Arras, Plénière du Conseil Général du Pas-de-Calais, le 16/12/2013
Je me dois de vous présenter l’acte n°2 de notre Agenda 21.
Autant vous le dire de suite, cette version repensée, remaniée et restructurée a été difficile à retranscrire. Comme on le dit parfois, « l’accouchement a été difficile ». Et pour diverses raisons que j’aurai l’occasion d’évoquer.
Mais pour cette version II, je me permettrai de ne pas vous infliger l’énumération d’un catalogue de 30 mesures. Je suppose que vous avez lu et étudié ce dossier.
Non, je pense qu’il est plus simple et plus important de vous expliquer la logique, la philosophie et l’utilité de ce document avec, parce qu’il en faut, quelques focus sur 3 ou 4 points qui nous semblent essentiels.
Logique et philosophie en partant de 3 principes de base que je vais essayer de résumer :
1er principe : On doit faire le bilan de l’acte I :
Bilan avec ses succès mais aussi avec ses ratés… Et les ratés sont essentiels dans ce type de démarche…Et les ratés sont bien souvent plus utiles que les réussites. Car vous le savez, l’important, c’est de savoir pourquoi ça n’a pas marché ? Comment ça n’a pas marché et comment faire pour que, désormais, ça marche ?
Parlons d’abord de ce qui a bien marché : quelques beaux dossiers : La confirmation d’une politique ENS cohérente, l’opération Grand Site des Caps, notre implication dans l’Économie Sociale et Solidaire, notre volontarisme dans la politique de l’eau, le lien insertion environnement, de nouvelles pratiques pour l’entretien des routes, de fortes avancées pour la protection des terres agricoles,
Et j’en passe… Quelques belles réussites ou initiatives où nous sommes considérés comme exemplaires. Sans forfanterie mais sans fausse modestie.
Quelques beaux succès mais aussi quelques beaux ratés ; le terme échec n’étant pas approprié car on ne peut parler d’échec que quand, au moins, on a essayé.
Et sans être des pratiquants de l’autoflagellation, on se doit d’être lucide en admettant que notre version I a souffert de 4 handicaps :
1er handicap : 62 actions, c’était trop haut, c’était trop fort, c’était trop ambitieux.
2ème handicap : 2008… La période est devenue, tout à coup, peu propice à l’audace. Rappelez-vous : vote de l’Agenda 21 en juin 2008 ; faillite de Lehmann Brother en septembre 2008.
3ème handicap : le sujet en lui-même… Comme le disait un grand quotidien, la semaine dernière, « Le monde » pour ne pas le citer, « L’environnement est toujours ce qui vient après tout le reste »
4ème et dernier handicap : Nous-même et notre culture de l’action publique. Dans une grande région industrielle et agricole, l’environnement ne fait pas partie de notre culture. Il n’y a pas de honte à le reconnaitre.
Et j’avais dit, en 2008, « Il faut faire notre révolution culturelle ! ». Or tout le monde ne réussit pas une révolution du premier coup!
Mais c’est vrai, chez nous, la démarche environnementale n’est pas innée… La seule chose que l’on puisse espérer, c’est que même en n’étant pas innée, elle puisse devenir acquise.
Et ces 4 handicaps ont fait que, dans certains dossiers, nous avons vu de l’inertie, du non-démarrage, voire carrément de l’oubli.
C’est un fait. Il faut savoir en tirer les leçons quel que soit le niveau de responsabilité… Et les premiers responsables, ce sont sans doute nous, les élus.
2ème principe : on doit faire un nouvel état des lieux.
Vous le savez, nous assistons à une formidable accélération du temps. Les problèmes environnementaux et les urgences environnementales de 2013 ne se superposent pas exactement à ceux de 2006 ou 2007…
Nous avons maintenant des chiffres que nous n’avions pas à l’époque ; nous avons maintenant des prises de conscience que nous n’avions pas à l’époque ; nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas et il n’est pas illogique ou illégitime d’adapter nos stratégies et nos urgences.
Quand, dans le cadre de la Dynamique Climat, on analyse le baromètre régional des catastrophes naturelles et sa progression exponentielle, on se dit qu’on ne peut pas rester inerte.
