Colloque sur la création d'emplois dans l'environnement.
M,M,M
Lorsque j'ai reçu le programme de ces 2èmes assises sur les espaces naturels sensibles, j'ai été frappé par un point spécifique que vous n'avez sans doute pas remarqué : cet atelier s'appelle "espace naturel sensible, créateurs d'emplois" et cette phrase est suivie par un point d'interrogation. C'est le seul point d'interrogation de cette brochure.
- pas de point d'interrogation lorsque l'on parle de Natura 2000, et pourtant… que de questions
- pas de point d'interrogation lorsque l'on parle de l'approche juridique, de la maîtrise foncière, de l'accueil du public ou de l'approche sociologique et pourtant, les élus locaux sont confrontés de façon quotidienne à ces problèmes
Non, le seul atelier qui a l'honneur d'avoir un point d'interrogation, c'est le nôtre.
Mais la présence de ce signe est significative.
- Aurait-on mis un point d'interrogation si nous avions parlé de la politique sanitaire en France ?
Non ! Car nous considérons que c'est un service public qui doit être porteur d'emplois.
- Aurait-on posé la question si nous avions discuté de l'Education Nationale?
Non ! Car nous considérons que c'est un service public qui doit être porteur d'emplois.
- Aurait-on eu un doute si nous avions évoqué l'administration, les collectivités territoriales et la décentralisation ?
Non ! Car nous assimilons toutes ces structures à un service public, qui doit être porteur d'emplois.
Si certains, encore, se posent la question, relation entre ENS, c'est-à-dire environnement, et emplois, c'est simplement parce qu'ils n'ont pas encore compris que la gestion et la préservation de l'environnement font partie intégrante de l'action politique et qu'en étant persuadé, décidé et volontariste, la prise en compte de l'environnement est un formidable outil créateur d'emplois.
Pour illustrer mon propos, permettez que je prenne exemple dans le département où je vis, dans l'intercommunalité où je vis, dans la commune où je vis.
Le département du Pas-de-Calais a, dès 1978, voulu s'intéresser aux espaces naturels sensibles. Etait-il précurseur ? Non, il était pragmatique !
Pourquoi cette démarche ? Simplement pour 3 raisons évidentes pour nous.
la 1ère est une raison sociologique : 6.671 km², 1.400 millions habitants et entre les années 1950 et 1980, la fin de l'extraction du charbon, le choc de la métallurgie, le choc du textile. Il fallait montrer à notre population que ce département n'était pas maudit et qu'en particulier, notre environnement était, peut être, quelque chose que nous n'avons pas su prendre en compte. Or, dans la région minière, les espaces naturels sont intimement imbriqués dans les espaces urbains. Avec la reconversion des cités minières, les communes avaient d'autres chats à fouetter et c'est le Conseil Général qui a décidé de s'occuper de l'environnement.
la 2ème raison est un besoin de communication. Pour beaucoup de gens, le Pas-de-Calais était, à l'époque un pays de terrils, avec un ciel gris et avec nos mineurs qu'on appelait les "gueules noires". En s'impliquant fortement dans la protection et la valorisation de notre environnement, le Conseil Général a voulu montrer que le Pas-de-Calais, c'est aussi des forêts, des falaises, des espaces de nature et de liberté.
la 3ème raison, c'est une raison économique et un pari sur l'avenir. Pari que notre nature pouvait être un atout touristique essentiel, d'autant que le tourisme de proximité était en pleine expansion et que nous avions tous des atouts pour satisfaire les amateurs de tourisme nature. Le Pas-de-Calais est aujourd'hui le 5ème département touristique de France.
Bref, vers les années 1980, le Conseil Général du Pas-de-Calais décide de mettre en place la TDEV (future DTENS) et de créer des zones de préemptions. Sur 20 ans, 89 zones seront créées, représentant plus de 10.000 hectares.
Les axes prioritaires étaient simples et logiques :
- reconquérir les espaces en limite urbaine,
- requalifier les friches industrielles,
- protéger les zones fragiles de par la nature ou de par les excès ou les envies de l'Homme.
Cela nous a amené à créer un partenariat très fort avec le conservatoire du Littoral. Et ce partenariat est d'une efficacité redoutable, car depuis 15 ans, aucune parcelle de terrain sur le littoral, ne peut être vendue, parce qu'elle passe entre nos fourches caudines.
Cela nous a amené à reprendre, les uns après les autres, les terrils libérés par Charbonnage de France, les anciennes voies de chemin de fer et les espaces industriels à l'abandon.
Mais bien entendu en plus de ce littoral magnifique, en plus de ces terrils qui sont d'une richesse naturelle étonnante, nous avons, comme tout le monde, des marais, des forêts, des coteaux calcaires… et toutes ces merveilles ont été mises systématiquement en zone de préemption.
Mais, pour gérer, tout cela, il fallait un outil.
De 1981 à 1993, la gestion des zones côtières a été effectuée par un organisme associatif, qui s'occupaient des terrains du Conservatoire du Littoral avec le parrainage de l'E.N.R. Mais la montée en puissance de notre politique et la nécessité d'intervenir plus fortement dans le bassin minier nous a amené à créer notre outil de préservation et de valorisation des ENS.
En 1993, création d'EDEN 62 (espaces départementaux naturels du Pas-de-Calais), association de loi 1901 qui se transformera en 1996 en syndicat mixte.
Quels sont les objectifs ?
