Je devais offrir le tome II des Contes de Grand-père à tous mes petits-enfants, en juin prochain. Mais tout le monde est confiné et les journées peuvent paraitre longues. Alors, je mets les histoires en ligne. Ça leur fera passer un peu de temps… Bisous aux 9.
Papy Guînes
La folle épopée
du grand chef
qui s’appelait
Paul Méchant Prout
Histoire pour Paul
Et nous voilà revenu au Pays des gens bizarres… Vous savez, ce pays où les gens bizarres habitent dans des endroits bizarres et portent des noms bizarres. Et dans ce pays des gens bizarres, il y avait une tribu d’indigènes qui était encore plus bizarres que les autres habitants bizarres du Pays des gens bizarres : c’était la tribu des Vieux Croutons qui râlent. Ils avaient leur propre langue, leur propre calendrier, leur propre façon de compter… Bref, ils étaient vraiment bizarres.
Et aujourd’hui, nous allons vous raconter l’aventure de ce grand chef, chef qui a marqué l’histoire universelle, chef qui s’appelait « Paul Méchant Prout ». Drôle de nom me direz-vous mais nom qui reflétait, hélas, la réalité : Jour et nuit, il faisait des prouts, des tas de prouts, des milliers de prouts, des millions de prouts et, du coup, autour de lui, ça ne sentait pas très bon. Ce qui, au fil des ans, avait permis de raffermir son autorité car personne n’osait l’approcher de trop près… A cause de l’odeur. Et tout le monde disait « Autour de lui, ça sent le chef ! » … Evidemment, pour des raisons pratiques, les gens l’appelaient PMP.
Il était donc le chef de la tribu des Vieux Croutons qui râlent. Son père s’appelait Grolion et sa mère Cérumen endiablé. Et il avait un frère, Rototo mouillé et deux sœurs, Grokako Pustuleux et Grosse Moumoule parapide, deux jolies demoiselles par ailleurs.
Un jour de décembre de l’afordun 2560 (traduction : année 2560) avant le Chronos, jour où le thermomètre était descendu à moins 60 droméres (traduction : 60 degrés), Grolion décida d’aller chasser le morbusson (sorte de bison à 6 pattes). Il n’y avait plus de viande dans la réserve et l’hiver risquait d’être rude.
Les morbussons vivaient au nord de la contrée du Zoubirakan, à quelques 120 goutrils (traduction : distance égale à 1,235 kilomètre) du village. Grolion était parti très tôt le matin et avait emporté un arc, des flèches, un futouble (traduction : futouble) et plusieurs décogaques, ce qui pourraient être très utiles car le morbusson est un animal très rapide. Cérumen endiablé n’était pas très rassurée de voir son mari partir si loin mais c’était toujours difficile de l’empêcher de faire ce qu’il avait décidé de faire. En plus, les réserves de nourriture étaient au plus bas.
Le soir venu, après 56 kimertans (traduction : heures) d’attente, Grosse Moumoule parapide, qui tenait compagnie à Cérumen endiablé, commença à s’inquiéter. Même en ayant parcouru 240 goutrils aller-retour pour atteindre et revenir du pays des morbussons, son père aurait dû être rentré. L’inquiétude gagnait et l’angoisse montait. Vers 85 kimertans, elle décida d’aller alerter son frère Paul Méchant Prout. Même quand il partait chasser au loin, Grolion ne restait jamais absent aussi longtemps.
Après avoir écouté sa sœur, PMP sut, tout de suite, que la situation était grave et que son père avait été surement victime soit d’un accident, soit d’un enlèvement. La seconde hypothèse était la plus plausible : la tribu des Vieux Croutons qui râlent était en guerre depuis des aforduns (traduction : des siècles) avec la tribu des Sauciflards qui crient, tribu qui ne respectait rien et qui osait contester le pouvoir de PMP. Et cette guerre durait depuis des générations et était, il faut le reconnaitre, sans mercis.
PMP décida de convoquer son gouvernement en urgence : le ministre des confitures, le ministre des pommes de pin, la ministresse des poules et canards et enfin, le grand chambellan du Camenbert, responsable en chef des armées d’attaque…
Car au pays des Vieux Croutons qui râlent, il y avait des armées d’attaque et des armées de défense et toutes ces armées étaient équipées de façon différente : des frondes et des décogaques pour l’attaque, des arcs, des futoubles et surtout des robitamerts (traduction : robitamerts) pour la défense. Après deux kimertans de réunion, il fut décidé d’envoyer les meilleurs éclaireurs afin de retrouver Grolion ; deux venaient des armées de défense, deux étaient issus des armées d’attaque. PMP se joindrait à eux : c’était un minimum car c’était lui le chef et, en plus, Grolion était son père.
