Séance plénière du CG. Arras
Monsieur le Préfet, Chers Collègues,
J'ai parcouru, avec quelque attention, le rapport d'activités des services de l'Etat et je dois vous avouer, Monsieur le Préfet, qu'à la fin de cette lecture, j'étais troublé, voire frustré, avec le désagréable sentiment d'une accumulation de non-dits.
Je m'explique :
Lorsqu'on lit ce rapport, on a une impression de continuité et de sérénité, malgré quelques épisodes de stress bien compréhensibles. Tout le monde sait que le poste du Préfet du Pas-de-Calais n'est pas de tout repos. La continuité des services de l'Etat, personne n'en doute et personne, dans cette enceinte, n'oserait mettre en cause la motivation et le sérieux de tous vos services.
Par contre, la sérénité n'est, sans doute, pas le terme approprié surtout dans le cadre des relations avec les collectivités territoriales.
Vous le savez, Monsieur le Préfet, dans le microcosme des élus, on ne parle que de "restriction budgétaire, de désengagement et de période de vaches maigres".
La plupart des élus, ont, désormais, la fâcheuse certitude que, dans beaucoup de domaines, on assiste à un non-engagement de l'Etat voire, ce qui est pire, un désengagement de l'Etat. Et dans une période où l'on parle de décentralisation, avouez que ceci est plutôt fâcheux, je dirais même contrariant.
Permettez que je prenne 5 petits exemples significatifs, tirés du quotidien d'un élu local et départemental.
1er exemple : les réserves naturelles
EDEN 62, outil du département, est gestionnaire, pour le compte de l'Etat, des deux réserves naturelles du Pas-de-Calais. Celle de Oye-Plage et celle de la Baie de Canche.
Dans le contrat initial, il avait été notifié que pour gérer ces réserves, nous pourrions bénéficier :
d'une dotation financière annuelle
d'un accès privilégié, aux emplois aidés, l'aspect social de la démarche ayant été vivement souhaité par l'Etat.
Quel constat faisons-nous ?
Ø tout d'abord, nous n'avons obtenu aucune faveur pour l'obtention de CES ou de CEC et cela commence à nous poser de sérieux problèmes
Ø ensuite, on nous annonce une diminution de la dotation annuelle de 30 % pour le fonctionnement et pas un centime d'euro pour l'investissement.
Vous le savez, Monsieur le Préfet, la gestion des ressources naturelles coûte, beaucoup plus, que ce que l'Etat nous donne. Mais cette démarche était acceptée par le Conseil Général, car ces réserves ont une valeur patrimoniale et symbolique inestimables.
Mais quelque soit la conjoncture, il y a, quand même, des limites inférieures à ne pas franchir.
Permettez, Monsieur le Préfet, que sur ce sujet, je sois alarmiste.
2ème exemple : l'Office National des Forêts
Lorsqu'on examine le fonctionnement et les financements de l'ONF, nous sommes surpris de constater que le Conseil Général a fortement participé aux investissements et que nous avons financé à 70 % le Programme d'Accueil dans les forêts domaniales.
Or, il est de notoriété publique que l'ONF a des revenus, tirés de l'exploitation du bois et des droits de chasse.
Où vont ces revenus ? Soit disant dans le Midi de la France, par solidarité après la tempête de l'année 1999.
Etant donné l'implication du département et la timidité financière de l'ONF, donc de l'Etat, j'ose reposer la question d'un éventuel transfert de gestion, dans le cadre de la décentralisation.
Permettez-moi, Monsieur le Préfet, que dans ce dossier, je sois pragmatique.
3ème exemple : le problème des politiques locales
L'élu local que je suis, s'est engagé dans des projets intégrés dans un Contrat de Développement Rural avec des financements de l'Etat, de la Région, du Département et parfois de l'Europe.
Après accord de tous les partenaires, des dossiers ont été lancés, voire des projets commencés… Et depuis peu, on m'annonce que des accords sont toujours valables, que les dossiers sont toujours éligibles, mais qu'au lieu d'avoir 70 %, nous n'en aurons plus que 30.
