Visite de Madame Olin; Préfecture à Lille
Madame la Ministre.
Et je dis bien, Madame la Ministre, car si on veut changer les mentalités, il faut d’abord changer les règles de l’orthographe….
Permettez-moi, très simplement et très humblement, au nom des membres du Comité de Bassin Artois-Picardie, de vous souhaiter la bienvenue dans le nord de la France. Et quand je dis Nord, je ne parle pas uniquement du département du Nord ; je veux, bien entendu, aussi parler du Pas-de-Calais, de la Somme et d’une partie de l’Aisne… Bref, de toutes les composantes de notre bassin Artois- Picardie. Et comme de toute façon, dès qu’on se situe au dessus de Paris, les gens disent le Nord…
Il m’échoie le devoir de vous présenter ce bassin, avec son histoire, ses caractéristiques, ses forces et ses faiblesses. Mais je dois vous avouer, qu’en préparant cette intervention, j’étais très partagé entre deux stratégies : vous parler de l’histoire industrieuse de cette région, avec ses stigmates et ses difficultés économiques ou vous montrer le dynamisme et la volonté qu’ont les responsables et les habitants pour essayer de sortir de cette spirale qui pourrait s’assimiler, parfois, à une fatalité. Je ne peux faire autrement que de faire les deux.
Il y a, dans l’esprit des gens et dans les médias, des images et des clichés qui nous collent à la peau. Le plat pays, avec un ciel gris, des gens miséreux et des affaires sordides….. Sincèrement, le grand Nord de la France, ce n’est pas cela.
- Oui, notre passé industriel a laissé des traces, mais ce passé, nous en sommes fiers et nous le revendiquons.
- Oui, nous avons subi des chocs importants : choc du charbon, choc de la métallurgie, choc du textile et j’en passe… Mais notre situation géographique, notre environnement et notre volonté sont autant d’atouts que nous devons et que nous saurons exploiter.
- Oui, nous sommes une très grande région agricole, avec ses problèmes et ses incertitudes, mais nos agriculteurs sauront assumer les mutations indispensables.
Tout cela pour dire, Madame la Ministre, que tous ces clichés médiatiques qui caractérisent tout ce qui est au nord de Paris, ne reflètent pas la réalité des choses et le vécu de ses habitants.
Laissez-moi, très rapidement, vous présenter ce bassin Artois-Picardie.
Nous sommes les plus petit de la famille métropolitaine. Avec 19600 km2, nous représentons 4% de la surface du territoire national; mais avec 4 millions 700 milles habitants, nous avons presque 8% de la population. Ce qui veut dire, très naturellement, que notre densité de population est 2.5 fois supérieure à la densité nationale ou européenne.
Comme je vous l’ai déjà dit, nous sommes une grande région agricole : 70% de notre territoire est occupé par l’agriculture, alors que la moyenne nationale n’est que de 55%.
Chez nous, pas très grands fleuves d’envergure nationale, mais tout un réseau de rivières, de petits cours d’eau canalisés et un maillage de canaux unique en France. De plus, nous avons un système très particulier, à l’extrême nord du bassin, qu’on appelle le réseau des wateringues et qui permet d’évacuer l’eau des terres situées sous le niveau de la mer. Cette mer qui fait partie de notre histoire et qui est, aussi, un de nos atouts majeurs.
95% de l’eau potable vient de nos nappes d’eau souterraines. C’est une chance pour nous, c’est un cadeau que nous a fait la nature et c’est une richesse dont nous sommes parfaitement conscients.
Je l’ai dit et vous le savez : Même si nous sommes une grande région agricole, ce qui a marqué notre passé, c’est l’omniprésence de l’industrie lourde ; c’est le choc des restructurations et c’est l’impact socio-économique sur nos populations.
- De cette histoire glorieuse, il nous reste beaucoup de friches industrielles, des soucis avec les sédiments toxiques et des problèmes dans l’ex bassin minier avec des affaissements et des désordres hydriques.
- De cette histoire humaine, il nous reste quelques chiffres qu’il est important de connaître :
· Un taux de chômage supérieur de plus de 3 points à la moyenne nationale
· Le PIB est inférieur de 20% au PIB moyen national
· Et je n’ose même pas vous parler des indices sanitaires qui sont les plus mauvais de France.
- Et paradoxalement, Madame la Ministre, le prix de l’eau, chez nous est cher : 3,40 Euros le m3, en moyenne, c’est-à-dire 15 % de plus que la moyenne nationale.
Devant de tels chiffres, vous devez vous dire que :
- soit le président du Comité de Bassin, que je suis, exagère un peu,
- soit qu’il est tombé dans le catastrophisme et l’image négative que je dénonçais, tout à l’heure. Non, Madame la Ministre, cela est un diagnostic objectif du territoire et cette réalité, nous l’assumons et elle nous motive encore plus.
Nous sommes en train de préparer le 9ème programme. Le Sénateur Paul Raoult, président de la commission programme vous en parlera plus en détails. Mais sachez, Madame la Ministre, que nous y avons déjà bien travaillé, que la stratégie est définie, que les enveloppes sont préparées et que nous ambitionnons d’être les bons élèves de la classe. Dans cette démarche de préparation du 9ème programme, Monsieur Strébelle, directeur de l’Agence, a l’habitude de dire que nous sommes raisonnables et vertueux. Mais ce n’est pas étonnant car notre riche passé historique nous a légué les gênes de la raison et de la vertu… Toute modestie mise à part.