Dans la tribu des Sauciflards qui crient, on ne se doutait pas des préparatifs guerriers des Vieux Croutons qui râlent. D’ailleurs, ils faisaient la fête : ils fêtaient la capture de Grolion… Capture qui n’était pas prévue d’ailleurs.
En effet, 10 kimertans avant, les deux chasseurs Saucissonsec et Saucissonàlail avait découvert, à quelques goutrils du camp, un sauvage, pétrifié de froid, avec des glaçons tombant de son nez et de ses oreilles, ne pouvant plus bouger et comme transformé en statue. Il avait dû être surpris par une brusque baisse de la température. En effet, une dépression venue du Foubienlekan avait fait baisser la température jusque moins 280 dromères, ce qu’on n’avait pas vu depuis des aforduns. C’était probablement de début du changement climatique. Les deux chasseurs avaient trouvé un contravert (sorte de brouette) à trois roues, avaient chargé l’inconnu changé en statue et l’avaient ramené au camp.
Mais là, Saucissondesardennes, le chef, avait, de suite reconnu, Grolion, le père de Paul Méchant Prout. Et, après avoir réuni tout le peuple sur la place du village, Saucissondesardennes avait déclamé : « Ah, Ah ! Oh Oh ! Peuple vénéré. J’ai une grande nouvelle à faire. Nous avons capturé un de nos ennemis ! Et pas n’importe lequel : Grolion, le père de PMP, PMP le fourbe, PMP le vaurien, PMP l’affreux » Et d’un seul coup, Saucissondesardennes s’écroula par terre et fit des soubresauts en criant « Je le hais ! je le hais ! Je le hais ! ». C’est sûr, Saucissondesardennes n’aimait pas beaucoup PMP.
Après cinq minutes de convulsions, Saucissondesardennes reprit ses esprits, se releva et ajouta : « Nous allons pouvoir enfin faire souffrir cet abominable PMP en faisant souffrir son abominable père : nous allons l’obliger à faire caca debout, à manger des crottes de nez et à sucer les pieds d’un forgubalon (espèce d’hippopotame) mal lavé.
Mais nous allons d’abord fêter cette formidable capture en faisant, tous ensemble, la danse sacrée et en buvant du quoguardefan. Et à la fin, nous mettrons des valibagoux (fourmis géantes) dans la culotte de Grolion et nous regarderons la nature faire son œuvre. »
A la perspective de danser, de boire du quoguardefan jusqu’à l’ivresse et d’imaginer les valibagoux en train de grimper sur Grolion, le peuple rentra en transe. Et ils se mirent à danser, danser encore, danser toujours… Et boire, boire encore et boire plus. Si bien qu’au bout de quelques kimertons, toute la tribu des Sauciflards était saoûle : hommes, femmes, enfants… Et même les chiens… Tout le monde était ivre mort !!!
Pendant ce temps-là, PMP et les 4 guerriers s’approchaient du camp des Sauciflards. Arrivés à destination, ils s’allongèrent sur la crête d’une colline pour observer les faits et gestes des membres de la tribu des Sauciflards qui crient. Tout de suite, ils s’aperçurent que leurs ennemis mortels avaient bu un peu trop de quoguardefan. Précision : le quogardefan est une boisson universelle qu’on peut trouver sous différentes versions, blonde, brune, ambré, triple, sans alcool… Bref, ça ressemble à de la bière mais ce n’est pas de la bière ; c’est meilleur que la bière !
PMP prit son courage à deux pieds, car ses deux mains étaient déjà pleines. Il dit à ses hommes de charger deux contraverts de foin, d’y mettre le feu et de les envoyer vers le village. Cela pourrait créer une diversion. Et PMP aurait peut-être le temps d’aller délivrer Grolion.
Dans un premier temps, tout se déroula comme prévu : les deux contraverts en flamme avaient créé la panique dans le camp et les membres de la tribu étaient tellement saouls qu’au lieu d’arroser l’incendie avec de l’eau, ils l’arrosaient avec du quogardefan qui, comme tout le monde le sait, est une boisson très riche en alcool… Si bien que, plus ils arrosaient, plus l’incendie s’amplifiait. Et pendant ce temps, PMP et ses guerriers avaient trouvé la cabane où était enfermé Grolion.
