Suite à une intervention au Sénat le 8 avril 2016, une interview publiée le 25 avril et des plaintes portées en mai 2016 par des confrères, la chambre disciplinaire de l’Ordre des Médecins m’a sanctionné, en date du 28 février 2018, d’un avertissement … J’ai décidé de ne pas faire appel… La lettre adressée au Président du Sénat, lettre ci-dessous, vous en donne les raisons et soulève quand même certaines questions de fond… Que d’autres régleront peut-être.
A Monsieur Gérard Larcher
Guînes, le 7 mars 2018
Monsieur le Président.
Permettez que je prenne 5 minutes de votre temps pour vous informer de la conclusion d’un problème me concernant, problème pour lequel vous aviez été alerté.
Un résumé rapide :
- 8 avril 2016 : débat au Sénat sur « L’offre de soin en milieu rural ». Au nom du groupe écologiste, je fais une intervention et « au nom de moi-même », je dénonce certaines évidences ; du moins ce qui me semble des évidences, ayant exercé la médecine générale en milieu rural et étant « cerné » familialement par une nuée de médecins.
- Suite à cette intervention, une journaliste du journal web Egora.fr me contacte et me demande une interview. Ce que je fais volontiers.
- Le 25 avril 2016, cette interview est publiée sur le web, avec pour titre une phrase totalement retirée de son contexte mais qui a le mérite d’être accrocheuse : « Les médecins défendent surtout leur tiroir-caisse. »
- Courant mai, par internet, je reçois des tombereaux d’injures concernant ma fonction politique, mon parcours professionnel et même ma vie personnelle. Et tous ces écrits orduriers étaient, évidemment, signés par des membres du corps médical.
- En juin, finalement, j’apprends que trois généralistes ont porté plainte contre moi pour non-respect des articles 31 et 56 du code de déontologie (Art 31 : Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ; Art 56 : Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité). Ces trois plaintes ont été déposées sur le même format et avec les mêmes arguments ( !). Pour la petite histoire et pour sourire : deux des trois plaintes ont été déposées contre le docteur Alain Poher !!! Comme quoi, en politique, le plus dur, c’est de se faire un prénom !
- Fin juin 2016, je confirme à l’Ordre Départemental des médecins que je ne me sens aucunement coupable, que j’assume la totalité de mes propos, maladresses comprises (parce qu’il y en a), et qu’en plus, je parlais bien en tant que parlementaire, reprenant, dans cette interview, les thèmes abordés dans l’assemblée et en commission.
- L’Ordre Départemental a donc transmis mon dossier à la chambre disciplinaire de première instance du Nord-Pas-de-Calais (NB: l’Ordre Départemental a refusé de s’associer à cette plainte.).
- Informé de cette démarche, les services du Sénat et en particulier ceux de Monsieur Jean-Louis Hérin, ont travaillé sur cette procédure et m’ont fourni tous les arguments pour que je puisse étayer mon mémoire de défense. Je tiens d’ailleurs à vous remercier, Monsieur le Président, du travail remarquable fait par ces services.
Ma défense était basée sur 2 arguments : la liberté d’expression et l’immunité parlementaire.
Je passe les différentes étapes de l’année 2017 pour en arriver à la conclusion du 28 février 2018 : la chambre disciplinaire a décidé de m’adresser un avertissement confirmant par-là :
1) que la liberté d’expression n’existe plus quand on est membre d’un ordre professionnel ;
2) qu’on ne peut pas se prévaloir de l’immunité parlementaire quand les termes utilisés hors assemblée ne sont pas strictement identiques à ceux prononcés dans l’assemblée, même si l’esprit était le même.
Pour être honnête avec vous, je m’attendais, Monsieur le Président, à une sanction émanant de l’Ordre des Médecins. J’avais, en effet, un peu trop « chatouillé » le président de l’Ordre et la Présidente du Syndicat des jeunes médecins, lors d’une table ronde sur la démographie médicale, au Sénat, le 17 février 2016. Je pensais sincèrement qu’un parlementaire pouvait critiquer certaines déclarations, certains écrits ou certaines orientations. On peut le faire certes, mais à condition de ne pas faire partie d’un même ordre professionnel. Le « silence dans les rangs » est quelque chose que je croyais révolu depuis plus de 70 ans. Donc erreur de ma part.
La logique voudrait que je fasse appel de cette sanction devant le Conseil National de l’Ordre des Médecins mais pour être franc, ayant mal supporté la vindicte de mes anciens confrères, cette histoire mettant en porte-à-faux les médecins de ma famille et étant maintenant retraité, j’ai décidé de clore définitivement ce dossier et je ne ferai pas appel.
Je tenais quand même à vous informer de la conclusion de ce dossier afin que vous puissiez avertir nos collègues sénateurs médecins, avocats ou autres : les avertir que la liberté d’expression est bien un privilège qui n’est pas accordé à tout le monde et que l’immunité parlementaire a des limites parfois un peu floues. Cette mésaventure, décevante quant à la mentalité du monde médical, aura au moins le mérite de servir de jurisprudence.
Veuillez croire, Monsieur le Président à mes sentiments cordiaux, dévoués et respectueux.
Hervé Poher
Ancien Sénateur du Pas-de-Calais
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Voir les épisodes précédents:
- le 17 février 2016
- le 8 avril 2016
- le 2 juillet 2016
- le 4 juillet 2016