Colloque sur les espéces invasives. Saint-Omer
Mesdames et Messieurs.
Lorsqu’il m’a été demandé de clôturer ce colloque sur les espèces invasives, je dois vous avouer que j’étais perplexe. Mes compétences s’exercent plus dans le cadre des invasions microbiennes, de par ma formation médicale, ou des invasions touristiques, de par mes fonctions d’élu local. Mais, ne reculant devant rien, j’ai décidé de me renseigner sur ces envahisseurs. Et figurez-vous que les écrits consultés ont mis en évidence de fortes similitudes avec la médecine, similitudes que je vais vous mettre en évidence.
- Il est écrit : « Ce sont des espèces exogènes »…… Comme les microbes. A part quelques microbes dit saprophytes qui vivent à l’état naturel, surtout dans votre tube digestif, les microbes ou virus sont tous exogènes. Ceux qui font régulièrement la grippe, ne me diront pas le contraire.
- Il est noté « qu’ils nuisent à la biodiversité des milieux ». Comme les microbes. Et quand il n’y a plus de biodiversité, il y a déséquilibre. Ceux qui ont déjà eu la turista, ne me diront pas le contraire.
- Ensuite, on dit « Une espèce est dite exogène ou allochtone lorsqu’elle se trouve en dehors de son aire de répartition naturelle. » Si certains d’entre vous pensent que l’aire de répartition naturelle du bacille de Koch ou du tréponème, c’est le corps humain, je suis très inquiet pour votre santé.
- Enfin, il est écrit : « Une espèce exogène devient invasive lorsqu’elle devient un agent de perturbation de l’écosystème et modifie la diversité biologique de son milieu d’accueil ». Vous le savez, chaque infection du corps humain entraîne des modifications caractéristiques du milieu biologique.
Si je me suis permis de mettre en évidence c’est similitudes, c’est simplement pour vous rappeler que la nature, comme le corps humain, sont des systèmes en équilibre, équilibres souvent parfaits, mais équilibres toujours précaires. Et que la moindre atteinte de cet équilibre peut avoir des conséquences redoutables. Dans le cas de l’invasion microbienne, la conséquence peut être la mort du malade ; dans le cas d’une invasion par des espèces exogènes, le résultat peut être la mort d’un milieu naturel.
De plus, il y a 3 notions médicales que l’on peut rapprocher du problème des espèces invasives. La notion d’atteinte isolée, celle d’épidémie et celle de pandémie. Avec une différence majeure dans le cas des espèces invasives, c’est que l’atteinte isolée devient très rapidement une épidémie et que pour certaines plantes, en particulier, l’épidémie se transforme en pandémie.
Et pourtant, nos concitoyens sont moins sensibilisés aux problèmes des espèces invasives qu’aux problèmes de santé,
- C’est que la notion de temps n’y est pas la même
- C’est qu’ils ne se sentent pas touchés directement
- C’est que parfois, les envahisseurs savent prendre un aspect très agréable.
Notion de temps. En effet, lorsque vous êtes victime d’une invasion microbienne, le délai de latence est de quelques heures, voire quelques jours. Dans le cas de l’invasion des espèces invasives, le délai se compte en années, voire en décennies. Ce qui, dans la tête des gens, modifie complètement, la notion de l’urgence.
Notion d’atteinte personnelle : Vous avez beau dire à des gens que la Renouée du Japon est en train d’envahir nos marais et le bord de nos routes…. Eux, ce qui les intéresse, c’est de savoir comment éliminer les orties de leur jardin. Et les seuls qui sont sensibilisés aux méfaits de la tortue de Floride, sont, soit des pêcheurs, soit des propriétaires d’étangs colonisés par cette « si jolie petite bête ».
Notion d’aspect agréable, enfin. La nature, avec son grand pouvoir d’adaptation a compris une chose : Pour pouvoir envahir de façon sereine, il faut plaire à ceux qu’on envahit. Personne ne peut dire que les verges-d’or, les buddleias ou les asters américains ne sont pas des plantes ornementales de toute beauté…..Mais ce sont des envahisseurs.
Alors, comme pour la médecine, il y a deux façons d’appréhender le problème : le préventif et le curatif. Et comme pour la médecine, nous devons appliquer ces deux démarches, de façon simultanée.
