Arras le 20 mai 2014. Séance plénière
Pour être franc avec vous, je suis, depuis quelques semaines légèrement troublé. En effet, je pensais avoir une certaine expérience du monde politique, de ses pratiques et de son fonctionnement. Mais là, je dois l’avouer, j’ai eu un peu de mal à comprendre ce que disaient certains de nos responsables nationaux : Problème de linguistique sans doute… Problème de traduction peut-être… Problème de presbyacousie pourquoi pas !…
En effet, annoncer brutalement la suppression des conseils départementaux, sans consultation, sans concertation, sans en avoir prévenu les premiers intéressés, sans élaboration d’un plan de transfert un tant soit peu discuté… Bref, nous asséner tout cela, comme cela… Je me suis dit : « Soit j’ai loupé un épisode, soit il y a quelque chose que je n’ai pas saisie. »
Fallait-il que j’exprime mon doute ? Fallait-il que je dénonce certaines choses sachant que ma façon de faire est violente et parfois incomprise… Je fais souvent à la viking : on met un grand coup de hache au milieu du crâne et on discute après. Aussi, ce que je vais vous dire ne doit aucunement être pris comme un manque de respect vis-à-vis de notre président ou de notre gouvernement, mais il y a quand même des dysfonctionnements de la démocratie qu’on se doit de dénoncer.
Aussi devant cette interrogation, cette inquiétude, voire ce désarroi… Vous en êtes témoins… J’ai décidé de prendre le bœuf Highland par les cornes et je me suis procuré un ouvrage qui devrait être le livre de chevet de beaucoup d’entre nous : « La politique pour les nuls. » Ne riez pas, je l’ai là !
Et dans ce livre, j’ai cherché quelques réponses à mes incompréhensions et à mes angoisses. En effet, le discours que j’ai entendu ne correspondait pas à ce que j’attendais… ni sur le fond, ni sur la forme.
Et si vous le voulez bien, je ne m’attacherai, moi, que sur la forme, mes collègues insisteront sans doute sur le fond.
Ce livre est, en effet, un beau manuel de stratégie politique. On y teste d’abord notre culture politique, en nous posant quelques questions relativement faciles :
Question 1 : Qui a dit, en mars 2012, en campagne électorale à Dijon :
« Les départements sont incontournables. Ils ont le rôle d’assurer et de renforcer les solidarités sociales et territoriales et ils n’y parviendront que si ces Conseils Généraux disposent de nouvelles ressources. Il y a 30 ans, c’étaient encore les préfets qui étaient les exécutifs des départements ; maintenant ce n’est plus le cas. »
Question 2 : Qui a dit, en octobre 2013, à Lille :
« La France a besoin de ses départements. Ils sont un échelon de mutualisation des moyens d’action que beaucoup de collectivité ne peuvent s’offrir individuellement. »
Question 3 : Qui a dit, le 18 janvier 2014, à Tulle ?
« Je ne suis pas favorable à la suppression pure et simple des départements, comme certains le réclament, car des territoires ruraux perdraient en qualité de vie, sans d’ailleurs générer d’économies supplémentaires. »
Dernière question enfin : Qui a dit, le 8 avril 2014, à Paris :
« Disparition des conseils départementaux à l’horizon 2021. »
C’est vrai que quand vous affichez les réponses, certaines incohérences apparaissent et cela doit vous troubler. Mais il peut y avoir 2 explications à cette cacophonie : Ou tous les gens qui ont parlé n’ont pas la même culture politique… Personne n’est parfait… Ou, éventuellement, le printemps a amené des bourgeons sur les arbres et des idées incongrues dans certaines têtes.
Un peu plus loin, dans ce livre, on trouve un glossaire du langage politique… Parce c’est essentiel d’avoir la même définition des mots et d’avoir la même compréhension des expressions… Sinon, il peut y avoir des malentendus et des malentendus, dans une même famille, ça fait désordre et il y en a qui pourraient se sentir exclus … Les journalistes pourraient même y voir des couacs.
En effet, il faut savoir ce qu’on met derrière le mot rêve, le mot subsidiarité, le mot réformateur, le mot lisibilité, le mot message…
Justement, après les dernières élections municipales, tout le monde a dit, à droite comme à gauche : « Ces élections sont claires et nous avons tous reçu un message. »
Oui, c’est vrai qu’il y avait un message mais je crains que nous n’ayons pas tous entendu le même.
C’est à croire que Paris et la province ne dispose pas du même alphabet, de la même grammaire ou de la même grille de lecture.
