteur qui venait d’arriver de Belgique, de Bruxelles exactement.
Après l’avoir écouté, Monsieur Pladechou s’écria : « C’est étonnant, une fois. Faire un robot avec des passoires… C’est plutôt rigolo, une fois. Mais le rendre vivant, ça, c’est une autre paire de bottes. » « Une autre paire de manches, rectifia Victor » « Non, tedieu, en Belgique on dit autre paire de bottes… Une fois. » Après avoir réfléchi 3 minutes et 26 secondes, l’instituteur annonça : « Il y a peut-être quelqu’un qui pourrait t’aider, une fois. J’ai lu, dans la gazette de Pomerols, qu’il y avait un mage à Clermont-l’Hérault et qu’il faisait des choses fantastiques. On va aller le voir, une fois. »
Ni une, ni deux. L’instituteur téléphona à Marie pour lui dire que Victor avait très mal travaillé aujourd’hui et qu’il proposait de le garder à l’école, un peu plus tard pour le punir mais surtout pour essayer de rattraper le travail non-fait. Marie n’était pas contente certes mais elle accepta cette proposition.
Monsieur Pladechou sortit son scooter. Il n’avait pas de voiture… Il n’avait même pas le permis de conduire. « Avec mon engin, on va aller voir le mage à Clermont l’Hérault, une fois. Monte derrière moi, Victor. »
« Mais pour aller là-bas, il faut que je prenne Groscube » fit remarquer le petit garçon. » Et avant de se lancer sur la route de Clermont-l’Hérault, ils passèrent d’abord chez Monsieur Cléhamolette, le garagiste de Pomerols pour qu’il installe, derrière le scooter, une petite cariole. Puis ils firent un saut jusque chez Alfreda à la jambe de bois, car c’est là que Totor avait caché son robot. Ensuite, en route pour la grande aventure… En route pour Clermont l’Hérault.
Arrivés là-haut, ils trouvèrent très rapidement la maison de Maitre Comuni, mage déclaré, réputé et mondialement connu. Après avoir débarqué Groscube et expliqué leur problème, les deux comparses écoutèrent le mage qui leur dit : « J’ai deux choses à dire. Primo : Toi, le grand, arrête de dire sans arrêt « une fois »… C’est énervant et ça ne veut rien dire. Compris ? » « Oui, une fois » répondit Monsieur Pladechou de Bruxelles. « Quant à toi, petit, il faut que je t’explique certaines choses… Tu veux que ton robot devienne un homme mais on ne devient pas un homme comme cela ; il faut plein de choses, plein de bonnes circonstances, plein de sentiments… Car un homme, ce n’est pas uniquement des muscles et des os… »
Victor était troublé car il ne comprenait pas tout ce que disait le vieux mage.
« Tout d’abord, pour que ta machine devienne un homme, tu vas lui donner une ombre. » « Mais il a une ombre ! » répondit Totor. « Non, son ombre est pleine de trous… C’est normal, les passoires, c’est plein de trous. Alors, pour qu’il ait une véritable ombre, belle et uniforme, tu vas aller voir Maitre Clairobscur , c’est un marchand d’ombres ; il en a de toutes les formes et de toutes les tailles. Ensuite, tu prendras rendez-vous avec Maitre Beaumatin. Lui, c’est un vendeur de rêves… Car on n’est pas vivant si on ne rêve pas. Et pour terminer, tu iras voir Maitre Jolicoeur. C’est le grand maitre des bisous. Il apprendra à Grocube à faire des bisous : des gros, des petits, des mouillés, des baveux… Tous les bisous du monde… Et mes trois collègues habitent tous dans le même château, au-dessus du lac de Salagou. Va les voir de ma part. Je suis sûr qu’avec une ombre, des rêves et un cœur plein de bisous, ton Groscube pourra devenir un homme. D’ailleurs, je vais vous accompagner.» Et voilà nos trois compères en route pour le lac de Salagou.
Les trois maitres étaient justement en train de déjeuner. Après avoir entendu les explications de maitre Comuni, celles de Totor et de monsieur Pladechou, ils décidèrent de passer dans la salle d’opération, qui était, en fait, leur salle à manger. Ils firent sortir Totor et son instituteur et se mirent au travail.
