« Héloïse sait bien que la barbe fleurie
N’est pas le résultat de ce qu’on en dit. »
Pièce n°9 pour confiné : « De l’utilité d’être manchot. »
Année 800, Aix la Chapelle.
LE NARRATEUR :
C’est à Aix la Chapelle, durant l’année huit cent,
Que se passe notre histoire. Depuis trente-deux ans,
Charlemagne règne en maître, sur un énorme empire.
Il voulait réformer…Depuis, on a vu pire !
CHARLEMAGNE : ¨
Ministre Héloïse, te voilà donc quand même !
Comme à ton habitude, tu m’amènes des problèmes ?
HELOÏSE :
Je n’y peux rien, Seigneur ! C’est votre volonté
De vouloir, à tout prix, créer et réformer.
Dans une société qui est bien installée,
Tous les conservateurs se plaisent à critiquer.
CHARLEMAGNE :
La critique est facile, gérer c’est difficile !
Je crois que mon empire est peuplé d’imbéciles.
Ils inventent des histoires, toujours à mon sujet :
Je bois bien trop de vin ! Je suis un débauché !
Et je fais disparaître mes ministres enrhumés !
J’emploie des gens au noir, pour ne pas déclarer !
Je monte même des magouilles avec des usuriers….
Non ! C’est vraiment usant et j’en suis irrité.
La critique des médiocres finit par me lasser
HELOÏSE :
Mais, Seigneur, c’est une chance d’être toujours critiqué.
« Dites du bien, dites du mal, le tout c’est d’en parler ! »
Et de ce côté-là, vous êtes plutôt gâté.
CHARLEMAGNE :
Pour la publicité, je n’ai rien à redire.
On ne parle que de moi au sein de mon empire.
Mais tous ces opposants, aux cerveaux limités,
Commencent à me sortir par les deux trous du nez.
Mais venons-en au fait. Je suis pris par le temps.
Quelgugus, mon barbier, arrive incessamment.
HELOÏSE :
Je serai brève, Seigneur. Juste un rapport succinct
Sur ce qui va très mal et sur ce qui va bien.
CHARLEMAGNE :
Commencez, Héloïse, par les bonnes nouvelles !
HELOÏSE :
Sire Duruc est tombé la tête dans sa poubelle.
CHARLEMAGNE :
La poubelle recevra l’ordre de la nation !
HELOÏSE :
Mais Duruc s’est fait mal, il s’est blessé au front !
CHARLEMAGNE :
Dans un concours d’idiots, Duruc serait champion.
Et en plus, il est sale comme un vieux chef saxon.
Une ordure comme Duruc blessé par une poubelle,
C’est indéniablement la meilleure des nouvelles.
Ensuite !
HELOÏSE :
……………Dame Gertrude a beaucoup de vapeurs.
Certains disent, méchamment, qu’elle ne sent pas la fleur.
CHARLEMAGNE :
Mais, si je comprends bien, elle doit sentir mauvais ?
C’est normal ! Elle ne sait pas comment se laver.
HELOÏSE :
Dernière nouvelle, enfin. Les impôts rentrent bien,
Et surtout la gabelle. Les coffres sont presque pleins.
CHARLEMAGNE :
Les gens sont mécontents ?
HELOÏSE :
…………………Bien sûr, c’est un impôt !
CHARLEMAGNE :
Mais j’en ai le besoin !
HELOÏSE :
…………………Pour eux, c’est toujours trop !
CHARLEMAGNE :
Mais comment peut-on faire, dans ce pays radin
Pour oser des réformes et les mener à bien ?
L’empire est fatigant, avec trop de peuplades.
HELOÏSE :
Oui, en diversité, vous avez la pléiade.
CHARLEMAGNE :
Héloïse, continue.
HELOÏSE :
……………………..Je me dois, oh Seigneur
De vous alerter sur un risque de malheur.
CHARLEMAGNE :
Un malheur ! Qu’est ceci ?
HELOÏSE :
……………………………..Au sujet de l’école
Qu’il nous faut réformer. Déjà du temps des Gaules,
Tous nos prédécesseurs s’y étaient embourbés.
L’école, ça fait sauter les ministres trop zélés.
L’éducation est une spécialité bizarre.
Quand on veut réformer, ça fout un vrai bazar.
CHARLEMAGNE :
Mais qui donc ne veut pas de ma carte scolaire ?
HELOÏSE :
Tout le monde la critique…Elle n’a pas l’heur de plaire !
CHARLEMAGNE :
Et les nouveaux programmes ! Ça, c’est intelligent !
HELOÏSE :
Ils ne plaisent pas du tout au groupe des enseignants !
Les précepteurs sont contre. Ils disent que, maintenant,
On oublie que la foi, c’est le plus important.
CHARLEMAGNE :
La foi ! Et quoi encore ! S’ils continuent comme ça,
Je vais leur imposer l’éducation d’état.
Mais quel est ce pays où, quand on veut changer,
On se heurte toujours au clan des mal lunés.
HELOÏSE :
C’est pas partout pareil ! Seulement l’éducation !
CHARLEMAGNE :
Mais je n’accepte pas toutes leurs motivations!
J’ai créé une école, pour aider la culture ;
On y enseigne l’histoire, la foi et la droiture.
J’ai formé tous les gens qui doivent y enseigner ;
Je leur donne des moyens pour qu’ils puissent travailler.
Et quand je parle réforme, ils veulent défiler !
