« Victor était très fier d’être un bon helvétique
Mais il devint célèbre en étant alcoolique. »
Pièce n°2 pour confinés : « De l’utilité d’être alcoolique. »
Berne, année 1905
LE NARRATEUR
« C’est en mille neuf cent cinq qu’un tout jeune allemand
Qui allait devenir un des plus grands savants
S’énerva un peu trop contre un appariteur
Qui trouvait dans l’alcool des raisons de bonheur. »
EINSTEIN :
Non, ce n’est pas possible ! Dites-moi que je rêve !
Je sens que mon cerveau s’englue dans un malaise !
Mon avenir est foutu…Je suis déshonoré.
Après une telle erreur, je suis comme cisaillé.
La mort sera plus douce que la honte où je suis
Et plus rien ne pourrait m’attacher à la vie.
VICTOR :
Bonjour, Monsieur Einstein……. Vous n’avez pas l’air bien ?
N’auriez-vous pas envie d’un petit verre de vin.
EINSTEIN :
Non, mon pauvre Victor, je crois que c’est la fin.
Je vais agoniser, ici, seul comme un chien.
VICTOR :
Dans ces cas-là, je pense qu’une rasade de cognac
Peut vous remettre en place quand vous êtes patraque.
Pourquoi parler de fin ? Vous n’avez pourtant pas
L’aspect d’un moribond qui marche vers le trépas !
EINSTEIN :
Pour ceux qui vont mourir, l’aspect importe peu
Et je te laisse le soin de me fermer les yeux !
Mon ami, tu seras pour ce dernier moment,
L’unique dépositaire de mon seul testament.
Je te confie ma femme, ma paire de lunettes,
Mon chapeau tyrolien et mes plus vieilles chaussettes,
Mon vélo à trois roues, ma tondeuse à gazon,
La machine à café et ma pelle à charbon,
Mes ciseaux à bouts ronds pour les poils des oreilles,
Une édition d’« Alice aux pays des merveilles ».
En bref, je te laisse tout…Tout ce que j’aimais bien.
Là où je vais aller, je n’ai besoin de rien.
VICTOR :
Allez, il ne faut pas vous sentir dépressif !
Quand on réfléchit trop, cela devient nocif….
D’abord, je dois vous dire que vous êtes fort gentil,
Mais je n’ai pas besoin de tout votre fouillis.
Moi, je suis passionné par les grands crus d’Alsace.
Ma cave en est remplie et je n’ai plus de place.
EINSTEIN :
Même pour un beau vélo ?
VICTOR
…………………………Mais que pourrais-je faire
D’un vélo à trois roues…
EINSTEIN :
………………………….Mais il est tout en fer !
VICTOR :
Et alors ! Je n’ai pas le sens de l’équilibre !
Pour moi, monter sur un vélo est impossible.
EINSTEIN :
Forcé, mon cher Victor ! Car tu es souvent saoul !
La boisson est néfaste pour se tenir debout
Tu commences le matin et tu finis le soir.
Et les gens ironisent, car tu es toujours…. noir.
VICTOR :
Ne soyez pas méchant, vous devez me comprendre.
Ma femme m’a quitté pour un mari plus tendre,
Mon chien a la pelade et je prends du bidon….
Et pour me consoler, j’abuse de la boisson !
On va boire un bon coup, ça va vous réchauffer.
L’alcool permet souvent de se décontracter.
EINSTEIN :
Mais comment veux-tu que je puisse boire quelque chose ?
VICTOR :
Mais avec du pinard, on voit la vie en rose !
Mon père disait toujours que le jus de la treille
Etait le seul moyen pour que ma mère soit belle.
Alors, vous essayez ?
EINSTEIN :
……………………….Je n’en ai pas envie.
VICTOR :
Mais pour boire un bon vin, nul n’a besoin d’envie !
EINSTEIN :
Tu as, mon cher ami, une forte propension
A trouver des raisons qui poussent à la boisson
Je n’ai pas ce penchant, je suis un buveur d’eau.
VICTOR :
Je l’aurai deviné………Vous n’êtes pas rigolo !
Et là, je suis à jeun !
EINSTEIN :
……………………...Mais c’est encore heureux !
Il est juste dix heures et il serait honteux
Que tu sois déjà saoul. De toute façon, ceci
Nous éloigne un peu trop de mes propres soucis.
VICTOR :
Mais quels sont ces soucis ?
EINSTEIN
:……………………………Je suis déshonoré.
Je crois que la planète, entière, va se gausser.
Moi qui étais connu comme un savant notoire,
Je n’ai qu’une solution…..Devenir un clochard
Ou bien de disparaitre. Je suis trop ridicule
Pour rester un savant ….Tout ça pour un calcul
Que j’ai très mal transmis à une revue sérieuse.
Je vais traîner, à vie, une infamie affreuse.
VICTOR :
Mais vous êtes dépressif ! Moi, je vais vous soigner
Pour retrouver la pêche, rien ne vaut le rosé.
EINSTEIN :
Mais tu vas m’énerver avec tous tes remèdes !
Je suis désespéré et même avec ton aide,
Il sera impossible de rester comme avant.
VICTOR :
Mais personne ne conteste que vous êtes très savant.
Vous inventez des trucs que j’ai jamais appris.
Par contre, où je suis fort, c’est en œnologie.
EINSTEIN :
Inventer n’a de sens que si on est connu.
Et pour moi, l’avenir me semble un peu foutu.
Jamais, je ne pensais chuter sur une bêtise.
