Le 23 juin 2016, le Sénat a délibéré à l’unanimité (avec quelques abstentions et de nombreux fauteuils vides…) afin d’avoir l’autorisation de porter plainte contre un journaliste ayant fait publier un livre : « Le Sénat. Un paradis fiscal pour des parlementaires fantômes ». Je fais partie de ceux qui se sont abstenus. Explication de vote.
Cette abstention est l’expression d’un doute, teintée de certitudes. Doute sur l’utilité d’une telle démarche ; certitudes sur l’effet bénéfique qu’en tirera l’auteur. En effet, je suis à peu près sûr qu’une plainte portée par le Sénat aura un effet contre-productif… Et cela à deux niveaux.
Premier niveau : Nous vivons dans une société médiatique, de communication et d’images, de buzz et de scandales… Et tout cela de façon presque instantanée, en permanence et en abondance. Si bien que l’information est devenue un produit très éphémère : « Vite avalé, vite digéré, vite oublié. » Le seul moyen d’exister et de perdurer dans ce fouillis d’information et de publications, c’est qu’on parle de vous : « Dites du bien, dites du mal… Le principal c’est d’en parler ! » .
Ce type de livre, sorti début juin sera déjà en solde ou d’occasion fin juin. Le fait de porter plainte contre l’auteur et, à fortiori, une plainte portée par le Sénat, va permettre de reparler de lui et de lui procurer une publicité gratuite. Ce qui n’est pas le but de la démarche.
Second niveau : Il est presque certain que, quel que soit le résultat de la démarche judiciaire, les journaux titrerons : « Plainte du Sénat : preuve qu’ils veulent garder une certaine opacité et certains avantages. ». On aura beau expliquer que certaines affirmations sont erronées, que certains chiffres sont faux et que beaucoup d’anathèmes sont prononcés sans preuves… Tout le monde dira : Ils ont vraiment quelque chose à cacher ! Et même s’il y a condamnation de l’auteur, celle-ci passera inaperçue.
Dernière chose. Que des sénateurs (rices) cités dans ce livre portent plainte, c’est normal et c’est compréhensible… Mais à titre individuel. Certaines attaques sont, en effet, anormales : Reprocher à un(e) sénateur (rice) d’être absent pendant X semaines alors que tout le monde savait qu’il (elle) était hospitalisé(e) pour des problèmes graves… Dire que telle ou telle personne « empoche » telle ou telle somme sans avoir vérifié… Se baser sur les données d’un site, qui n’est pas le site officiel du Sénat, et qui est truffé d’erreurs… Je comprends mes collègues qui veulent réagir.
Bref, ce livre ne mérite pas qu’on lui fasse autant de publicité. Voilà pourquoi, nous sommes quelques-uns à nous être abstenus.
Hervé Poher