Bilan de la concertation : Lille, 16/03/06
M,M
Je suis comme beaucoup d’entre vous….. Quand je fais le bilan des quelques décennies qui pèsent sur mes épaules, je dois reconnaître que j’ai déjà vécu plusieurs vies.
Laissez-moi vous en citer 3, parmi d’autres, qui m’ont le plus marqué :
· Je suis le père de 3 enfants et, quand ils étaient petits, comme tous les enfants, ils pensaient que tous leurs désirs étaient toujours réalisables. Et quand, malheureusement, nous, les parents, expliquions que ce n’était pas possible, soit pour une question financière, soit pour une question de temps, ils répondaient très naïvement: « Y’a qu’a…. Faut que ! ». C’est vrai que pour eux les parents ont toutes les possibilités d’agir, possibilités inhérentes au statut de parents.
· Parallèlement à cela, j’étais médecin et la médecine, contrairement à ce que beaucoup de monde croit, n’est pas toujours une science exacte. Et lorsque dans ma pratique quotidienne, les gens me voyaient embêté, ils suggéraient très naïvement : « Y’a qu’a… faut que ! ». C’est vrai que pour eux, le médecin a toutes les possibilités pour trouver, possibilités inhérentes au savoir du scientifique.
· Puis, je suis devenu un élu, avec certains postes importants. Et les gens que je rencontre, qui viennent m’exposer leurs problèmes et leurs difficultés, me disent très naïvement : « Y’a qu’a…. Faut que ! ». C’est vrai que pour eux, l’élu a toutes les possibilités de modifier le cours des choses, possibilités inhérentes au pouvoir théorique conféré par la démocratie.
Tout cela pour dire que vous avez beau avoir la volonté de l’action, la connaissance des problèmes et la légitimité de faire, tout ne se fait pas naturellement et que la politique du « Y’a qu’a… Faut que ! » est rarement applicable, malheureusement pour nous.
Dans le cadre de l’eau, la problématique est exactement la même :
- nous connaissons les enjeux,
- nous connaissons les problèmes,
- nous connaissons les causes,
- nous connaissons les solutions
Et pourtant, il nous est impossible de pratiquer la politique du « Y’a qu’a… Faut que ! ».
- Parce que les enjeux sont essentiels et que nous n’avons pas le droit à l’erreur ;
- Parce que les problèmes sont actuels et que nous n’avons pas le droit de tarder ;
- Parce que les causes sont multiples et que nous n’avons pas le droit d’en oublier ;
- Parce que les solutions nous coûteront cher et que nous n’avons pas le droit de rechigner.
Lorsque vous commencez des études de médecine, la première des choses que l’on vous apprend, c’est un réflexe intellectuel que tout praticien doit avoir. C’est « Signes, Diagnostic, traitement ».
Les signes sont évidents : L’eau est malade, l’eau est bien malade, l’eau est gravement malade et si nous ne faisons rien, d’ici quelques décennies, ce malade sera malheureusement incurable. Le diagnostic a été fait : nous savons pourquoi l’eau est malade, nous connaissons parfaitement les causes de cette maladie, nous savons que le seul virus responsable de cette maladie, s’appelle l’homme, l’homme avec ses préjugés, l’homme avec ses habitudes, l’homme avec ses certitudes.
Et l’ordonnance pour le traitement, nous savons, à peu prés la rédiger, mais les traitements sont souvent très chers, ont parfois des effets secondaires et sont, quelquefois, mal supportés.
Alors, laissez au président du Comité de Bassin que je suis, le privilège de répéter ce qui est mon credo, depuis que j’occupe ce poste, credo que je décline en 4 points :
- 1er point :Il est urgent d’agir car chaque moment perdu peut devenir irrattrapable. Nous n’avons plus le choix parce que nous avons un devoir : léguer un monde sain, léguer un monde propice au développement de la vie, léguer un monde digne de ce nom. Et le monde ne sera que ce que nous en ferons.
