ARRAS Séance plénière
Nous devons nous prononcer sur le PRS, Projet Régional de Santé, document transmis par l’ARS.
Exceptionnellement, nous vous proposons de ne pas rendre un avis formel. D’ailleurs, dans le projet d’ordre du jour, il est noté : « Rapport informatif ». Dire oui, serait une façon d’adopter ce projet sans surligner certaines insuffisances ou certaines maladresses qui nous semblent pourtant évidentes. Dire non, serait bloquer le système en passant par pertes et profits tout le travail effectué par certains et surtout ce serait renier toutes nos prises de positions depuis 15 ans… Parce que des positions, nous en avons prises… Même si le sanitaire n’a jamais fait partie de nos compétences.
Je vais essayer de vous expliquer pourquoi il semble judicieux de donner une réponse de normand, réponse qu’on pourrait formuler ainsi : « Pourquoi pas mais pas tout à fait comme cela ! ». Je sais bien que cette formule n’est pas habituelle dans une délibération, mais c’est la seule qui me semble adaptée à la situation.
Je vous ai parlé de certaines insuffisances ou de certaines maladresses ; Disons-le franchement, je pense que les unes comme les autres ne sont pas volontaires…
Maladresse de calendrier. En effet, jugez un peu :
Nous avons reçu le 3 novembre une lettre datée du 19 octobre, nous signifiant que nous avions 2 mois pour donner notre avis sur la deuxième partie du Programme Régional de Santé. C'est-à-dire que nous avons jusqu’au 19 décembre pour donner un avis sur un projet qui fixe, pour 5 ans, les objectifs et les priorités de toute une région dans le domaine de la prévention, des soins et de la prise en charge médico-sociale.
Nous n’avons donc pas le choix et nous devons délibérer aujourd’hui.
Vous avez été informés tardivement ; les commissions n’ont pas eu véritablement le temps d’examiner ce document ; et le projet n’est même pas inclus dans les documents de travail que vous avez reçu ; les services ont fait ce qu’ils ont pu, même si officiellement, ils ont été associés à la construction de ce PRS. A la construction, peut-être, mais quand on lit le texte, il semble évident que les rédacteurs du document final n’étaient pas des employés des Conseils Généraux… Par contre, on peut assurer qu’ils sont des bons serviteurs de l’Etat…
Maladresse aussi sur la forme, en vous faisant quelques rappels :
Premier rappel : le PRS, c’est l’addition du PSRS, du SROMS, du SRP, du SROS et de programmes obligatoires donc le PRIAC, le PRAPS… Permettez-moi de remarquer qu’on dit souvent que le vocabulaire des médecins est hermétique. Dans le cas présent, je peux affirmer que le langage des technocrates est particulièrement abscond !... Pour ne pas dire moins !
[ PRS ( Projet Régional de Santé) ; PSRS (Plan Stratégique Régional de Santé) ; SROMS ( Schéma Régional d’Organisation Médico-Social) ; SRP ( Schéma Régional de Prévention ; SROS (Schéma Régional d’Organisation des Soins)]
Deuxième rappel : Le PSRS (Plan Stratégique Régional de Santé) a été discuté, ici même, le 30 mai dernier, en présence de Monsieur Lenoir, directeur de l’ARS. A cette occasion, certaines notions avaient été évoquées :
· Notions de ces règles du jeu entièrement fixées par l’Etat
· Notions de pseudo-démocratie sanitaire où l’important, ce n’est pas d’écouter tous les acteurs de la santé, l’important c’est d’appliquer toutes les directives ministérielles. Et ce n’est pas spécifique à notre région… Le sanitaire n’est pas et n’a jamais été un lieu de démocratie !
· Notions de justice enfin… Justice qui est un concept, on ne peut plus phantasmé, car, on le sait bien, l’objectif de la technostructure sanitaire centrale actuelle, ce n’est pas de soigner les gens en essayant de les guérir… Si c’était cela, ça se saurait !! Tout le monde sait que, pour beaucoup de technocomptables, l’important de nos jours, c’est d’avoir des budgets en équilibre, même en équilibre virtuel et, si possible, de faire des économies... En faisant, bien entendu, des restrictions.
Tout ce qui a été dit lors du débat sur le projet stratégique, en mai dernier, s’applique, in extenso, aux documents suivants, c'est-à-dire ceux que nous devons évoquer aujourd’hui.