Le bordel intégral, c’est leur spécialité.
Ce pays m’horripile, m’exaspère et m’embête ;
Ce pays est foutu. Héloïse……….. On arrête !
HELOÏSE :
Arrêter quoi, Seigneur ?
CHARLEMAGNE :
………………..De vouloir réformer !
Je ne vois pas pourquoi je me fatiguerais !
Puisque le peuple franc est heureux dans sa boue,
Je l’y laisse volontiers et vais planter mes choux.
Mais où est Quelgugus ? Il est bien en retard !
C’est un barbier sérieux…Son absence est bizarre.
HELOÏSE :
Justement, Monseigneur, j’ai une mauvaise nouvelle.
Je n’osais l’annoncer car elle n’est pas de celles
Que vous aimez entendre. Quelgugus n’est pas là
Car, dans un accident, il a perdu ses bras !
CHARLEMAGNE :
Non, mais vous déraillez ! Mon barbier préféré !
HELOÏSE :
Hélas, seigneur ! C’est vrai. Alors qu’il s’en venait,
Pour vous raser la barbe, il fut accidenté.
Un chariot plein de bois, conduit par un homme saoul
Le fit trébucher et il passa sous les roues.
CHARLEMAGNE :
Quelle horreur ! Le pauvre homme !
HELOÏSE :
……………………………..Transporté au palais,
Dans un état critique, il y fut amputé,
Car ses deux bras étaient par trop dilacérés.
CHARLEMAGNE :
Mais qui va me raser ? C’était un bon barbier !
HELOÏSE :
Si vous voulez, Seigneur, je veux bien essayer.
CHARLEMAGNE :
Pas question, Héloïse ! Vous êtes trop maladroite.
Et ce jour, pour mourir, n’est pas une bonne date !
Ca ferait trop plaisir à tous les précepteurs
Qui espèrent en secret, que m’arrive un malheur.
Si en plus de l’école, vous me tranchez le cou,
Mon destin national restera un peu flou.
HELOÏSE :
Seigneur, je suis peinée d’entendre de tels propos !
CHARLEMAGNE :
Ce n’est rien, Héloïse. Je réfléchis tout haut….
Mais je suis embêté. Par qui me faire raser ?
C’est le genre de travail qu’on ne peut pas bâcler.
Dans tout mon entourage, je n’en connais pas un
Qui ait assez d’adresse et un bon tour de main
Pour pouvoir me raser, sans risques pour mon cou.
HELOÏSE :
Le sieur Bertrand DULAC est assez à mon goût.
CHARLEMAGNE :
Tous vos libertinages ne m’intéressent pas !
Je n’ai aucune envie d’accéder au trépas.
Alors…. J’ai décidé de ne plus me raser !
Les risques seront moindres…Je serai rassuré !
HELOÏSE :
Mais Seigneur, votre barbe va devenir énorme !
Il faudra bien quelqu’un pour lui donner une forme.
CHARLEMAGNE :
C’est comme l’enseignement ! Il ne faut rien toucher.
Même si ça ne va pas, il faut bien l’accepter.
Moins on remue les choses et plus ils sont contents.
C’est pareil pour ma barbe qui poussera longtemps.
HELOÏSE :
Seigneur, vous êtes un sage. Et dans des décennies,
On dira « Charlemagne à la barbe fleurie ».
CHARLEMAGNE :
Je ne sais vraiment pas ce qu’on dira de moi ;
Mais pendant des années, ma barbe poussera !
Et comme j’ai décidé d’arrêter les réformes,
On dira : « Charlemagne savait manier les hommes ! »
EPILOGUE DE : DE L’UTILITE D’ETRE MANCHOT.
LE NARRATEUR :
Eh oui, c’est comme ceci que se construit l’histoire.
Bien sûr, je vous l’accorde, c’est difficile à croire.
Et pourtant, Charlemagne avait la barbe fleurie.
Vous pouvez essayer…ça peut changer la vie.
Charlemagne a laissé, pendant de longues années,
Sa barbe s’enrichir et même s’embroussailler.
Ce fut un grand empereur, conquérant, cultivé,
Mais il n’a plus revu le profil d’un barbier.
Héloïse, la ministre, après cet épisode,
Voulu continuer, en changeant de méthode
A faire une réforme du groupe des enseignants.
Dans une échoppe de verres, c’était un éléphant !
Elle fut donc limogée pour trop d’acharnement.
Charlemagne avait dit : « Il faut prendre le temps,
Le temps de discuter avec nos adversaires.
Et si ça râle, il est urgent de ne rien faire ».
Quelgugus, quant à lui, fut un homme honoré.
Il avait tous les droits et toutes libertés.
Ce qu’il avait subi était don du destin ;
C’était comme une idole, avec les bras en moins.
Ce qui veut dire, mes chers, que pour pouvoir régner,
Il ne faut surtout pas vouloir tout réformer.
Héloïse a payé pour vouloir tout changer,
Quelgugus fut aimé car il était barbier.
Cette histoire un peu folle est pleine d’enseignements :
Si un jour, vous voulez être au gouvernement….
Surtout pas de réformes car adieu les cadeaux !
Faites celui qui se barbe et devenez manchot.
Toutes ces histoires écrites pendant le confinement
Sont réservées, bien sûr, à mes petits-enfants.
Même s’ils sont un peu jeunes pour saisir les tenants,
Ils comprendront tout ça quand ils seront plus grands.
Papy Poher