Au bout de 2 heures, ils ressortirent… l’air catastrophé. « Que se passe-t-il, s’écria Totor, ça s’est mal passé ? Pourquoi avez-vous l’air si tristes ? » C’est Maitre Clairobscur qui parla en premier : « Jeune homme, nous avons un problème » « Un gros problème » rajouta Maitre Beaumatin, « Un gigantesque problème » compléta Maitre Jolicoeur. Après un moment de silence terriblement long, ils ajoutèrent tous les trois ensembles : « On ne peut pas donner vie à ton robot… Car il n’a pas de nombril ! … Et on ne peut pas naitre ou être né si on n’a pas de nombril. » Totor était désespéré : il avait pensé à tout sauf à faire un nombril à Groscube. Devant la tristesse de Totor, Monsieur Pladechou s’écria « Ce n’est pas grave, une fois ! On va lui en faire un de nombril : avec une perceuse et un écrou… On va y arriver, une fois. »
A ce moment-là, Maitre Comuni s’approcha de Totor et lui glissa dans l’oreille : « Petit garçon, pourquoi veux-tu donner la vie à ton robot ? Il ne t’a rien demandé, lui. Il est peut-être heureux comme il est ; il est peut-être content d’avoir une ombre pleine de trous : ça fait original. De plus, il est peut-être content de ne pas faire de rêves… Comme cela il ne fait jamais de cauchemars. Enfin, s’il ne sait pas faire de bisous, peut-être qu’il aime bien en recevoir… Et toi et Alfreda, vous savez en donner, des bisous. Alors petit garçon, laisse ton robot n’être qu’un robot, il est peut-être heureux comme ça. Et laisse simplement les humains et les animaux tout seuls à avoir des ombres, des rêves et à faire des bisous. Pouvoir faire tout cela, c’est un grand privilège, c’est une grande force et c’est ça qui fait la différence entre l’homme et la machine. » Les 3 mages et monsieur Pladechou opinaient de la tête, montrant par là qu’ils étaient d’accord.
« Vous avez sans doute raison avoua tristement Totor. Je vais démonter Groscube et je vais rendre les ustensiles à Maman ». « Surtout pas » s’écria monsieur Pladechou « Que tu ne puisses pas donner de la vie à Totor, soit ! mais Totor, c’est ton idée, c’est ton œuvre et c’est ton secret… Une fois. Et tout cela fait que Totor ne peut plus disparaitre… Il fait partie de ta vie et il fait partie de toi maintenant. »
Les mages trouvèrent que monsieur l’instituteur parlait très bien et Totor, après quelques instants de réflexion ajouta « OK , Je vais garder Totor comme il est mais je vais devoir le cacher sinon ma mère va me traiter de fada… "
Ainsi fut fait. Monsieur Pladechou, Totor et Groscube retournèrent à Pomerols. Monsieur Pladechou décida d’aller trouver Nico et de lui raconter cette incroyable aventure. Nico, après un moment d’énervement et quelques remontrances à Totor, car c’était lui qui avait été accusé par Marie, accepta d’entreposer Groscube dans l’entrepôt, loin de la maison, de telle façon que Marie ne le voit pas.
Et c’est ainsi que Groscube prit résidence dans l’entrepôt. Totor et Alfreda venaient le voir presque tous les jours ; les ouvriers de Nico venaient le saluer tous les matins et lui faisaient une petite tape sur la tête et Nico, lui donnait régulièrement un petit coup de burette à huile pour qu’il ne rouille pas.
Quant à Monsieur Pladechou, il fit, à partir de ce jour, une leçon à ses élèves, une leçon bien spéciale : leçon où il disait que pour faire un homme, un vrai, il fallait, certes, des os, de la chair et des nerfs, mais il fallait surtout une ombre, des rêves, des idées, des œuvres et surtout des secrets. Et ça, ça plaisait à tout le monde… Une fois.
NE CHERCHEZ PAS LE
ROBOT SANS NOMBRIL
IL N’EXISTE QUE DANS NOS CŒURS…
Fin de l’histoire
Papy Guînes