Quand, dans le cadre du Schéma régional de la biodiversité, on met en évidence un net recul de cette biodiversité, qui est, qu’on le veuille ou non, un de nos trésors, on se dit qu’on ne peut pas rester inactif.
Quand nous validons, en commission permanente, un PPA, plan de prévention de l’atmosphère, plan mené par l’Etat, plan qui englobe toute la région Nord-Pas-de-Calais parce que les particules fines sont devenues un de nos principaux ennemis et sont responsables de 10% des cancers du poumon,… On se dit qu’on ne peut pas rester inconscient !
Quand, enfin, le Comité de Bassin de l’Agence de l’Eau valide, le 6 décembre dernier un état des lieux, dans le cadre de la directive cadre sur l’eau. Que cet état des lieux montre que nous n’avons aucune chance d’atteindre le bon état écologique de nos masses d’eau pour 2015, très peu de chances pour 2021 et une chance que je qualifierais d’hypothétique et aléatoire pour 2027.
Et que pour essayer d’avoir un peu de positif, on en arrive à retirer de nos mesures, certains produits embarrassants comme les HAP (Hydrocarbures aromatiques polycycliques) produits par la combustion du pétrole, du charbon et du bois. Là, on se dit aussi qu’on ne peut pas rester immobile…
Et Face à toutes ces évidences, nous avons un devoir de réalisme et de correction à défaut d’avoir eu celui de prévention et d’anticipation.
3ème principe : Nous devons faire une analyse de notre action,
L’action de notre département, par une estimation de ce qu’il peut faire et de ce qu’il doit faire, par l’affichage de ce qu’il veut faire.
C’est-à-dire que ce nouvel Agenda 21 doit être un peu le reflet de nos obligations légales, le reflet de nos ambitions légitimes et le reflet de nos engagements volontaristes.
Car, mesdames et messieurs, on ne peut pas valider un SRCAE sans l’appliquer nous-même ; on ne peut pas aider les collectivités à faire de la trame verte et bleue sans l’appliquer nous-même ; on ne peut pas donner notre avis éclairé, parfois dur mais souvent objectif, avis sur des tas de processus réglementaires et administratifs sans en tenir compte pour nous-même. Et du coup, quand nous avons validé, on ne peut pas tenir un discours dans une assemblée et dire le contraire dans une autre assemblée.
On ne peut pas, enfin, vouloir être les chevaliers du développement durable et s’apercevoir, au fil du temps, que des collectivités partenaires, aux pouvoirs et aux budgets moins importants que les nôtres, sont parfois bien plus exemplaires et bien plus volontaristes que nous.
Il faut que les documents qui servent de bases à notre action politique soient en adéquation avec ce que l’on dit et ce que l’on fait. C’est une preuve d’honnêteté, c’est un gage de crédibilité et c’est un outil du succès.
Alors à partir de ces 3 principes de logique et de philosophie, nous avons élaboré un : Document pragmato-pratique, c’est-à-dire qu’à part l’action 29, qui elle réclame le droit à l’expérimentation, donc à l’incertitude, tout le reste est faisable ou peut être entamé dès demain : il suffit d’un peu de réorganisation, d’un peu de concertation, un peu de courage politique et beaucoup de bonne volonté. Document épuré de tout ce que l’on fait déjà, de tout ce que l’on fait bien ou de choses qui font parties de notre corps de métier.Document simplifié, 30 fiches avec le : Formulaire du « quoi faire », L’identité du « qui fait »,Le mode d’emploi du « comment on fait », La garantie du « comment on surveille ce qu’on a fait »,et éventuellement et en dernier, l’affichage du prix de revient, c’est-à-dire « combien ça peut coûter ».
Je précise avec « éventuellement et en dernier » car si vous mettez la variable financière avec « obligatoirement et en premier », on ne fera plus jamais rien ! On n’aurait jamais fait de la politique jeunesse, de l’ESS, du Grand Site… Et je l’ai dit dans d’autres lieux : « La comptabilité stérilise le cerveau. » Je m’excuse d’avance auprès des diplômés de comptabilité !
