(Enregistrement de l'intervention)
Sénat, le 09 juin 2016
"Plutôt que de jongler avec des acronymes financiers que plus personne n’arrive à traduire, permettez-moi, tout simplement de vous raconter une histoire qui pourrait s’appeler : « La folle vie intime de la petite communauté de communes. » et pour gagner du temps, si vous le voulez bien, je l’appellerai « Petite CC ».
La petite CC a vu le jour en 1997… pas très loin d’une grande ville. Plutôt rurale : Bourg-centre de 5000 habitants, la plus petite commune : 80 habitants, le tout noyé dans une agriculture omniprésente.
Au départ, son père fondateur voulait qu’elle soit un peu plus grande pour pouvoir montrer un certain poids face à l’agglomération voisine ; mais c’était sans compter sur quelques vieilles rancœurs ancestrales, sur une politisation inadéquate et sur un préfet qui n’avait pas vraiment aidé en disant, en CDCI, que « Jamais l’état n’obligerait une commune à adhérer à une structure intercommunale contre son gré… ». Mais on était en 1997 !
…
La petite CC a donc été créée : 15 communes, 16 000 habitants et pendant 16 ans, les élus et les populations vont apprendre à travailler ensemble, à penser ensemble, à inventer ensemble dans un véritable territoire de projets …
Et tout cela se passait de façon harmonieuse, à part un faux pas dans le "monde impitoyable des ordures ménagères", façon harmonieuse sans trop de pression fiscale… Bien sûr, la petite CC n’était pas très riche mais tout le monde s’en accommodait… De toute façon, l’esprit d’expérimentation faisait que les subsides arrivaient facilement de la Région, du Département, de l’Etat et même de l’Europe… Bref, ça marchait bien.
Chapitre 2 de mon récit : un premier mariage…
En 2013, la petite CC avait à peine 16 ans. Un jour, le préfet du département lui demanda : « Voulez-vous nous rendre un service ? Il y a, à côté de chez vous, une CC qui n’est pas très bien financièrement et nous allons la faire disparaitre. Pouvez-vous intégrer 8 de ses communes ? »
Considérant cela comme une preuve de confiance, la petite CC accepta… Mais là, commencèrent à apparaitre quelques problèmes : intégration du personnel, taux d’imposition différents, et chez les entrants, avantages financiers issus de leur vie antérieure mais avantages qu’il était impossible de maintenir… Heureusement, c’était une intégration et dans une intégration, les entrants doivent, si possible, essayer de respecter les conditions du recevant.
En 2014, la petite CC passe donc de 15 à 23… après un mariage qu’on pourrait qualifier de « mariage de commodité » et une gymnastique financière assez tortueuse.
Chapitre 3 : Un second mariage sous la bénédiction de la loi NOTRe
La nuit de noce à peine passée, le gouvernement invente une nouvelle organisation de la république.
Or à côté de notre petite CC, il y a un autre EPCI qui doit disparaitre parce que trop petit. Donc second mariage proposé…
Mais cet EPCI voué à la disparition a quelques caractéristiques : Petit certes mais très, très riche et sachant qu’il allait disparaitre, il a distribué, depuis des années, des attributions de compensation très généreuses à ses communes membres ; en plus, il y a éclatement de cet EPCI car tout le monde ne veut pas partir en rural ! Et un éclatement, ça complique les choses !
La petite CC va donc passer de 23 à 28 et on est en train d’élaborer le contrat de mariage, pour début 2017, mais pour faire un contrat, il faut avoir des chiffres… Que l’on n’a pas !!! Ou qu’on essaye de deviner.
Impossible d’avoir une prévision de la DGF ! Impossible d’avoir une estimation du Fond de Péréquation sachant que la petite CC était bénéficiaire et que la communauté qui disparait était, elle, fortement contributrice !
En plus, au fil du temps, on découvre des absurdités : l’arrivée d’une commune très riche dans cet EPCI plutôt pauvre va obliger ce nouvel EPCI à contribuer au Fond National de garantie individuel des ressources… Et la commune anciennement riche voudra, légitimement, garder son attribution de compensation… Si bien que notre petite CC qui se marie avec une commune riche risque d’être plus pauvre qu’avant !
Et je ne parle même pas des attributions de compensation… Car dans notre réglementation française, il est très facile de les augmenter mais pour les diminuer, c’est autrement plus difficile et autrement encadré….
Et je vais arrêter là la liste des problèmes et des angoisses que peuvent vivre certaines petites structures…
Imaginez ! 2 mariages en 3 ans ;
3 périmètres différents en 4 ans et un flou financier qui n’a rien d’artistique ! Même si on ne se marie pas pour l’argent, ça compte quand même.
Aussi pour conclure, permettez-moi de rappeler que, dans le cadre de la réforme, tout le monde est prêt à apporter sa pierre à l’édifice mais en n’oubliant jamais quelques principes :
En un, une intercommunalité, ce n’est pas uniquement un trait de stabilo sur une carte.
En deux, se rappeler que l’osmose, ça ne se fait pas naturellement et il faut toujours laisser un peu de temps.
Ensuite, savoir que Les ordinateurs ne manient que des chiffres et des algorithmes, ils ne connaissent pas bien l’humain et omettent le poids du vécu local.
Et pour terminer, attention de ne pas tomber dans ce travers qui dépersonnalise notre société : société où les stéréotypes ont tué les idées, où les chiffres ont tué les mots et où les comptables ont, malheureusement, tué les philosophes."
Hervé Poher