Guines, le 31/01/2014
Pour moi, cette soirée est un peu spéciale : c’est la première fois, depuis un an que je me retrouve face aux Trois-Pays. Et si, depuis plusieurs mois, je ne suis pas venu à l’hôtel communautaire ou dans des réunions de PLUI, parce que je pouvais être là en tant que représentant du Conseil Général, c’est volontairement… Peut- être parce que j’avais des choses à dire et que je ne savais pas comment les dire… Et comme je ne savais pas comment les dire, alors je les ai écrites… Et si vous me le permettez, je vais vous lire la lettre que j’ai envoyée à madame la Communauté de Communes des Trois-Pays.
Lettre à la Communauté de Communes des Trois-Pays
Ma vieille compagne, ma vieille maitresse.
Oui, c’est vrai ! Je t’ai quittée un peu brusquement, en avril dernier, mais les événements le voulaient ainsi… Et je n’avais pas vraiment le choix.
D’un autre côté, sans vouloir te culpabiliser, j’ai constaté que tu as trouvé très rapidement quelqu’un pour me remplacer. Bien sûr, il est plus jeune ; bien sûr, il est plus calme ; bien sûr, il bricole mieux que moi … Ce n’est pas de la jalousie mais, c’est humain, on a toujours tendance à se croire indispensable, voire irremplaçable. Et je crois savoir, en plus, que tu t’entends bien avec ton nouveau compagnon. Pourvu que ça dure !!
Si j’ai eu besoin de t’écrire, c’est qu’il est important de dire certaines choses avant de se quitter, avant de s’oublier et avant de tourner la page… Et c’est bien plus facile de tourner la page avec du vrai papier que de tourner la page dans son cœur.
Et de te rappeler, ma vieille amie, comment nous avons foncé, inventé, rêvé voulant simplement illustrer les idées de « dynamique collective », « de courage politique » et « d’utopie au pouvoir ».
Oui, j’ai dit « dynamique collective » car si tu as avancé, c’est bien parce que la très grande majorité d’entre nous a joué le jeu, a été positive et a su être conquérante.
Bien sûr, tu le sais, nous avions nos différences ; bien sûr, nous avions parfois des états d’âme ; bien sûr, nous avions parfois des visages bougons ; bien sûr, nous avions de temps en temps des accès de « poujadisme local » faisant que certains d’entre nous défendaient leur clocher et uniquement leur clocher sans s’occuper de la détresse ou de l’avenir du voisin et sans s’occuper du bien-être collectif…
Mais c’est logique et c’est le défaut immuable de quelques-uns qui ne voient pas plus loin que la haie au bout de leur jardin. Mais plus le terrain est petit, plus les taupes sont concentrées… Ça, c’est un très, très vieux proverbe chinois que je viens d’inventer !
Mais dans ce domaine-là, tu l’as vu, le président que j’étais n’a pas eu à se plaindre : Sur 16 années de présidence, les vrais grands problèmes, ceux qui empoisonnent les nuits et ceux qui font déraper les réunions, je peux les compter sur les doigts d’une seule main.
Et en plus, nous avions l’intelligence de ne pas faire l’étalage de nos doutes dans les médias ou en séance publique. Jamais nous n’avons fait la une des journaux avec des querelles idiotes. Et c’est une preuve d’intelligence de savoir, à certains moments, être discret. La publicité ne fait pas vendre quand elle est excessive et une image positive, ça se construit et ça se préserve.
Mais pourquoi avons-nous eu cette force collective, force collective dans une certaine sérénité, sérénité qui nous différenciait d’ailleurs de beaucoup de nos voisins… Je crois simplement que c’est à cause de ta naissance… Car tu es née, ma vieille amie, il faut l’avouer, dans la douleur.
Rappelle-toi, mai 1996. Nous avions imaginé une grande intercommunalité rurale, au sud de Calais… Mais l’état, avec l’aide de quelques snipers politiques, nous a mis une magnifique gifle en disant que ce projet était irréalisable et que jamais on ne pourrait obliger une commune à intégrer, de force, une structure intercommunale. Jamais …
Avoue franchement, qu’avec le temps, le discours a nettement évolué… Mais avec le temps, j’ai aussi acquis un peu de retenue… Alors je ne ferai pas de commentaires… Commentaires qui seraient désobligeants pour l’Etat et pour certains politicards qui vivent avec des œillères… Seul commentaire que je me permets: c’est qu’on a toujours tort d’avoir raison trop tôt.
Mais tu es née le 1er janvier 1997, plus petite, plus resserrée, sans doute moins riche mais cette naissance difficile nous a donné deux ambitions : d’abord prouver que sur le fond, nous avions raison et ensuite prouver que nous pouvions, quand même, être parmi les meilleurs. Et cette ambition-là, c’était bien une ambition collective, partagée dans le petit village d’Hocquinghen et dans la grande ville de Guînes.