Avant d’en terminer, permettez-moi, Madame la Ministre d’évoquer deux sujets qui me tiennent, particulièrement à cœur.
Parmi les nombreux défauts que je revendique, j’en ai un auquel je tiens particulièrement : je suis un indécrottable optimiste.
- Et lorsqu’on me parle d’eau, en me disant que nous n’arriverons pas à respecter les prescriptions de la Directive Cadre, je réponds systématiquement qu’un décideur, qu’un responsable ou qu’un élu qui, dès le départ, dit qu’il ne croit pas à la réussite de son action n’est pas digne de son poste.
- Quand on me dit que croire que l’on puisse réussir un tel challenge est une vaste utopie, je réponds inlassablement qu’ici comme ailleurs, le progrès n’est que l’accomplissement de nos utopies.
Oui, Madame la Ministre ; je crois, comme beaucoup d’entre nous, en l’action publique, je crois qu’on peut changer les choses, je crois que dans une démarche de développement durable, et en particulier, dans le domaine de l’eau, nous pouvons et nous devons gagner.
Mais pour gagner, il faut s’en donner les moyens. Et dans le domaine de l’eau, nous ne gagnerons que si nous maintenons une dynamique collective associant les collectivités locales ou syndicats qui sont les maîtres d’ouvrage, l’Agence de l’eau qui est un financeur indispensable et les Conseils Généraux qui sont des partenaires incontournables.
Les hasards de la vie font que je suis Président du Comité de Bassin, Maire d’une commune située sur un champ captant irremplaçable et vice-président du Conseil Général du Pas-de-Calais, chargé de l’environnement. Je participe donc aux 3 éléments de la dynamique. Et à ce titre, permettez que je défende 2 principes.
Le premier, c’est le principe de contrat de ressource. Les urbains viennent, dans la majorité des cas prendre l’eau dans le monde rural et c’est les ruraux qui doivent assumer tous les travaux de protection des champs captants. Même avec l’aide de l’agence et des conseils généraux, la facture est parfois lourde et, bien souvent, vous le savez, la ruralité n’est pas riche. Que quelques centimes d’Euro soient demandés au consommateur pour être reversés à celui qui protége, ce n’est que justice. Personne ici ne peut dire le contraire.
Je ne connais pas un élu rural qui refuse de faire… Encore faut-il lui donner les moyens de faire. Le contrat de ressource n’est plus une nouveauté ; j’espère simplement que, pour fortifier cette dynamique collective, certains décideurs comprendront que la solidarité ne peut pas toujours être à sens unique.
Autre sujet essentiel et qui est d’actualité : la loi sur l’eau. Et un point particulier de cette loi sur l’eau : La création ou la non création d’un fond départemental.
Madame la Ministre, je vous l’ai dit : dans ce bassin, l’espace rural est important. Et dans les années à venir, c’est dans l’espace rural que nous aurons le plus de travail à faire, d’actions à mener, de gens à persuader.
Mais, Madame la Ministre, de par votre expérience, vous savez comment fonctionne un élu local et vous savez que, bien souvent la carotte est plus efficace que la bâton.
*Il faut tout faire pour que les aides aux maîtres d’ouvrage soient au maximum ;
*il faut tout faire pour que nous puissions impliquer le maximum de collectivités.
Et les départements sont prêts à s’investir encore plus, mais faut-il leur en donne les moyens. La création d’un fond départemental, par l’intermédiaire d’une taxe affectée, permettrait d’aller encore plus loin, d’aller encore plus vite, donnerait à l’union agence-département une capacité d’intervention qui est devenue indispensable. Les départements sont demandeurs et en assumeraient l’éventuelle mais très hypothétique impopularité.
Vous savez, Madame la ministre que les départements ont des choses importantes à gérer et des problèmes difficiles à régler. La création d’un fond départemental permettrait de mettre l’eau, encore plus au centre de nos préoccupations. J’espère que tous nos députés sauront, dans ce dossier, être volontaristes et pragmatiques.
Voilà, Madame la Ministre. J’en ai terminé.
Vous avez osé monter dans le grand nord : je vous en félicite. Mais permettez-moi une note d’humour. Car vous êtes venue, soit disant pour nous parler d’eau. Mais je subodore une tout autre raison et, surtout, ne le prenez pas mal : Vous êtes venue pour nous observer et pour étudier les mœurs des gens du Nord. C’est compréhensible car, en plus des clichés négatifs qui nous collent à la peau, nous avons une réputation qui est attachée à nos semelles…. Nous avons, en effet, la réputation d’être, parfois, un peu ours…. Mais les ours que vous avez devant vous, ne viennent pas de Slovénie et n’ont pas besoin d’être mis en cage… Du moins, pas aujourd’hui, je vous rassure… Et vous verrez, vous n’aurez aucun mal pour les libérer.
Madame la Ministre ; Encore une fois, bienvenue dans le bassin Artois-Picardie et sachez, que même dans un pays qui a décidé la séparation de l’église et de l’Etat, vos paroles seront, pour nous tous, des paroles d’évangile.
/ Hervé Poher