Mais au moment de le libérer de ses dorméfacts (traduction : chaines), Saucissondesardennes fit irruption dans la cabane « Je m’en doutais, s’écria-t-il. Paul Méchant Prout, tu as tous les vices. Tu es un voyou, une crapule, un lâche… » Mais Saucissondesardennes avait dit un mot de trop : on pouvait critiquer PMP, le traiter de tous les noms mais on n’avait pas le droit de le traiter de lâche car PMP était très courageux… Tout le monde le savait. « Si c’est comme ça, je te défie en duel et celui qui gagnera pourra décider de l’avenir de Grolion. »
Sachant que la tribu était trop saoule pour pouvoir faire une bataille en bon et due forme, le duel s’imposait. « D’accord, répondit Saucissondesardennes mais c’est moi qui fixe les règles du duel. » « Et quelles sont les règles ? demanda PMP. » « La première manche sera une bataille d’injures ; la deuxième, une bataille de trogardiflette et la dernière sera le supplice du fermier hindou ».
Précision : le supplice hindou consistait à enfoncer des haricots verts dans les narines de son adversaire jusqu’à temps que celui-ci étouffe. Pourquoi s’appelait-il supplice du fermier hindou ? Personne ne le sait… d’autant qu’il n’y a pas de haricots verts chez les hindous. Seconde précision : la trogardiflette est une sorte de ragout, mijoté durant 24 heures et on y met des morceaux de forbugalon, des sarbolimans et une pincée de colcopriffe. C’est un plat adoré par la tribu des Sauciflards qui crient.
Les règles étant fixées, tout le monde se retrouva sur la place du village ; un ring fut construit avec quelques planches de bois. Puis, d’un côté s’assirent les quatre guerriers, de l’autre l’ensemble de la tribu qui était, avouons-le, encore en train de cuver son alcool. Saucissonentranche , parce qu’il était le plus âgé de la tribu, fut désigné comme arbitre. « Que le combat commence. Première manche : les injures. » « Espèce de forbugalon reniflard » ; « Va-t’en grosse troufinette à ressorts » ; « Je te vomis, valabagoux sans oreilles » ; « Et toi, résidu de zerbophyle crasseux » … Les injures pleuvaient, la tension montait et les spectateurs étaient époustouflés par la dureté des mots. Finalement, Saucissondesardennes cria « Espèce de laborgiton crotté ! ». Toute la foule se leva pour applaudir cette injure magistrale et, du coup, Saucissondesardennes fut déclaré vainqueur de la première manche.
Deuxième manche. Les morceaux de viande volaient dans tous les sens : et vlan, un morceau dans l’œil, paff un autre sur le nez, crac un troisième en plein milieu du front. Le combat était terrible et les deux adversaires s’envoyaient des morceaux de trogardiflette sans retenue et avec violence. Presque à bout de force, PMP prit, de désespoir, une louche et envoya une bonne quantité de sauce à la figure de Saucissondesardennes. Celui-ci s’effondra presque étouffé. PMP fut déclaré vainqueur de la deuxième manche. Tout allait se jouer dans la troisième…
La tension était extrême, le silence était intense, la sueur coulait sur les visages et on aurait pu entendre voler des valibagoux. Mais les valibagoux ne volaient pas. Troisième manche : le supplice du fermier hindou. Chacun des combattants avait devant lui un énorme tas de haricots verts et, chacun à son tour, enfonçait un haricot dans le nez de l’autre.
PMP avait un avantage sur son adversaire : il avait un grand et gros nez, si bien qu’il avait des narines beaucoup plus grandes que celles de Saucissondesardennes. Très rapidement, celui-ci fut à bout de souffle alors que PMP avait, quant à lui, déjà emmagasiné trois sougerifols (environ 3,564 kilogrammes) dans ses narines. A contre-cœur, Saucissonentranche déclara : « Après ce combat sans pitié mais selon les règles du pays, je déclare PMP grand vainqueur. »
Tous les membres de la tribu des Sauciflards qui crient étaient catastrophés. Non seulement ils avaient mal au crane parce qu’ils avaient trop bu mais, en plus, ils avaient mal au cœur parce qu’ils venaient de se rendre compte que leur chef avait des petites narines… Or les grands chefs ont toujours des grandes narines et, même, des grandes oreilles.
PMP, ses guerriers et Grolion étaient repartis libres et très fiers d’avoir été, une fois de plus, les meilleurs. Quand ils arrivèrent au village des Vieux croutons qui râlent, Cérumen endiablé et Grosse Moumoule Parapide se mirent à chanter pendant que Rototo Mouillé entamait, avec les autres membres de la tribu une danse de joie autour d’un feu géant.
Mais, au Pays des gens bizarres, tout le monde connait la fantastique, la merveilleuse et l’incroyable épopée de Paul Méchant Prout qui a libéré son père en asphyxiant le vilain Saucissondesardennes.
Surtout ne cherchez pas
un chef aux grandes narines,
Il n’existe que dans nos cœurs…
Fin de l'histoire
Papy Guînes