Oui, j’ai dit aussi « courage politique », et le courage politique, tu le sais bien, ce n’est pas une qualité partagée par tout le monde…
Parce qu’il faut du courage politique pour oser imaginer et défendre le premier SPANC du département…
Parce qu’il faut du courage politique pour essayer de trouver des solutions dans le problème des ordures ménagères, sachant qu’il n’y a pas de vraies bonnes solutions…
Parce qu’il faut du courage politique pour implanter des maisons de l’enfant en milieu rural …
Parce qu’il faut du courage politique pour se lancer dans un PLU intercommunal avec des zones classées et sanctuarisées…
Parce qu’il faut du courage politique pour réaffirmer que la solidarité est une priorité qui s’impose à nous tous qu’on le veuille ou non …
Parce qu’il faut du courage politique pour obéir à la loi et changer l’ordre établi, sachant qu’on n’attrapera que des coups et qu’on attendra vainement les mercis …
Et parce qu’il faut du courage politique pour accepter, à l’unanimité, un jour, de baisser fortement les dotations communales pour sauver l’intercommunalité, après une fermeture d’entreprise. Nous, on l’a fait !
Oui, tu vois, ma vieille complice. On peut te reprocher beaucoup de choses… Mais ceux qui t’accompagnent depuis ta naissance n’ont jamais manqué de courage politique ou quand il y a eu des ratés, ils les ont vite rattrapés.
Et enfin j’ai dit « L’utopie au pouvoir », je l’assume au nom de tous et je le revendique au nom de chacun d’entre nous…
Parce que nous avons été fiers d’imaginer ce dont nous avions rêvé…
Parce que nous avons été fiers quand nous avons lancé : le Vert, le Vrai, la Vie… Et que nous avons voulu intégrer le Parc naturel…
Parce que nous avons été fiers d’être regardés, d’être jalousés et d’être copiés dans tout le département…
Parce que nous avons été fiers enfin d’inventer Ararat sous les applaudissements, rappelez-vous ! D’inventer le CIAS, d’inventer le transport à la demande, d’inventer le SPANC.
Marc, ton nouveau compagnon, l’a dit : « Nous avons voulu être un territoire d’expérimentation et d’innovation… ». Et nous avons réussi parce que tout le monde a joué le jeu.
Voilà, ma vieille amie. Une autre tranche de vie vient de commencer pour toi, avec des compagnons supplémentaires, avec des élections dans quelques semaines et avec sans doute de nouvelles obligations…
Mais je t’en prie, garde nos souvenirs : souvenir de nos combats, souvenirs de nos victoires, souvenirs de ceux qui ont créé notre légende qu’ils soient encore là ou qu’ils soient partis vers d’autres horizons plus reposants…
Et je t’en supplie : reste comme tu étais… Belle, conquérante, dans la sérénité, dans l’entente, dans l’imagination, en dehors de la mesquinerie politique et en faisant la promotion des idées, que les idées, pas la promotion des intérêts.
C’est ce qui a fait ta force et ce qui a fait que dans le grand charcutage intercommunal, malgré ta petite taille, personne n’a osé s’attaquer aux Trois-Pays.
Pour terminer, je me dois d’être franc: je t’ai quittée mais je me suis déjà mis à la colle avec un autre territoire, le Parc Naturel… Normalement, c’est aussi un territoire d’expérimentation et d’excellence… On verra mais c’est un autre défi à relever et, dans tous les cas, ce sera une autre histoire…
Alors, vieille compagne, madame La Communauté de Communes des Trois-Pays… Je vous salue bien bas, madame. Continuez votre chemin et laissez tourner les girouettes, elles n’ont jamais empêché le vent de souffler.
On termine un chapitre mais d’autres écriront le suivant. J’espère simplement qu’ils l’écriront à la plume et non pas au crayon de bois.
On dit souvent que lorsqu’on va voir sa maitresse, le moment le plus agréable, c’est quand on monte l’escalier… Mais je peux vous confirmer que le moment le plus difficile, c’est après, quand on referme la porte, en essayant de garder quelques images et qu’on s’en va sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller sa compagne.
Certains diront que cette lettre, ce n’est pas une lettre d’adieu, mais que c’est une lettre d’amour. Peut-être mais c’est la seule façon que j’ai trouvée pour tourner définitivement cette page…
Alors, simplement, ma vieille complice, ma vieille compagne, ma vieille maitresse. Merci de ce que tu nous as apporté. Et à toi et à tous tes compagnons : bonne année, bon vent et bon courage pour tous les temps futurs.
Je vous remercie.
Hervé Poher