« Sieur Paulux était bien un petit artisan
Qui mit en évidence l’ingratitude des grands. »
Pièce n°7 pour confinés : « De l’utilité d’avoir de grandes oreilles. »
Thèbes, 325 avant JC
LE NARRATEUR :
En Egypte, trois cent vingt-cinq avant Jésus Christ.
Pour tous, c’est un grand deuil et on prie Osiris ;
Le pharaon est mort. Le guide de la nation
Nous a quitté trop vite : c’était Tout Ankh Amon.
CEFALUS :
Mesdames et Messieurs, je vous prie d’excuser
Cette émotivité qui me pousse à pleurer.
Mais le moment est grave, il faut bien l’avouer !
Je vais en quelques mots essayer d’expliquer.
Je m’appelle Céfalus, intendant du palais.
C’est moi qui règle tout ce qui doit être réglé.
Je suis le responsable du palais, de sa vie,
Du bon fonctionnement et des cérémonies.
Mais ce jour est bien triste pour toute la nation,
Car nous venons de perdre le Roi Tout Ankh Amon.
C’était un grand seigneur, puissant et généreux,
Qui chérissait son peuple et adorait les dieux.
Nous l’avons, comme toujours, enseveli avec
Des bijoux, des statues et avec des fruits secs,
Car pour pouvoir aller dans l’au-delà, il doit
Avoir, rien que pour lui, des aliments de choix.
Mais, dans la pyramide, nous avons enfermé
Comme c’est la tradition, les serviteurs zélés.
Mourir avec le Roi, c’est un très grand honneur !
Suivre son pharaon, c’est toujours un bonheur.
PAULUX :
Excusez, Céfalus ! Vous m’avez convoqué.
CEFALUS :
Peut-être ! Mais qui êtes-vous ?
PAULUX :
……………………….Moi, Paulux de Philae.
CEFALUS :
Et que me voulez-vous ?
PAULUX :
………………………Je veux être payé.
CEFALUS :
Etre payé de quoi ?
PAULUX :
…………………Mais d’un travail bien fait !
CEFALUS :
Ah, j’y suis ! C’est donc vous, grand organisateur
De la cérémonie qui eut lieu, tout à l’heure.
La foule était venue ; les scribes étaient présents ;
L’ensemble était parfait ! Et j’en suis très content.
PAULUX :
Votre grandeur me flatte. Pour un tel événement,
Il fallait bien poser « petits plats dans les grands ».
CEFALUS :
Expression très bizarre que je ne connais point !
Cela doit être issu d’un langage plébéien.
Alors, mon cher ami, combien donc vous doit-on ?
PAULUX :
J’ai amené la liste…
CEFALUS :
…………………….Ah !La note ! Oui, c’est bon !
PAULUX :
Ça fera une somme, exprimée en lingots,
De cinquante trois coupes, arrondies au zéro.
Je dois vous signaler, car c’est mon rôle ici,
Que j’ai bien ristourné ; c’est un vrai prix d’ami !
CEFALUS :
Nous allons regarder. N’en soyez pas vexé !
Mais un bon intendant recalcule ce qu’il paye.
J’ai toujours pour principe de vérifier les listes.
C’est ce que devraient faire certains de nos ministres.
PAULUX :
Vous pouvez contrôler !
CEFALUS :
…………………………..C’est ce que je vais faire.
J’espère que votre liste est suffisamment claire.
Alors, vous avez donc, enseveli, là-bas
Quarante beaux miroirs venus de Dolépha ,
Six cent neuf coupelles d’or, des urnes de parfum,
Et trente statuettes à l’effigie d’un chien.
Cinquante jarres d’huile, un monceau de fruits secs,
Trois représentations d’un ibis au long bec,
Une superbe barque et des outres de vin,
Et un coffret rempli de très vieux parchemins.
PAULUX :
Ça, ce fut difficile car le coffre était lourd.
CEFALUS :
Mais l’argent avancé était votre débours !
Alors, je continue. Vous avez enfermé
Les dix meilleurs soldats de la garde personnelle,
Les cinquante-deux servantes qui étaient les plus belles.
PAULUX :
Oui, je n’ai pas compris, pourquoi un tel critère ?
CEFALUS :
Pharaon a le droit d’avoir ce qui lui sert !
Pour un si long voyage, au fond de l’horizon,
On ne peut pas, surtout, donner des laiderons !
La présence de ces femmes, qui sont toutes si belles,
Sera, pour Pharaon, un plaisir visuel.
PAULUX :
Pour ce qu’il en fera !
CEFALUS :
……………………….Mais ne vous trompez pas !
L'esprit de pharaon reste dans l'au-delà
Et il profite encore des plaisirs de la vie.
Pouvoir se parfumer, se mettre dans un lit,
Et pouvoir admirer les plus beaux des atours,
Pouvoir, comme un grand roi, faire se lever le jour.
La mort n’est qu’un passage à nul autre pareil,
Mais ce passage est long quand on est immortel.
PAULUX :
Je n’ai pas bien compris !
CEFALUS :
…………………………….C’est pas grave, mon ami !
Seuls les gens importants comprennent ce que je dis.
Et je continue donc. En plus de ces vestales,
Vous avez enfermé, toujours dans cette salle,
Le plus vieux précepteur….