- 2ème point : Il est stérile de s’attarder sur la stigmatisation des coupables. Dans le domaine de l’eau, je l’ai dit, je l’ai répété et, aujourd’hui encore, je le réaffirme : nous sommes tous responsables et nous sommes tous coupables. Sans avoir assisté à l’ensemble de cette manifestation, mais en ayant pris connaissance du résultat de la concertation, je sais que, systématiquement, nous retrouvons les mêmes réflexions, les mêmes incriminations, les mêmes suggestions.
Aussi, quitte à lasser les membres du Comité de Bassin, ici présents, permettez-moi de répéter, de rerépéter, de seriner, de radoter en rappelant qu’il faut savoir assumer ses erreurs et qu’il faut savoir assumer son passé, avant de changer l’avenir.
Alors quand j’entends dire à un industriel qu’il doit moins polluer, je réponds : « Oui, moi, Hervé Poher, je vais faire un effort. ». Parce que si les industriels se sont servis de la nature de façon irraisonnable, c’est bien parce que la société, dont je suis membre, avait demandé de produire plus, de produire pas cher et de créer de l’activité économique et de créer des emplois. L’environnement importait peu. Et rappelez-vous ce qui a été dit, tout à l’heure : les gens attachent plus d’importance à l’emploi qu’à la qualité de l’eau.
Lorsqu’on dit à un agriculteur qu’il doit polluer moins en mettant moins d’engrais, je réponds : « Oui, moi Hervé Poher, je vais faire un effort. ». Parce que si les agriculteurs ont modifié la nature de façon irraisonnable, c’est bien parce que la société, dont je suis membre, avait demandé de produire plus, de produire pas cher et de maintenir de l’activité.
L’environnement importait peu.
Et lorsqu’on dit à un particulier qu’il doit polluer moins, je réponds : « Oui,
moi, Hervé Poher, je vais faire un effort. », parce que si la société dont je
suis membre, a utilisé l’environnement de façon irraisonnée ; c’est bien
parce la notion de développement, le besoin de confort et de bien-être ont
été basées sur la certitude que l’eau est inépuisable, que l’eau n’était pas
chère et que la nature peut tout réparer.
Et nous savons maintenant que cela est totalement faux.
Et permettez-moi, pour terminer de mettre en cause les élus que nous
sommes, et de tous niveaux, parce que nous ne sommes pas les moins
coupables.
Nous les obsédés du goudron, nous les intégristes du développement
économique, nous qui jouissons quand on nous parle d’aménagement du
territoire, ayons le courage de faire la liste des aberrations que nous avons
cautionnées depuis des décennies. Mais, bien souvent, nous l’avons fait
pour une noble cause… Parfois, hélas, c’était par pur électoralisme.
Oui, dans ce dossier, comme dans d’autres, nous pouvons et nous devons être fiers du génie humain, parce qu’il est admirable et qu’il semble sans limite mais nous devons aussi, collectivement être honteux des outrages que nous avons faits à la nature et des hypothèques que nous avons posées sur l’avenir de la planète.
Si nous voulons une mobilisation de tous, si nous voulons créer une dynamique collective, si nous voulons insuffler un nouvel état d’esprit, il faut d’abord savoir reconnaître nos propres erreurs. Et quand on fait cette démarche, après, on peut légitimement trouver des solutions.
- 3ème point : Il faut que tous les pans de la société se mobilisent et il faut se donner les moyens d’agir.
C’est un peu le sens de cette première consultation : Il faut écouter les gens, expliquer aux gens, sensibiliser les gens et les 6500 réponses que nous avons eues, pour cette première consultation, sont bien la preuve que la prise de conscience est en route et qu’il nous faut continuer cet effort de pédagogie, de concertation et de mobilisation.