Certains là-haut ont entendu un message fort. Alors ils ont pris des décisions : On serre tout et en particulier, on serre le cou des Conseils Départementaux… Jusqu’à ce que mort s’en suive.
Si c’était ça le sens du message, c’est vraiment une lecture Enarquo-parisianno-ubuesque… que l’on connaissait déjà, d’ailleurs. Comme l’a dit le sénateur, ancien ministre, Alain Richard dernièrement : « On sait que le gouvernement a changé mais on découvre que les cabinets sont restés les mêmes. »
Moi, c’est bizarre, comme vous, fin mars, je n’ai pas entendu la même chose. Moi, qui n’ai pas fait de cours de décodage électoral, moi qui a encore quelques orteils dans le terroir, moi qui écoute un tant soit peu les gens, j’ai entendu tout autre chose.
J’ai entendu un jeune homme qui a envoyé 50 Cv et qui n’a eu aucune réponse.
J’ai entendu un couple de retraités qui a travaillé toute sa vie et qui est obligé d’aller à l’épicerie sociale de Guînes. Ces 2 retraités y ont droit et y vont, mais en cachette car ils ont honte.
J’ai entendu, encore jeudi dernier, Marcel Levaillant en est témoin, cette femme qui a triché avec le RSA. Mais avec 2 enfants et un reste à vivre de 239 euros, comment voulez-vous que le CG la fasse rembourser.
Voilà ce que j’ai entendu, moi. Ce que j’ai entendu, c’est : s’il vous plait, plus d’attention, plus de compréhension, plus de solidarité, plus de proximité et plus d’espoir.
Et comme finalement, nos grands penseurs ont réalisé qu’ils avaient peut-être mal interprété le message et qu’à tout serrer, on finissait par étouffer, ils ont décidé, la semaine dernière, de lâcher un peu de lest sur les impôts… En parlant d’erreur du passé, de responsabilité et de lisibilité…
Alors puisque la mode est aux anaphores, je vais vous faire une anaphore :
On dit Lisibilité. Ce n’est pas un problème de lisibilité, c’est un problème de crédibilité.
On ne peut pas dire une chose et dire son contraire 3 mois après (en politique, il y a un laps de temps minimum à respecter) ; on ne peut pas écouter sans arrêt la haute administration et ne pas entendre la démocratie locale ; on ne peut pas façonner une réalité de terrain uniquement avec des algorithmes mathématiques.
On dit Lisibilité. Ce n’est pas un problème de lisibilité, c’est un problème d’effectivité.
Et l’État français n’a pas de leçon de logique et de pratique à nous donner, à nous les Conseils Généraux. Et depuis pas mal d’années d’ailleurs. Sous prétexte d’économies et de RGPP, et avec l’argument de la décentralisation, l’État s’est retiré de beaucoup de domaines essentiels pour nos concitoyens…
Et qui a fait le travail ? : Les collectivités locales et les collectivités territoriales. C’était le sens de la décentralisation. Mais l’Etat se comporte un peu comme Coluche qui disait : « Donne-moi ta montre et moi, je te donnerai l’heure. »
On dit Lisibilité. Ce n’est pas un problème de lisibilité, c’est un problème d’efficacité.
Un jour, un premier ministre a expliqué au monde politique ce qu’était la subsidiarité. C’est-à-dire le bon niveau de décision pour la meilleure efficacité. Alors : Pourquoi supprimer ce qui marche bien ? Pourquoi supprimer ce qui est efficace ? Pourquoi supprimer ce qui a fait ses preuves ?
Pour montrer qu’on est réformateur ? Pour montrer qu’on bouge ? Pour faire des pseudo-économies ? Pour montrer qu’on sait et qu’on ose couper des têtes ?
En tous cas, ce n’est pas à nous, à Arras, qu’on va apprendre le fonctionnement de la guillotine.
Dernière partie de mon livre.Partie la plus pensée, la plus façonnée, la plus réaliste… Une leçon de stratégie en 7 points, probablement issue du programme des grandes écoles et qui nous explique « Comment faire avaler une couleuvre ! », grâce aux petites phrases, grâce aux sondages, grâce aux médias.
Point 1 : Dire solennellement que la situation est devenue intenable, qu’on est à l’agonie financière et qu’on est au bord du gouffre.
Point 2 : Lancer discrètement dans les médias que l’État a fait beaucoup d’efforts mais que les collectivités, elles, n’ont pas été raisonnables et qu’elles dépensent l’argent public de façon inconsidérée.
Et en particulier qu’elles ont beaucoup trop embauché, alors qu’elles n’en avaient pas besoin… Tout le monde sait que le Président Dupilet a embauché à tour de bras, uniquement pour meubler les couloirs du Conseil Général qui semblaient un peu vides.