PAULUX :
…………………….Ce fut très étonnant !
CEFALUS :
Non, c’était très logique. Il avait fait son temps !
Il avait enseigné pendant bien trop d'années
Et son enseignement semblait fort démodé.
Ensuite, vous avez mis deux cent onze serviteurs,
Et …Mais, c’est anormal !
PAULUX :
…………………………ça y est ! Le malheur !
Il y a dans cette note, un seul chiffre douteux
Et bien évidemment, ça a sauté aux yeux !
CEFALUS :
Dites-moi, mon ami ! Mais il nous en manque un !
Ils étaient deux cent douze, si je me souviens bien !
Comment peut-il se faire qu'un serviteur zélé
Ne soit pas notifié comme étant enfermé ?
PAULUX :
Je suis bien embêté…
CEFALUS :
………………………Qui ne le serait pas ?
PAULUX :
Je vais vous expliquer….
CEFALUS :
…………………………Oui, je n’attends que ça !
PAULUX :
Voilà, c’est un peu bête. Nous avons donc rempli
L’ensemble de la chambre avec ce qui fut dit.
Comme on fait d’habitude et toujours en derniers,
Nous avons fait entrer les serviteurs zélés.
Mais la chambre était pleine ou bien était petite,
Et nous réalisâmes, et cela tout de suite,
Que tous les serviteurs, étant tous intégrés,
Il nous en restait un qu’on ne pouvait caser.
CEFALUS :
Mais il fallait bourrer, tasser et l’enfourner !
PAULUX :
Nous avons essayé ! Mais ce fut infernal !
Il était trop bizarre, au physique spécial.
CEFALUS :
Au physique spécial ?
PAULUX :
……………………Mais oui, votre grandeur !
Un physique très gênant pour un bon serviteur.
J’en ai déjà connu, mais jamais de pareil !
Il a sur les côtés, de gigantesques oreilles.
CEFALUS :
Vous vous foutez de moi !
PAULUX :
………………………..Non ! Je n’oserais pas !
C’est pire qu’un éléphant, les voiles en haut du mât,
Plus larges que les portes, plus hautes que l’obélisque.
CEFALUS :
Mais mon pauvre Paulux, vous devenez mystique !
PAULUX :
On a tout essayé pour pouvoir l’intégrer.
CEFALUS :
Mais ces fameuses oreilles, il fallait les couper !
PAULUX :
Et on y a pensé ! Mais on n’a pas trouvé
De ciseaux assez grands pour pouvoir charcuter !
CEFALUS :
Vous me racontez donc, une histoire incroyable.
Soit c'est une invention, soit vous êtes incapable !
Comment pourrais-je croire, qu’un serviteur zélé
Ait des oreilles si grandes qu’on ne puisse l’enfermer !
PAULUX :
Sur la tête d’Osiris, c’est la pure vérité !
CEFALUS :
Et bien, si c’est comme ça, vous serez moins payé !
Le contrat notifiait un chiffre spécifique.
Et comme il en manque un !
PAULUX :
……………..Le reste, c’est pour ma chique !
LE NARRATEUR :
Vous semblez ahuris, voire même dubitatifs.
Notre propos n’est pas ni fantasque, ni poussif !
Ce qui vient d’être dit, et ça, non romancé
N’est le reflet que de l’étonnante vérité.
D’ailleurs, il est noté, chez la perfide Albion,
Que le secret de la tombe de Tout Ankh Amon
Ne serait révélé et livré aux lecteurs
Que si l’histoire rendait hommage au serviteur.
Nous le faisons ce soir. Sisdepic, c’est son nom,
Avait toujours voulu servir pour Pharaon.
Il travailla beaucoup, se donnant au labeur ;
Il voulait intégrer le groupe des serviteurs.
Il y est parvenu, malgré son handicap :
Il avait sur la tête comme des omoplates,
Des oreilles gigantesques, plus grosses que des choux-fleurs,
Et pour les nettoyer, il lui fallait des heures.
Ses oreilles l’ont sauvé ! Elles étaient bien trop grandes
Pour pouvoir faire partie de la fameuse offrande.
Avec le pharaon, il devait de mourir,
Mais, grâce à ses oreilles, il préserva l’avenir.
Comme quoi, même un défaut qui doit vous ennuyer,
Peut vous sauver la vie et être un beau trophée.
Sisdepic s’exila du coté de Marseille
Et devint musicien, car il avait l’oreille.
Cefalus refusa de payer la facture.
Paulux prétexta qu’il avait été pur,
Qu’il était commerçant et bien connu à Thèbes,
Et qu’il était le seul à faire les pompes funèbres.
Rien n’y fit ! Cefalus resta intransigeant.
C ‘est ce qu’il faut bien faire, vis à vis de ces gens
Qui profitent trop vite du désarroi ambiant
En vendant, clefs en main, le plus bel enterrement.
La mort est un commerce et le fut de tout temps !
Même chez les pharaons, les rapaces ont des dents !
Oui, mais en attendant que la mort vous appelle,
Montrez comme un emblème vos énormes oreilles !
Toutes ces histoires écrites pendant le confinement
Sont réservées, bien sûr, à mes petits-enfants.
Même s’ils sont un peu jeunes pour saisir les tenants,
Ils comprendront tout ça quand ils seront plus grands.
Papy Poher