La solution du problème de l’eau ne peut pas venir que d’en haut. Bien sûr, nous espérons beaucoup de la prochaine loi sur l’eau qui devrait renforcer le rôle des comités de bassin ; Bien sûr, nous définirons, prochainement, avec Madame La Ministre, les grandes orientations pour les 5 années à venir ; Bien sûr, nous travaillons dans des cadres bien définis par l’Etat ou l’Europe……
Mais vous le savez, nos dirigeants, nos élus, la France, l’Europe peuvent donner des orientations, éditer des directives et promulguer des lois….. Si le citoyen, particulier, industriel, agriculteur et élu, ne prend pas conscience du danger et ne fait pas les efforts nécessaires, les lois, les diktats ou les recommandations ne servent à rien. La solution sera entre nos mains quand la volonté sera dans nos têtes.
- 4ème point : Nous devons impérativement penser à la coopération internationale, pour tout ce qui est problèmes d’eau. Je ne pouvais faire autrement que de vous en parler, le jour de l’ouverture du Forum Mondial de Mexico. Que 40% de la population mondiale ait un accès restreint à l’eau est difficilement pensable, mais que 4000 enfants meurent chaque jour, c’est franchement insupportable. Dans un mois, le Comité de Bassin Artois Picardie installera une nouvelle commission chargée de l’aide internationale avec les pays qui ont des problèmes d’eau. Faire partager notre expérience, apporter notre savoir faire, apporter des aides techniques et financières…. Voilà le minimum que nous pouvons faire, voilà le minimum que nous devons faire.
Depuis que le monde est monde, depuis que l’homme vit sur cette planète, nous avons vécu des tournants, avec de grands changements, avec des moments d’exaltation, avec des moments d’incertitude mais toujours avec un seul leitmotiv : le progrès de l’homme. Aujourd’hui, nous savons que le progrès de l’homme ne peut passer que par la prise de conscience de certains objectifs vitaux, avec un changement complet de nos comportements et une modification totale de notre façon d’utiliser notre environnement.
Alors, on s’adresse à tout le monde…. En ne se faisant pas trop d’illusions. Car nous savons tous que le meilleur investissement pour régler le problème de l’eau, ce n’est pas un investissement financier, c’est bien un investissement dans les enfants, dans la jeunesse, dans ceux qui ne sont pas encore ancrés dans de mauvaises habitudes.
Eux sauront changer de comportement.
Eux sauront regarder la nature autrement.
Eux sauront avoir le réflexe qui n’est pas environnementaliste, qui n’est pas écologiste, qui n’est même pas politique…. Ils auront le réflexe et l’esprit citoyen.
Mesdames et Messieurs. J’ai dit, dernièrement, que le seul rôle d’un Président de Comité de bassin, c’est d’être un apôtre de l’eau, de prêcher et de rappeler que tout n’est pas inéluctable. Je vous demande, sincèrement, d’être aussi les apôtres de l’eau, d’être les porteurs de la bonne parole, d’être des bâtisseurs d’avenir. Et si, chacun d’entre nous, amène sa petite pierre à cette ambition collective, nous pourrons réussir à léguer un monde dont nous n’avons pas honte, dont nous n’aurons plus honte.
Merci de votre mobilisation, merci de votre engagement, merci de votre implication, merci d’être les défenseurs de l’eau. Merci à tous nos partenaires, merci à l’éducation nationale, merci d’avance à tous ceux qui nous rejoindront… Ce combat, nous devons le gagner ; ce combat, nous pouvons le gagner….. Mais nous ne pourrons le gagner que tous ensemble, j’en suis certain. Une ambition collective pour un monde meilleur…. Pourquoi pas ! Je sais que ce matin, un intervenant a dit que l’optimisme, dans les problèmes d’eau, s’apparentait à de la naïveté. En tant qu’homme, j’assume la naïveté ; en tant que citoyen, je revendique l’optimisme ; en tant qu’élu, j’ai besoin de l’utopie. Car certains me diront : quelle belle utopie que tout cela !…. Ce à quoi, comme d’habitude, je répondrai : Le progrès n’est que l’accomplissement des utopies. Alors, Mesdames et Messieurs, si vous le voulez bien, soyons utopistes, tous ensemble, pour nos enfants.
/ Hervé Poher