Eglise de Guines/ obsèques de Gilbert Denez
Alors, Gilbert. Dis-moi sincèrement : tu ne trouves pas que ça fait un peu beaucoup ?
Je sais bien que tu as été tellement longtemps avec André au Conseil Municipal qu’à la longue, il y avait une certaine complicité entre vous deux, entre vous les 2 vieux, entre nos 2 monuments… Mais là, reconnais-le, vous avez fait très fort… et à notre goût, c’est un peu trop fort.
Oh je sais, comme d’habitude, tu vas me répondre : « Ca va aller ! ». C’était ton expression favorite. Quel que soit le contexte, quel que soit le problème et quel que soit le stress, tu nous disais toujours « Ca va aller ». Parfois, en plein milieu d’une réunion, tu te levais pour partir « on ne sait [pa]s’où » et tu disais : « Ca va aller » et tu disparaissais. D’autres fois, nous étions englués dans des dossiers complexes, difficiles ou politiquement dangereux et toi, imperturbable, tu disais : « Ca va aller »
Mais aujourd’hui, franchement, même si tu affirmes que « ca va aller », moi le chef, je te confirme que ça ne va pas ! Ca ne va pas du tout !
· Ca ne va pas du tout parce que, depuis lundi, beaucoup de gens ont réalisé qu’ils ont perdu leur vieil instituteur, leur vieux directeur d’école… Et un vieil instituteur, ça compte dans la mémoire de son enfance.
· Ca ne va pas du tout parce que tous les Guînois savent que le 9 octobre 2011, un morceau de leur vie, un morceau de leur ville et même un morceau du marais… Tout cela est entré dans l’armoire aux souvenirs. Et cette armoire aux souvenirs semble bien petite pour toi, Gilbert.
· Ca ne va pas du tout parce que je connais 13 enfants, et pas n’importe lesquels, 13 enfants à qui il manque déjà un papy, papy bien réservé mais papy dont les yeux s’illuminaient quand il parlait de ses petits-enfants.
· Ca ne va pas du tout parce que pour beaucoup de militants, tu étais l’image de la fidélité, de l’abnégation et l’honnêteté. Et que pour beaucoup de militants, tu étais une référence, notre référence : Gilbert, c’était le Ps de Guînes, c’étaient des moments de résistance et de combats à la guînoise..
· Et ça ne va pas du tout parce que j’avais quelque chose à te dire et que j’ai oublié de le faire. Mais c’est aussi de ta faute : tu ne tenais jamais en place. Ce que je devais te dire, c’est simplement « Merci », « Merci pour tout, Gilbert. »
ü Merci d’être venu avec Gérard, un jour de 1989, me chercher pour que je fasse un bout de chemin avec vous. Tu ne me connaissais pas mais de ce jour là, tu m’as fait confiance.
ü Merci encore, d’avoir cédé ta place. Ce n’était pas obligatoire mais tu l’as fait, avec sérénité, avec certitude. Tout le monde n’aurait pas fait cela. Mais toi, tu l’as fait et bien plus tard, j’ai compris pourquoi : Parce que Monsieur Gilbert Denez n’était pas intéressé par les titres ou par les honneurs. Ce qui était important pour lui, c’étaient les idées, les combats, les espoirs et les parfums de victoire. Bref, si tu y ajoutes la fidélité… tout ça, ca fait un vrai camarade.
ü Merci toujours d’avoir été celui qui sait, qui veut et qui peut arranger les choses… Et je le savais… Nous le savions tous. Nous savions tous que ton rôle était essentiel : conciliateur, médiateur, modérateur avec calme, avec pédagogie et avec expérience. Tu arrangeais toujours discrètement les choses, derrière mon dos, après mes colères, après mes coups de gueule ou après mes maladresses. Tu m’as toujours dit qu’un politique doit avoir le cuir un peu dur. C’est à croire que j’ai gardé la peau encore un peu tendre car je suis un peu perdu, à force de perdre tous mes vieux grognards.
ü Merci aussi de nous avoir fait tant rire avec ta voiture qui était comme une boite à outils sur 4 roues, avec ton immuable salopette, avec ta passion viscérale pour le marais ou ta passion tardive pour les autobus… Le SITAC a perdu, aujourd’hui, son meilleur avocat.
ü Merci enfin pour ces combats dignes, ces combats justes, ces combats passionnants et enflammés que nous avons livrés tous ensemble. Nous n’étions pas forcément d’accord sur tout mais quand il fallait foncer, nous savions nous retrouver. Et ça, c’est une particularité du guînois : il n’est heureux que dans la bagarre.
Car c’est vrai, Gilbert, que tu en as livré des combats, des beaux combats et que tu en as eu des victoires, de belles victoires. Mais le plus beau de tes combats, j’en suis sûr, c’est bien celui que tu as livré pour les enfants, avec les enfants, quand tu étais à l’école avec les petits, quand tu enseignais, quand tu étais ce qu’on appelle un hussard de la république et que tu prodiguais le savoir.
Et des victoires, tu en as eu aussi… Beaucoup ! Mais la plus belle de tes victoires, c’est bien la journée d’aujourd’hui, … Et cette victoire, tu peux la brandir, Gilbert. Parce qu’aujourd’hui, ils sont tous là : ta famille, tes amis, tes voisins, tes compagnons de route et même ceux qui n’étaient pas d’accord politiquement avec toi. Ils sont tous venus dire, ici, dans cette église de Guînes que monsieur Gilbert Denez a bien mérité de dormir tranquillement… Et surtout que Monsieur Gilbert Denez était un chic type.
Pourtant, malgré tous les liens qui me lient à toi, j’ai encore un reproche à te faire, Gilbert.
Le 9 octobre, dimanche dernier, tu devais passer à l’école Bertin Duquenoy. Tu ne l’as pas fait… Et je crois bien que c’est la première fois, depuis 60 ans que tu n’as pas voté… Ce n’est pas bien Gilbert ; tu seras compté comme abstentionniste… Mais je pense qu’on a des raisons pour te pardonner.
Et une dernière remarque, Gilbert. Ne t’étonne pas d’être aujourd’hui, avec nous, dans une église. Mais ton dernier tract, imprimé en noir et blanc, nous invitait tous à venir ici, avec toi. Et ce tract là, figure-toi que les gens ne l’ont pas déchiré. De toute façon, Gilbert, te connaissant comme je te connais, avec l’aide de ton copain Zorro, tu seras capable de refiler une carte du parti socialiste à Saint Pierre… Mais au fond et pour te faire sourire un dernière fois, tu as raison, car toutes les voix sont bonnes à prendre. Même celle du Seigneur.
Salut Gilbert. Et n’oublie pas ta rose, ton abécédaire, ta casquette et ta clef à molette. Ca peut toujours servir là-haut. Salut mon ami.
/ Hervé Poher