« Mathilde était Marquise et férue de culture
Mais face au roi Soleil, la partie fut bien dure. »
Pièce n°4 pour confinés : « De l’utilité d’être incompréhensible. »
LE NARRATEUR :
L’année mille six cent soixante-cinq, à Paris.
Louis, le quatorzième, roi des plus érudit,
Décide de créer un très grand festival.
Et une pauvre Marquise se croyait impartiale… !
LOUIS XIV :
Bonjour, je suis le roi, le maître des merveilles.
On m’appelle Majesté ; certains me nomment Soleil.
Ma modestie en souffre, mais je suis conciliant.
Et ce titre un peu fort …… Ca fait plaisir aux gens.
Je suis un vrai esthète, aimant tous les beaux-arts,
La musique, le théâtre et même le billard.
Mon siècle sera connu, comme celui des artistes.
Et c’est modestement que je vous y invite.
MATHILDE :
Majesté, me voilà !
LOUIS XIV :
…………………..C’est pas trop tôt, Marquise !
MATHILDE :
Majesté, circuler dans Paris à sa guise
N’est pas chose facile. Tous ces embouteillages
Nous compliquent la vie. Voyez, je suis en nage !
LOUIS XIV :
Oui, je sais, chère Marquise, car un grand roi sait tout.
Pourtant, c’est les vacances ; on est en plein mois d’Août.
Nos très chers parisiens sont partis dans les champs
Pour voir les provinciaux et nourrir les manants.
MATHILDE :
Mais c’est là, justement que se pose un problème !
J’en parlais, tout à l’heure avec Madame la Reine.
Les parisiens ont tous besoin de s’aérer ;
Notre ville est fort sale et bien trop polluée.
Ils partent donc en carrosse, en voiture ou à pieds.
Et pour tous ceux qui restent, la ville est libérée.
LOUIS XIV :
Ah ! Paris libéré !
MATHILDE :
……………..Mais pas pour cette année !
En effet, Majesté, vous avez eu l’idée
De faire un festival pour tous les comédiens.
Et l’objectif visé est largement atteint !
La plupart des théâtres jouent à guichet fermé.
Eh bien, figurez-vous, je vais vous étonner !
Car tous les spectateurs nous viennent de la province.
LOUIS XIV :
C’est pas bien ?
MATHILDE : :
…………….Si ! Pour nous le profit n’est pas mince !
Mais comme les provinciaux sont arrivés en vague,
La ville est asphyxiée par des embouteillages.
LOUIS XIV :
Interdisons Paris à tous les provinciaux !
MATHILDE :
Je pense, Majesté, que c’est encore trop tôt.
Il faut laisser aux autres, les notables et les maires
Le choix de ces mesures par trop impopulaires.
Et il faut être bon. Nos pauvres provinciaux
Sont des analphabètes et dont le bas niveau
Ne peut se relever, qu’en fréquentant Paris.
LOUIS XIV :
Je crois que vous avez de la jugeote, pardi.
Mais vous disiez, tantôt, que pour le festival
La foule était venue comme dans un carnaval ?
MATHILDE :
En effet, Majesté ! C’est un énorme succès.
Toutes les salles sont pleines et les gens débordés.
LOUIS XIV :
Vous, la grande spécialiste de la culture en vrac
Donnez-moi votre avis sur les plus beaux spectacles.
Molière doit être heureux.
MATHILDE :
……………………….S’il se contente de peu !
LOUIS XIV :
Et pourquoi cet avis ?
MATHILDE :
……………………….C’est plutôt un aveux !
LOUIS XIV :
Qu’est-ce à dire ?
MATHILDE :
……………….Soyons franc, Molière ne me plait pas
LOUIS XIV :
Molière est un auteur que personne n’égalera !
Pourquoi le mépriser ?
MATHILDE :
………………….Il est trop populaire !
Il passe sa vie à faire une chose et son envers.
Et tous ces personnages, trop caricaturaux
N’ont aucun intérêt dans de tels scénarios.
LOUIS XIV :
Je ne vous comprends pas !
MATHILDE :
……………………..Mais où est le message ?
Il faut transcender l’âme par l’aura de l’image.
Quand une introspection est quasiment biblique
L’amour arrive à tout, mais deviendra cosmique.
Il est très important de maintenir ce lien !
LOUIS XIV :
Sans vouloir vous vexer, moi, je n’y entends rien !
MATHILDE :
Mais votre Majesté, pour moi, c’est évident
Car le fil de l’histoire nous oriente sur le temps.
Sentir la force instable d’une métaphore sublime,
Trouver la liaison phare d’un sentiment ultime,
Voilà ce qui nous pousse vers un peu plus d’extase.
LOUIS XIV :
Je veux bien ! En tous cas, j’ai pas compris la phrase !
MATHILDE :
Une pièce doit être un moment d’obsession,
Comme un souffle d’enfer, détruisant la passion.
Le cas subliminal d’un comédien muet
Nous amène à sentir le principe du passé.
LOUIS XIV :
Dites-moi, ma chère Marquise ….. Ça vous arrive souvent ?
Je suis inquiet pour vous ! J’appelle mon chambellan !
Il faut que les médecins vous tapotent les tempes !
MATHILDE :
Mais, votre Majesté, je suis très bien portante.
LOUIS XIV :
Alors, expliquez-moi ce tout nouveau langage.