Ce document est divisé en 4 parties mais en étant basé sur 5 grandes orientations :
Orientation 1 : Diagnostiquer, construire les outils et mettre en place un véritable moyen de surveillance.
D’abord, faire un bilan complet de tous nos bâtiments. Nous sommes propriétaire de 370 bâtiments ; ce qui représente 1,2 million de m² et nous devons, en plus, mettre en place les moyens de surveiller et de gérer, avec une autre optique, ce patrimoine.
Ensuite faire un tableau de bord. Et nous n’avons pas voulu que le tableau de bord soit uniquement un moyen ; le tableau de bord doit être aussi un objectif et une action en elle-même. Et la bonne tenue d’un tableau de bord, c’est aussi une motivation pour tous les acteurs.
Vous me direz que, dans une voiture, ce n’est pas le tableau de bord qui fait avancer la voiture. C’est vrai mais sans le tableau de bord, vous ne savez pas si votre batterie est encore en charge, si votre réservoir n’est pas vide ou si votre niveau d’huile est encore rassurant.
Alors un moteur tout seul, c’est comme le chariot de Cugnot : ça peut avancer, mais ça ne va pas loin.
Orientation 2 : Agir sur notre fonctionnement interne. Avec des choses simples et faisables. (e-administration, le papier, la visioconférence…)
Bien sûr, cela va contrarier certaines habitudes ; bien sûr cela va écorner certains pouvoirs et certaines prérogatives ; bien sûr, il faudra acquérir certains nouveaux réflexes ; bien sûr, il faudra apprendre, réapprendre et s’adapter…
Mais permettez-moi de vous dire que quand on est incapable de modifier ses habitudes et qu’on refuse de s’adapter à un nouvel environnement, c’est qu’on est déjà vieux dans sa tête… Et sincèrement, je ne pense pas que les départements soient vieux dans leurs têtes.
Dans ce chapitre, nous avons inscrit une mesure concernant l’ingénierie : ingénierie proposée aux collectivités mais aussi ingénierie interne à notre maison. Et une ingénierie qui soit généraliste, transversale et trans-service. Une ingénierie presque omniscience. Une ingénierie qui rappelle, qui insiste, qui formalise et qui aide à concrétiser les ambitions de cet Agenda 21.
Cette ingénierie ou cette structure, puisque le CAUE a été évoqué, sera le garant de l’implication dans cette démarche, implication de tous les services, de toutes les commissions et de toutes les politiques départementales. Cette ingénierie sera notre piqure de rappel régulière, répétitive, omniprésente. Et elle sera garante, non pas de la comptabilité, mais de notre état d’esprit et de la tenue de notre tableau de bord nous permettant, ainsi, de juger, de jauger, voire de rectifier notre démarche.
Orientation 3 : Agir sur la mobilité (vélo, covoiturage, offre de transport, mutation de notre flotte de véhicules…). Passage obligatoire pour une collectivité responsable parce que le pétrole coûte cher, parce que les microparticules et les HAP viennent, en partie, de la combustion du pétrole, parce qu’il y a bien longtemps qu’on ne raisonne plus en KM mais en temps de déplacement, et parce que tout le monde n’a pas les possibilités ou les moyens de se déplacer…
Pour toutes ces raisons, la mobilité est restée un axe fort de notre Agenda 21.
Orientation 4 : Quelques actions très porteuses de symboles : l’abeille, les eaux de pluie, la trame verte et bleue, la route et les paysages…
Certains diront : « Vous vous faites plaisir ! ». Oui et alors ? Un Agenda 21, ce n’est pas toujours le bagne avec les chaines aux pieds et agir et penser environnement, ce n’est pas une souffrance…
Orientation 5 : Ce que j’appelle la Rifkinisation de notre Agenda 21. Economiser, produire, stocker, voir échanger… Toute la théorie de Jérémy Rifkin est basée sur 2 axes qui semblent des évidences :
1) Première évidence : Notre véritable et futur problème sociétal, c’est l’énergie et tout ce qui se rapporte à l’énergie.