Comprenez, Monsieur, que lorsque le projet est presque terminé, cela nous pose des problèmes de financement.
Permettez-moi, Monsieur le Préfet, que dans ce dossier, comme beaucoup d'élus locaux, je sois très inquiet.
4ème exemple : les politiques de prévention sanitaire
Depuis 4 ans, le Conseil Régional et les deux Conseils Généraux ont travaillé avec l'Etat et d'autres partenaires pour mettre en place les PRS et les PTS. Ceci se faisait en parfaite coordination, dans la transparence et dans le consensus. Cette façon de faire avait un atout majeur : chacun était maître de :
ses politiques
ses engagements financiers
et ses décisions
Dans son projet de loi sur la santé publique, l'Etat a prévu la création d'un GIP, présidé par le Préfet, avec un directeur nommé par l'Etat et avec une majorité de membres désignés par l'Etat. Et on nous demande de participer à ce GIP, siégeant au sein de la structure, mais surtout en apportant nos financements.
Cette formule est franchement inacceptable, d'autant que la participation de l'Etat ne risque pas d'augmenter.
Permettez-moi, Monsieur le Préfet, dans ce dossier d'être réaliste.
5ème exemple : la santé (le plus grave)
J'ai la douloureuse responsabilité de représenter le Conseil Général au sein du comité de réflexion pour la mise en place du SROSS 3ème génération.
La première réunion s'est déroulée jeudi dernier.
Monsieur le Directeur de l'ARH a fixé, dès le départ, et c'était son rôle, les conditions incontournables de notre réflexion.
"Imaginer une couverture sanitaire efficace en intégrant la pénurie de médecins qui va s'aggraver et en intégrant des restrictions budgétaires obligatoires".
Bref, nous devons être justes et créatifs, sans avoir les hommes ou les moyens.
Mais ce qui m'a le plus choqué, Monsieur le Préfet, c'est qu'à aucun moment, les responsables et techniciens de l'ARH n'ont prononcé les termes "médecine équitable et efficace et amélioration de l'état de santé de nos concitoyens". Pour eux, ce n'est pas un critère essentiel : quand on parle de maladie, de souffrance et de mort, ils vous répondent "enveloppe budgétaire".
Croyez bien, Monsieur le Préfet, qu'en disant cela je ne mets pas en cause les gens qui travaillent à l'ARH. Ils ne font que leur travail et ils ne font que respecter des directives venues de plus haut.
On ne peut pas leur en vouloir. Leur démarche est administrative et réglementaire. La nôtre est politique et humaniste.
Bref, comme dit la publicité, nous n'avons pas les mêmes valeurs.
Il est vrai que si nous avions intégré la dimension "état de santé" dans notre démarche, cela nous obligeait à parler de sous-médicalisation, de rattrapage sanitaire, donc de moyens supplémentaires donc de péréquation. Et soyons francs, Monsieur le Préfet, il aurait été indécent de réclamer une péréquation alors que le gouvernement vient de nous la supprimer.
Dans ce domaine, comme dans celui de l'assurance maladie, une gestion strictement comptable amène bien souvent à des injustices et à des rancoeurs. Et l'injustice, quand on parle de maladie, c'est inacceptable.
Permettez-moi, Monsieur le Préfet, que dans le domaine de la santé publique, nous soyons un tantinet rancuniers.
En résumé, Monsieur le Préfet, dans la plupart des domaines, nous assistons à :
une frilosité de l'Etat,
des hésitations de l'Etat,
et, bien souvent, à un recul et à un désengagement de l'Etat.
Nous avons, des perspectives de l'action gouvernementale, une vision floue, une vision troublée, voire une vision limitée.
Et étant donné le manque criant d'ophtalmologistes dans le département, vous aurez beaucoup de mal à nous rendre une perception visuelle rassurante pour l'avenir.
Hervé Poher