En préventif : Vous ne pourrez jamais empêcher les gens de voyager, vous ne pourrez pas empêcher les bateaux de parcourir les océans, vous ne pourrez pas empêcher les oiseaux de voler en franchissant les frontières. Mais, c’est notre devoir, de perpétuellement vulgariser, d’informer, d’éduquer les gens sur ce qu’il faut faire et ne pas faire, sur ce que l’on peut ramener de tel ou tel pays et ce qui n’est pas souhaitable de rapporter, même en souvenir. Certaines lois permettent de sanctionner les responsables d’une introduction préjudiciable, mais, vous le savez, ces lois ne sont quasiment pas appliquées. De plus, nous nous heurtons à des effets de mode qu’il est parfois bien difficile de combattre, effet de mode exploité par des commerçants, inconscients ou parfois peu scrupuleux. Qui n’a pas eu dans son entourage un parent très fier de sa ou ses tortues de Floride……. Et vous savez les ravages qu’elles font, une fois relâchées dans la nature.
Et en curatif, nous n’avons pas le choix. Il faut détruire….Mais, il faut l’avouer, dans la lutte contre ces invasions, nous avons souvent certaines désillusions, voire des déceptions. Car la nature, les plantes et les animaux ont un pouvoir d’adaptation étonnant, une résistance parfois exceptionnelle et un pouvoir de multiplication souvent décourageant, quand ces plantes ne sont pas désirées. Mais c’est un combat quotidien que nous devons mener avec nos structures, avec nos scientifiques et en étant strictes par l’intermédiaire des réglementations qu’il faut, impérativement appliquer.
Permettez-moi de terminer par 2 anecdotes :
Il y a quelques années, dans un bassin alimenté par un puit artésien, en plein centre de la ville de Guines, j’ai fait mettre une vingtaine de truites. Celles-ci cohabitaient avec les quelques vieux poissons qui occupaient les lieux depuis des années. Au bout de quelques semaines, nous avons constaté des blessures sur ces truites, avec la peau arrachée et parfois même des manques de chair. Nous avons contacté le pisciculteur qui nous les avait vendues, en lui demandant si ses poissons n’étaient pas malades. Venu sur place, ce monsieur fit vite le diagnostic. Il nous a annoncé que nous avions, probablement une ou des tortues de Floride dans le bassin et qu’elles attaquaient nos truites. Il nous a fallut 2 mois pour pouvoir attraper 2 tortues qui faisaient, au moins 15 cms chacune. Et malheureusement, entre temps, toutes nos truites étaient mortes.
Autre anecdote : Il y a 5 ou 6 ans, le président Roland Huguet a commencé une réunion en disant : « Mesdames et Messieurs, j’ai le douloureux devoir de vous annoncer que la bataille contre le rat musqué est perdue ». Depuis plus de 20 ans, le CG subventionnait la lutte contre le rat musqué et lorsque ce financement avait été décidé, c'est-à-dire dans les années 80, le président avait dit, pour rassurer les élus, que cette subvention serait attribuée pour 3 ou 4 ans, car on viendrait à bout de cette charmante bête. Force est de reconnaître que 25 ans après, les rats musqués sont toujours là et que nous continuons à subventionner l’hypothétique éradication du rat musqué. La petite histoire dit que le paiement des piégeurs était fait « à la queue ». Si bien que certains coupaient la queue, mais relâchaient la bête, surtout si c’était une femelle… Et on soupçonne, même, quelques personnes cupides d’avoir eu des élevages de rats musqués…..
Voilà ce que je tenais à vous dire, sans aucune prétention scientifique et sans vous proposer de solutions miracles. Mais je suis intimement persuadé qu’il faut continuer à expliquer, à informer, à sensibiliser nos concitoyens et nous, responsables de structures ou élus, nous devons continuer à faire de la résistance.
Résister à un envahisseur, même s’il est joli, même s’il est attractif, c’est quand même plus glorieux que de laisser faire les choses. Alors, Mesdames et Messieurs, soyons les promoteurs d’un réseau de résistance à l’envahisseur.
/ Hervé Poher