2) Seconde évidence : Nous sommes actuellement dans un cercle vicieux qui nous pousse à créer du développement mais toujours au détriment de la nature. Et Jérémy Rifkin dit simplement que c’est par plus de recherche et plus de technologie que nous sortirons de ce cercle vicieux.
Tout en admettant une chose : c’est que le génie humain est remarquable ; qu’il invente sans arrêt mais que toutes nos nouvelles technologies sont elles-mêmes des dévoreuses d’énergie.
Vous l’avez sans doute entendu récemment et je tiens à vous le rappeler : le fonctionnement des téléphones portables, ordinateurs et tablettes consomme plus de 10% de l’énergie mondiale. Et ces 10%, c’est ce que consommait, en 1985, la terre entière pour son éclairage. Nous avons pris 1985 comme référence parce qu’en 1985, il n’y avait pas de portables, pas de tablettes et le premier PC d’IBM ou le premier Mac Intosh d’Apple venaient tout juste de sortir.
Alors Rifkiniser, cela veut dire quoi ?
Cela veut dire : Intervenir sur nos bâtiments pour qu’ils soient moins consommateurs d’énergie. Imaginer et construire à partir de maintenant des bâtiments sobres ou à énergie positive. Produire de l’énergie et expérimenter le stockage, c’est-à-dire entrer de façon volontariste dans la transition énergétique… Plus plein d’autres actions, en particulier sur la mobilité, actions déjà évoquées dans les autres chapitres de l’Agenda 21.
Voilà, Mesdames et Messieurs. J’ai essayé de survoler la logique et la philosophie de l’acte II de notre Agenda 21.
Nous avons voulu aller vers du simple, vers du concret, vers du réalisme. La seule touche qui pourrait vous faire lever un tant soit peu les sourcils, la seule avancée non-orthodoxe que nous nous sommes autorisée, c’est la touche Rifkin…
Et je sais pertinemment qu’au sujet justement de la partie Rifkin, certains diront, en cachette évidemment… que c’est du grand n’importe quoi, qu’on ne vit pas avec du rêve, que l’expérience est par définition hasardeuse et que l’utopie n’a jamais été une bonne gestionnaire.
Alors pour ces gens qui par formation, par formalisme ou par conservatisme sont déjà vieux dans leur tête, permettez-moi de rappeler 3 choses :
Tout d’abord que depuis toujours, l’homme et la société ont eu besoin qu’on leur raconte une histoire. Gai ou triste, dramatique ou joyeuse, fabuleuse ou réaliste… Peu importe, mais une histoire. Et quand une société n’a plus d’histoire à entendre, elle se la crée elle-même. Et le résultat n’est pas forcément positif. Et c’est aussi notre rôle, à nous élus, de créer, pour nos populations, une histoire, un chemin ou l’image d’une étoile.
Ensuite que nous sommes détenteurs d’un pouvoir, le pouvoir de modifier les choses, le pouvoir de démontrer que rien n’est inéluctable. Et il n’y a pas de honte à dire que l’environnement, la nature et le cycle de la vie sont des richesses qu’on doit préserver pour pouvoir les donner.
Sachez enfin et pour en terminer malheureusement sur un constat un peu triste, sachez que lorsqu’on empêche un être vivant de rêver, il meurt très rapidement.
Alors, par cette délibération, mesdames et messieurs, nous vous demandons simplement : d’essayer de réinventer très modestement une petite histoire, de recréer un peu de rêve et d’espoir et aussi, je peux bien l’avouer, de me donner quelques arguments pour je puisse justifier mon rôle et mon action face à mes petits-enfants.
Certains diront, une fois de plus, que tout cela est un peu grandiloquent. Je veux bien le reconnaitre.
Mais, excusez-moi d’avance, monsieur Petit, nous sommes plusieurs, ici, à avoir encore quelques faiblesses :
Faiblesse de croire que nous pouvons encore rester jeunes dans nos têtes,
Faiblesse de croire encore à la force des mots,
Faiblesse de croire encore à la puissance du rêve et de la volonté.
Et, vous le savez bien, mesdames et messieurs : "En politique comme dans la vie, ce sont les faiblesses qui font parfois la force d’un homme."
Merci de votre attention.
HERVE POHER
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