Point 3 : Expliquer malicieusement aux gens qu’il y a beaucoup de doublons. La semaine dernière, il était écrit, dans la presse, texto, que « 19,5% des budgets des collectivités ne servaient à rien parce qu’affectés à des doublons.»
Point 4 : Affirmer péremptoirement qu’il y a, principalement, un problème de lisibilité et qu’un mille-feuilles trop épais est souvent indigeste.
Point 5 : Publier fortuitement un sondage montrant que les pompiers ont la confiance des gens à 99% et que les « Politiciens », (ce n’est pas écrit élu politique ou homme et femme politique, il est écrit politicien), que les politiciens sont bons derniers avec seulement 13% de confiance.
Point 6 : Traiter négligemment, ceux qui ne sont pas d’accord, de conservateur et dire que de toute façon, les conseillers généraux sont des notables ringards, à la limite de la senescence et qu’ils souffrent de corporatisme.
Point 7 : Et en dernier, l’argument suprême… Nous dire innocemment« Vous ne pouvez pas être contre… L’opinion publique est pour ! ». On nous l’a déjà fait plusieurs fois, ce coup-là.
En nous menaçant, en plus, discrètement, ici d’une dissolution, là d’un référendum uniquement basé sur la vie des départements… Je croyais qu’il n’y avait que dans les pays de l’est ou en Afrique que l’on faisait des référendums dont le résultat est connu d’avance…
Voilà, mes chers collègues, je vous ai résumé ce livre.
Bien entendu, tout ce que je viens de dire n’est pas dans ce livre mais ça aurait pu y être car c’est du vécu.
Certains vont dire : « Il dit tout cela mais il parle pour son ventre… Il défend son poste ! ». C’est faux, Mesdames et Messieurs car je ne suis pas destiné à me présenter aux prochaines élections départementales si elles ont lieu.
Moi, je ne défends pas un poste, je défends simplement une institution qui marche, qui sait imaginer, qui sait être efficace et qui est utile au citoyen.
Une institution qui a assumé, depuis des décennies, des tâches sacrément difficiles… Et il fallait bien que quelqu’un le fasse.
Je défends aussi le droit de penser différemment et de le dire et de dire, en particulier, qu’il faut que la politique reprenne le pouvoir.
Et je défends surtout une institution où j’ai eu le plaisir et la fierté de remplir un vrai rôle d’élu avec des hommes et des femmes, fonctionnaires territoriaux qui ont fait leur boulot et qui le font bien.
Aussi, après les déclarations annonçant la fin des départements, permettez-moi de réaffirmer que nous sommes nombreux, ici, dans cette enceinte, à être ulcérés. Oui, je dis bien ulcérés. Ulcérés parce que depuis des années, dans cet hémicycle, nous avons essayé de dénoncer : L’hégémonie de plus en plus évidente de la technocratie sur la politique ; de dénoncer la mainmise des comptables sur les décisions politiques ; de dénoncer une certaine forme d’obscurantisme ministéro-politiquo-parisien ; et surtout de dénoncer l’omnipotence de la pensée unique.
Eh bien, nous venons de découvrir que, dans ce combat, nous avions certains handicaps car, indéniablement, les chiffres ont tué les mots, les stéréotypes ont tué les idées et les comptables ont tué les philosophes.
Et justement, pour en terminer, laissez-moi émettre une recommandation et une seule: il faudrait honnêtement que les promotions de l’ENA ne portent plus jamais des noms de philosophes. Des noms de mathématiciens ou de cabinets d’experts comptables seraient, à mon avis, bien plus appropriés. La simplicité voudrait qu’on les appelle simplement: promotion Bercy I, Bercy II, Bercy III….
Excusez si mon intervention peut vous sembler dure et très critique mais quand il y a un dysfonctionnement de la démocratie, qu’on soit petit ou puissant, on se doit de le dénoncer. Et là, il y a eu un dysfonctionnement technocratique de la démocratie.
Or il n’est pas interdit d’être intelligent, il n’est pas interdit d’être honnête, il n’est pas interdit d’être porteur de rêves quand on fait de la vraie politique. C’est quand même le message qu’on se doit de renvoyer à tous les électeurs du mois de mars. Et quitte à être montré du doigt, je préfère être caricaturé en savate plutôt qu’en godillot.
Mes chers collègues, le notable ringard et conservateur que je suis vous remercie de votre attention car je sais au moins qu’ici, elle est sincère.
Hervé Poher