En effet, comment voulez-vous s’informer, participer, proposer, délibérer sur un document aussi important pour toute une population, en quelques mois, voire en quelques semaines. Nous devons analyser, discuter et délibérer en 30 jours… Dimanches et fériés compris. Et le gouvernement ose appeler cela de la démocratie sanitaire !
Comment voulez-vous adhérer à l’idée d’une prise de conscience et d’une dynamique collective, alors que la démarche, la stratégie et les grandes orientations ont été définies par l’Etat et uniquement l’Etat… Ou alors, c’est que nous n’avons pas la même définition des mots « concertation » et de « coordination ». Nous savons bien que les marges de manœuvres de l’ARS sont faibles, voire nulles. En effet, depuis fin 2010, l’ARS s’est engagée par un contrat d’objectifs et de moyens… S’est engagée à quoi ? S’est engagée à être vertueuse, bien entendu… Et s’est engagé vis-à-vis de l’Etat… Pas vis-à-vis des habitants du Nord-Pas-de-Calais! Attitude vertueuse… Et la vertu ayant, dans notre société actuelle, une forte connotation financière, il est évident que l’ARS n’a pas le choix et cherche des financeurs ou des opérateurs plutôt que des partenaires. Et je vous signale qu’on appelle cela de la démocratie sanitaire !
Comment voulez-vous cautionner entièrement un document où ne sont pas reprises, à leur juste place et à leur juste dimension, les notions de solidarité et de territorialisation adaptée à chaque spécificité de nos territoires. En plus, pour montrer notre bonne volonté, nous avions proposé d’assumer le pilotage de plein de commissions locales… Cette proposition a, sans doute, été reprise avec de l’encre sympathique car elle s’est volatilisée dans le document final. Mais nous l’avions compris depuis 2006 : L’Etat nous a souvent dit : « Allez jouer ailleurs, les enfants : la santé, c’est trop sérieux pour vous ! »
Comment voulez-vous que le Conseil Général du Pas-de-Calais approuve, sans remarques, un document qui fait fi de la notion de solidarité nationale, de discrimination positive et de traitement inégalitaire… Toutes ces notions que nous défendons, régulièrement, depuis 15 ans... Et qui nous avaient été accordées pendant 4 ans. On nous répondra que la crise est passée par là… Nous, ça fait 30 ans que nous sommes en crise sanitaire !
De plus, ce document est, une fois de plus, l’illustration que le vocabulaire est, dans tout document programmatique, un élément essentiel de communication. Car maintenant, le mot « efficience » se mange à toutes les sauces. Dans ma logique personnelle de soignant, j’aurais tendance à dire : « Donnez moi plus pour que je sois plus efficace. » Le technocrate me répondra toujours: « On donnera moins mais vous serez plus efficients. » Mais ça, il n’y a pas que dans le domaine de la santé que l’efficience fait des ravages…
Et permettez-moi de vous livrer, sous forme d’interpellations, certaines véritables interrogations qui sont, en fait, quelques inquiétudes que l’ARS doit impérativement dissiper :
· Quid du rôle de chef de file et de la priorité du Conseil Général dans l’action médico-sociale ? Nous revendiquons que ce soit correctement écrit parce que c’est bien écrit dans la loi… Et cela depuis 2004 ! De plus, le Schéma Régional d’Organisation Médico-social (SROMS) n’a repris que très timidement certaines propositions du département… Quand il les a repris !!
· Quid de la prime à l’initiateur ? Nous avons été des précurseurs dans le domaine de la prévention, avec les Programmes Régionaux de Santé et les Programmes Territoriaux de Santé, parfois même contre l’avis de l’Etat et de la Région. Et alors que nous étions des moteurs de ces politiques, nous voilà rabaissés au rang de pousse-pousse… Nous ne sommes pas uniquement des petits financeurs de projets soumis à l’autorité locale de l’ARS… C’est sans doute une maladresse d’écriture, mais, à cet endroit là, nous sommes très chatouilleux !
· Quid de nos spécificités, de nos problèmes et de nos urgences quand nous sommes obligés de constater que le Schéma Régional de Prévention(SRP) n’est qu’une déclinaison des plans nationaux ? Nous n’avons pas les mêmes indicateurs sanitaires que la région parisienne et nous n’avons pas les mêmes problèmes!
