Guines: La salle du Tournepuits sera, désormais, la salle André Flahaut
La salle des fêtes du marais sera, désormais, la salle Gilbert Denez
Lorsque Marc m’a montré un aperçu des plaques que nous venons de dévoiler, plaques permettant d’inscrire de façon pérenne les noms d’André et de Gilbert, je dois vous avouer que j’ai eu un moment d’hésitation… Et Marc l’a vu… Et cette hésitation était, je peux vous l’avouer, plus une réaction réflexe qu’une véritable interrogation.
Ce qui m’amenait à avoir un doute, voire une hésitation, c’est simplement parce que, sur ces plaques, je suis qualifié de Vice-Président du Conseil Général… Ce que je suis, c’est vrai, mais ce n’est pas du tout comme cela que me voyaient André et Gilbert… Mes 2 tuteurs, deux de mes repères, les deux vieux qui me surveillaient et qui ne voyaient en moi,
· que le petit jeune qu’ils avaient, amicalement, pris sous leur coupe,
· que le militant qu’ils avaient, quotidiennement, formé,
· que l’opposant communal qu’ils avaient essayé, intelligemment, de cornaquer,
· et que le maire de la commune qu’ils avaient, généreusement, accompagné.
Le Conseil Général, pour eux, ce n’était qu’un plus. Ils étaient avant tout guinois ! Guînois, jusqu’au fond de l’âme, jusqu’au sein des tripes, guînois jusqu’au bout des doigts.
Et en disant cela, je ne fais que rappeler le rôle essentiel mais caché de nos deux vieux complices.
La vie publique est ainsi faite… La vie publique est un peu un spectacle… Et comme dans tout spectacle, dans la lumière des projecteurs, il n’y a souvent qu’une ou deux personnes. Mais derrière les projecteurs, vous le savez, il y a des dizaines, voire des centaines de gens … Gens que d’aucun ont appelés « les obscurs, les sans grade ». Et sans ces occupants de l’obscurité, il n’y aurait personne dans le rond de lumière. André et Gilbert étaient différents, certes, mais chacun à leur manière, ils avaient rêvé, ils voulaient et ils savaient rester dans l’ombre pour tenir et orienter le projecteur.
La vie politique est ainsi faite… Avec des hauts, avec des bas. On défend des idées, des espoirs, des utopies. On assume un passé et on essaye de forger un avenir. On alterne les larmes de la défaite avec les rires de la victoire. André et Gilbert étaient différents certes, mais nous les avons tous vus pleurer : pleurer pudiquement de dépits ou de rage mais aussi, pleurer de joie.
La vie publique et politique est ainsi faite… Quand vous êtes politiquement et publiquement très engagé, vous faites, automatiquement et presque naturellement, partie des bons rouages de la collectivité. Et, naturellement, vous vous engagez dans le bénévolat, dans l’associatif, dans le dévouement. André et Gilbert, chacun à leur manière, ont fait cette démarche, ce parcours et ont eu cet engagement. Chez eux, ce n’était pas un sacerdoce ; c’était une seconde nature.
Dans notre société, rares sont les gens qui vont jusqu’au bout de leur croyance et rares sont ceux qui mettent leurs actes en concordance avec leurs idées. Les deux vieux étaient de cette trempe là, de cette formation là, de cette ambition là.
Ils ont servi la commune de Guînes au-delà de l’imaginable, même au-delà du raisonnable. Ils avaient la commune de Guînes infiltrée sous la peau, incrustée dans les neurones et ils parlaient, respiraient et vivaient guînois.
Et c’est tout naturellement que notre commune a voulu que 2 salles portent le nom de nos deux vieux ; deux salles, dans deux quartiers différents de la commune ; deux lieux de fêtes, de sport et de convivialité ; deux endroits où, tous les deux ont passé énormément de temps, où ils ont dépensé beaucoup d’énergie et où ils ont su rassurer par leur expérience, par leur présence et par leur sérénité de vieux sages.
Même silencieux, même légèrement en retrait, parfois même trop discrets, ils occupaient dans notre microcosme guinois, une place qui restera longtemps vide.
Hier, quand j’ai décidé d’écrire un petit mot, je me suis dit : « Il ne faut pas parler d’André et de Gilbert avec tristesse… Il faut en parler avec joie... Parce qu’on riait dans nos réunions ; parce qu’on riait pendant les campagnes électorales ; parce qu’on chahutait André et qu’on taquinait Gilbert… Et qu’ils adoraient cela.»
Mais, vous le voyez, je n’y suis pas arrivé. Car comme à beaucoup d’entre vous, il manque quelque chose dans mon champ de vision. Il me manque cette vielle petite voiture qui transportait la casquette d’André ou cette guimbarde antédiluvienne qui véhiculait Gilbert avec sa boite à outils ; il me manque l’air renfrogné d’André quand il ne sentait pas les choses ou le sourire complice de Gilbert quand il sentait trop bien les choses ; il me manque les remontrances du vieux cheminot ou les encouragements du vieux directeur d’école…
Bref, ils me manquent comme ils manquent à la commune de Guînes. Il me manque d’autant plus qu’avec le temps, qu’avec les responsabilités, qu’avec les occupations, j’ai oublié, et je m’en veux beaucoup, de leur rappeler et de leur montrer qu’ils faisaient toujours partie de mes amis, de mes repères, de mes fondations.
Mais leur noms seront désormais attachés à ces deux salles et dans ces salles des gosses viendront courir, des jeunes gens viendront danser, d’autres feront du sport ; bref, ces deux salles seront des centres de vie…
Et, il est probable que, dans quelques décennies, les habitants de la région de Guînes ne sauront peut-être plus qui étaient André Flahaut et Gilbert Denez, mais je sais qu’ils penseront naturellement: « Si on a donné le nom de ces gens-là à une salle, c’est que c’était des gens importants et des gens bien… ». Personne ne se souviendra de la casquette d’André ; personne ne se souviendra de la voiture de Gilbert. Mais leurs noms seront gravés dans les têtes.
Ils n’avaient rien demandé ; ils n’auraient pas voulu… Et alors, depuis quand les guinois obéissent-ils aux ordres ?
Hervé Poher