MATHILDE :
C’est celui qu’on emploie pour rester à la page.
Tous les gens qui se targuent de faire de la culture
Discourent comme je le fais….
LOUIS XIV :
……………………………….Et ce n’est pas trop dur ?
MATHILDE :
La faille de l’être intime, au-devant du soleil
Met bien en évidence les limites du ciel.
Et c’est la symphonie qui peut nous mettre en transe.
LOUIS XIV :
Ça y est ! C’est parti ! Voilà qu’elle recommence !
MATHILDE :
Mais, votre Majesté, si vous voulez comprendre
Admirer, adhérer et surtout bien entendre
Tout ce que le théâtre, dans sa forme la plus pure
Peut vous émerveiller…..
LOUIS XIV :
………………………..Et c’est ça, la culture ?
MATHILDE :
Majesté, je vous sens un tantinet rebelle.
LOUIS XIV :
C’est normal quand j’entends des âneries pareilles !
Vous me parlez culture et je ne comprends rien.
Quand vous usez d’un terme, je ne sais d’où il vient.
Avouez, chère Marquise, que même les provinciaux
Doivent, en vous entendant, vous traiter de BO-BO !
MATHILDE :
Majesté, je m’excuse. J’ai été bien trop loin.
LOUIS XIV :
C’est d’accord, chère Marquise, mais n’y revenez point !
Les pièces de Molière, au festival, c’est….
MATHILDE :
…………………………………………Off !
LOUIS XIV :
Festival off ? Serait-ce encore un nouveau terme ?
MATHILDE :
Une onomatopée qui me vient de la ferme ;
Les serfs l’utilisent pour dire que ce n’est rien.
Ce terme fait partie du langage très commun.
LOUIS XIV :
Quand je parle de Molière, vous me répondez off !
Serait-ce à dire, Marquise, qu’il n’a pas bien l’étoffe
Pour être le premier de tous mes comédiens ?
MATHILDE :
On aime ou on n’aime pas ! A chacun son chagrin !
LOUIS XIV :
Mais je vais m’énerver ! Vous me rendez furieux !
Vous avez inventé un langage soyeux
Qui vous donne l’air fringant…intello…cultureux
Et qui est réservé à des gens trop précieux
Mais qui ne veut rien dire ou dire si peu de chose
Qu’on en oublie, parfois, ce qu’est vraiment la prose.
Vous n'aimez pas Molière et Molière vous le rend !
Molière est mon auteur et je suis son servant !
Alors, vous préférez les spectacles modernes
Avec ce charabia qui nous donne des cernes !
MATHILDE :
Mais, votre Majesté, vous devez être conscient
Qu’il faut savoir user du langage de son temps.
LOUIS XIV :
Si être de mon temps, c’est devoir divaguer
Comme un de mes soudards un peu trop aviné ...
S’il faut pour être compris par mes loyaux sujets
Que je répète cent fois tous ces mots compliqués !
Alors, moi je dis non. Trois fois non à tous ceux
Qui font de la culture et se prennent au sérieux !
Votre langue imbécile ne mérite que ma lame.
Molière est un génie ! C’est moi qui le proclame !
LE NARRATEUR :
S’il y a dans cette salle beaucoup de parisiens,
Je tiens à préciser que je n’y suis pour rien !
L’auteur a voulu être, dans son délire verbal
Un peu trop incisif, voire caricatural.
Quoique pour être honnête, beaucoup de « parigots »
Ont tendance à toiser la province de haut !
Tout ce qui ne vient pas du centre de Paris,
Est pour ces intellos, éminemment petit.
Et pour tous ces gens-là, la province serait bien
Un lieu de randonnée et une réserve d’indiens.
Encore faudrait-il que tous ces champions en thème
N’oublient pas que Paris, en France, n’est qu’un cinquième.
Et s’il y a dans la salle, beaucoup de provinciaux,
Je tiens à préciser que la province, c’est beau !
N’ayez pas de complexes ! Vous êtes bien plus heureux
Que tous ces franciliens qui ont un teint terreux !
Si vos enfants ne peuvent aller dans ces lycées
Tant connus et prisés par des bo-bo branchés,
Ne vous inquiétez pas ! Le bénéfice est mince ;
Beaucoup de nos grands hommes venaient de la province.
Et pour les cultureux, ceux qui connaissent tout,
Qui pensent que la culture vole au-dessus de nous,
Qu’ils fassent très attention car le public est fier !
La critique est comprise quand le langage est clair.
Vanter ce qui est IN, toujours vouloir choquer,
Dénigrer le classique pour sembler innover,
Vouloir philosopher dans un langage abscons,
Ca ne rend pas plus fort…mais ça vous rend très con !
Les critiques parisiens, ceux qui décident tout,
Et qui pensent, de bonne foi, que le classique c’est mou,
Devraient bien se méfier, car pour faire la culture
Il faut un vrai public et qui s’amuse…c’est sûr.
Mais le bon roi Louis n’a jamais bien compris
Le langage cultureux d’une élite avertie.
Tant mieux pour le théâtre, tant mieux pour l’avenir !
Molière nous a laissé des moments de plaisir.
Toutes ces histoires écrites pendant le confinement
Sont réservées, bien sûr, à mes petits-enfants.
Même s’ils sont un peu jeunes pour saisir les tenants,
Ils comprendront tout ça quand ils seront plus grands.
Papy Poher