Et ma célébrité n’est vraiment plus de mise.
VICTOR :
Dites-moi donc ce qui vous préoccupe à ce point ?
EINSTEIN :
Te rappelles-tu ce jour, qui n’est pas si lointain,
Où j’ai eu, brusquement une illumination.
J’avais enfin trouvé les termes de l’équation
Qui nous aurait permis d’avoir, à tout jamais,
De l’énergie facile….C’est E = M C.
J’étais sûr de mon coup car j’étais inspiré……
Je devais, au plus vite, la faire publier.
Hélas, quand j’ai ouvert cette fameuse revue,
J’ai cru que je souffrais d’un accès de berlue.
Je voyais imprimé, juste là, sous mes yeux,
Une formule inconnue : E= MC2
Je ne sais pas comment j’ai fait une telle erreur.
Une faute d’inattention a causé mon malheur ;
Comment ai-je pu ainsi rater une transcription ?
Je n’ai plus qu’à périr en buvant du poison.
VICTOR :
Monsieur Einstein, vous me voyez très embêté.
Je crois que je me dois de tout vous avouer.
Le soir où vous avez trouvé votre équation,
Vous étiez éneré, bien plus que de raison.
Alors, pour vous calmer, je vous ai conseillé
D’aller vous aérer……ce que vous avez fait.
EINSTEIN
Bien sûr, je m’en souviens. J’étais devenu fou !
Et vous, mon cher Victor……. Vous étiez un peu saoul.
VICTOR :
Je dois le reconnaître. Cela m’arrive souvent.
Mais j’ai trop de soucis, …
EINSTEIN :
…………………………Oui, je sais, c’est navrant.
VICTOR :
Alors, comme vous n’étiez plus présent au labo,
J’ai voulu être utile ….
EINSTEIN :
………………………J’ai peur de vos propos !
VICTOR :
C’est moi qui ai voulu recopier la formule.
Mais comme je la voyais dans une forme ridicule….
EINSTEIN :
Mais que voulez-vous dire ?
VICTOR :
:………………………….Je voyais tout en double !
EINSTEIN :
Bien sûr, vous étiez paf !
VICTOR :
…………………………..Comprenez donc mon trouble
Je voyais bien EE= MMCC.
Et en plus, mes lunettes avaient les verres cassés.
Comme cela me semblait un tantinet bizarre,
J’ai voulu rectifier, en mettant au hasard,
Une formule bâtarde…..
EINSTEIN :
…………………….Mais c’est mon équation !
VICTOR :
Moi, j’ai fait pour un bien …..Je n’ai pas eu raison ?
EINSTEIN :
Je sens que je vais vous arracher les deux yeux !
Saboter ma formule, mais c’est un crime odieux !
L’avenir est écrit.Après avoir pleuré,
Je vais, sans état d’âme, user d’un pistolet.
VICTOR :
Pourquoi un pistolet ?
EINSTEIN :
………………………Mais pour vous trucider !
VICTOR :
Allez, monsieur Einstein, vous dramatisez tout !
On va tout arranger, en buvant un bon coup.
Les formules, ça se changent…ça peut s’améliorer !
C’est comme une bonne bouteille….
EINSTEIN :
……………………………………Vous êtes vraiment fêlé !
Mais comment voulez-vous, que dans quelques années,
On puisse dire qu’un savant, qui avait des idées,
A pondu des calculs ne tenant pas debout,
Tout ça parce qu’il avait un appariteur saoul !
VICTOR :
Allez, il ne faut pas, toujours dramatiser !
On va tout arranger ! L’alcool, ça vous remet.
EPILOGUE DE : DE L’UTILITE D’ETRE ALCOOLIQUE.
Que l’équation d’Einstein, ce E=MC,
N’était pas la formule qu’il fallait conserver.
Comme quoi, parfois, l’alcool a d’excellents effets.
L’appariteur a su, en changeant les données,
Trouver la vraie syntaxe. Il fallait y penser.
Et vous avez appris, car vous étiez sérieux
Que la formule était E=MC2.
Einstein s’était trompé dans son raisonnement.
Ce n’est pas très facile de bien tenir son rang
Quand on est un savant que tout le monde admire,
Mais rester inconnu peut parfois sembler pire.
Malgré son désespoir, Einstein se consola
Mais pendant quelques jours, il but de la vodka.
Quand il fut dessaoulé, il reprit ses calculs
Et se sentit, d’un coup, totalement ridicule.
En effet, la formule qui était modifiée
S’est avérée la bonne ….. Il en fut mortifié.
Le plus injuste fut que le brave alcoolique
Ne fut pas vénéré comme un vrai scientifique.
Et pourtant, c’est l’alcool qui a tout provoqué :
La vision dédoublée d’un bonhomme aviné
A permis à la science d’avancer d’un grand pas.
Et la plupart des gens ne le soupçonne pas.
Pourtant dans notre monde, les gens qui ont tendance
A se saouler beaucoup, ont bien souvent la chance
D’avoir des intuitions qui vont tout chambouler
Et tous les bons savants ont l’esprit embrumé.
Alors, un bon conseil pour tous ces étudiants
Qui rêvent de devenir le plus grand des savants :
Entraînez-vous à boire ! Cela peut vous servir.
Un foie comme une éponge est un gage d’avenir.
Toutes ces histoires écrites pendant le confinement
Sont réservées, bien sûr, à mes petits-enfants.
Même s’ils sont un peu jeunes pour saisir les tenants,
Ils comprendront tout ça quand ils seront plus grands.
Papy Poher