· Quid du rôle essentiel de la PMI pour la grossesse, la parentalité, la planification familiale, la protection de l’enfance, et j’en passe… Les gens sur le terrain savent le rôle parfois obscur mais essentiel de la PMI…
· Quid, dans le Schéma Régional d’Organisation des Soins (SROS), du problème de la démographie médicale et de ses conséquences sur les retards de diagnostic, sur la surconsommation thérapeutique et sur les chiffres de la morbidité et la mortalité. On ne peut pas éluder le problème. Il est central et c’est à l’ARS de faire des propositions concrètes... Pas aux collectivités territoriales ou locales. Je sais, par expérience qu’il n’y a pas de solutions miracles mais c’est à l’ARS, donc à l’Etat, d’assumer, entre autre, les funestes conséquences du numérus clausus…
· Quid de l’effet désastreux de la T2A, c'est-à-dire la tarification à l’activité qui a plombé les budgets de beaucoup de nos hôpitaux et qui amène le CHR de Lille à dire, ouvertement, en conseil de surveillance,
- que le CHR est en déficit ;
- que pour combler ce déficit, il doit augmenter son activité
- et que pour augmenter son activité, il doit aller piquer les malades dans toute la région Nord-Pas-de-Calais… Ce qui m’a fait réagir, bien entendu, parce que c’est exactement le contraire de ce que réclame le Conseil Général depuis plusieurs années. Puisque, je vous le rappelle, nous avions accepté qu’il n’y ait qu’un seul CHRU pour 4 millions d’habitants, mais à condition qu’il y ait une vraie décentralisation sanitaire et une déconcentration des moyens au niveau régional.
· Quid, enfin, des liens obligatoires, naturels et incontournables qui existent entre le sanitaire, le médico-social et le social. Bien sûr, il faut décloisonner l’offre de soins et le type d’intervention (préventif, curatif, médico-social) mais en décloisonnant, on crée forcément des liens et les intervenants sont d’autant plus nombreux… et ils ont droit d’être pleinement reconnus, identifiés et aidés.
Bref, mesdames et messieurs, permettez-moi d’arrêter là l’analyse de ce document.
Vous avez compris que :
Comme dans d’autres dossiers, un calendrier trop serré ne permet jamais la sérénité et la justesse du jugement
Que comme dans d’autres dossiers, l’obsession de l’orthodoxie financière ne permet pas d’avoir des ambitions pourtant légitimes, surtout dans le domaine de la santé. Et vous irez l’expliquer aux gens… Je n’ai pas dit « malades », j’ai dit les gens…
Que comme dans d’autres dossiers, les conseils généraux demandent à être reconnus à leur juste place et à leur juste valeur. Et je signale, pour information, que les Conseils Généraux sont encore bien vivants !
Et parce que, dans le Pas-de-Calais plus qu’ailleurs, le social de nos populations, social dont nous sommes légalement responsables, ce social donc est intimement lié à l’état de santé de nos populations… Je vous rappelle que la carte des cancers se superpose exactement avec la carte du chômage…
Pour toutes ces raisons, nous prenons acte des documents transmis par l’ARS, documents qui ne sont que des documents d’information. Tout en vous signalant que nous avons transmis à l’ARS, toute une série d’amendements… Amendements qui seront, on nous l’a assuré, pris en compte dans la dernière mouture du PRS. Nous en prenons acte…
Mesdames et Messieurs. En mai dernier, nous avions examiné le Programme Stratégique Régional de Santé, le PSRS. Et j’avais dit, textuellement, que le Conseil Général du Pas-de-Calais aurait probablement écrit la même chose, mais pas sous la même forme… Et en étant un peu plus inquisiteur… Nous avions déjà un problème de forme.
Pour l’avis qu’on se doit de donner aujourd’hui, je vous propose
· Sans nier le travail de fond qui a été fait,
· Sans renier nos remarques, quant à la forme,
· Sans dénier oublier certains fondamentaux de notre département,
Je vous propose de prendre acte de ces documents, d’officialiser que l’ARS va essayer d’intégrer nos remarques et nos amendements et que ce qui n’est pas « administrativement inscriptible » avec le PRS actuel, fera l’objet d’une convention spécifique entre l’ARS et le Conseil Général.
La santé et le médico-social sont des domaines trop importants pour qu’on ose bloquer définitivement la démarche. De plus, avec la décentralisation et un avenir plein d’interrogations pour les collectivités locales et territoriales, on peut comprendre certaines maladresses. Mais nous prenons acte et nous rappelons que nous sommes prêts à travailler encore un peu plus sur ce document pour l’amender sur la forme et l’enrichir sur le fond.
Hervé Poher