å c'est la gestion des terrains du Conseil Général, du Conservatoire et parfois de terrains confiés par des propriétaires privés
å c'est la préservation du patrimoine avec l'augmentation de la diversité biologique
å c'est l'accueil et la sensibilisation du public sachant que pour nous, c'est une règle incontournable : la population doit connaître et doit s'approprier son environnement, sa nature.
Comment agissons-nous ?
- en établissant des plans de gestion qui intègrent les données scientifiques et une ouverture au public raisonnable
- en effectuant des aménagements et un accompagnement des collectivités locales qui sont toujours nos partenaires.
Quels sont les moyens ?
- une équipe technique structurelle
- des agents de terrains qui sont des gardes départementaux
- un dispositif insertion environnement qui évolue entre 30 et 40 CES
Au total, cela représente près de 90 personnes.
C'est une machine performante, efficace et dont le département est fier.
Un sondage fait en 1999 a montré que la population du département considérait que la politique environnementale du Conseil Général était la deuxième meilleure politique départementale… et la politique sociale qui capte 60% de notre budget n'est classée qu'en 8ème position.
De plus, le Conseil Général a été très décontracté lorsqu'il a fallu examiner les propositions Natura 2000. En effet, depuis des années, nous faisions, sur nos 3.000 ha acquis ou en gestion, du Natura sans le savoir. Nous étions les Mr Jourdain de l'Environnement.
Mais il est évident, Mesdames et Messieurs, qu'un garde, même avec 1 ou 2 CES, ne peut pas être entièrement efficace, quand il doit gérer un terrain de 100, 200 voire 400 hectares.
C'est là qu'interviennent les collectivités locales. Un exemple : la Communauté de Communes des Trois-Pays est une petite intercommunalité de 15 communes, au sud du Calaisis, représentant 13.000 habitants.
Dès sa création, cette collectivité a choisi son axe de développement et son image. Cette image est résumée dans son logo : "Le Vert, le Vrai, la Vie", c'est-à-dire que volontairement nous avons fait le choix de la ruralité, l'option de la ruralité, le pari de la ruralité. Ce qui peut se caractériser par cette autre phrase : "ruraux et fiers de l'être".
Et cette option fondamentale de développement nous a amené, tout naturellement, à mettre l'environnement au centre de notre action, d'autant qu'avec la mode des sports nature, nous avions tous les atouts pour être un moteur touristique loco-régional.
Dès 1996, une association d'insertion appelée OPUR est mise en place.
D'abord composée de 6 personnes, elle compte aujourd'hui 29 employés (16 CES, 10 CEC, 2 encadrants payés par le Conseil Général et un emploi jeune).
En 5 ans, c'est plus de 12.000 arbres plantés, 1 jardin pédagogique, 1 potager biologique, 300 kms de chemins de randonnée remis en état, des interventions sur les cours d'eau et les wateringues (système spécifique de canaux dans les zones en dessous du niveau de la mer) et une action quotidienne dans le Marais de Guînes, zone de préemption de 400 hectares, en zone biotope et en Natura 2000 et ENS remarquablement riche de par sa faune et sa flore.
Le Conseil Général a mis sur cette zone un garde départemental ; la Commune de Guînes a donné un emploi jeune ; le Conseil Général et la Commune financent OPUR pour que cette association intervienne quotidiennement dans le Marais.
En faisant cela, nous ne concurrençons pas les entreprises, car l'intervention dans le Marais ne peut se faire qu'à la main, dans des conditions difficiles voire extrêmes.
OPUR étant devenu un outil de valorisation environnementale pour l'intercommunalité, celle-ci demande chaque année des dotations à l'état pour acheter du matériel qui est mis à disposition de l'association.
Actuellement OPUR a un taux de reclassement de près de 70% et la Communauté de Communes est en train de mettre en place une nouvelle politique qui devrait nous permettre d'en pérenniser une partie. En effet, notre collectivité est engagée dans une démarche de Contrat Rural sur l'Eau.
Ce qui nous a amené à nous intéresser au problème de l'eau, c'est simplement les phénomènes d'inondations que nous avons connu fin 2000.
Ces phénomènes ont mis en évidence deux choses :
- la première, c'est qu'on ne joue pas avec la nature, impunément. En goudronnant à outrance, en déboisant, en supprimant des fossés ou des haies, lors des remembrements, nous avons tous fait des bêtises. L'érosion des sols est une évidence et les coulées de boue sont notre calvaire.
- 2ème évidence : c'est que sur le bord d'une rivière, dans un marais ou dans une zone de wateringue, aucun système électronique n'est aussi efficace pour la gestion de l'eau, que l'esprit de l'homme et l'action de l'homme.
Cette nouvelle orientation de la politique communautaire nous a amené à envisager :
- en coopération avec le monde agricole et la chambre d'agriculture, la mise en place d'équipes qui replanteraient des haies, des bandes herbeuses et qui s'occuperaient de l'entretien des cours d'eau
- dans les zones de marais et de wateringues, nous avons déjà créé et nous accentuerons cette démarche, des postes de cantonniers de rivière. C'est une priorité pour nous ; c'est une exigence de la population.
Voilà quelques exemples de volonté locale forte amenant à la création d'emplois.
Je me permettrai, aussi, de rajouter un facteur qui n'est pas négligeable.
Vous le savez, beaucoup de CES ou de CEC, sont issus de milieux défavorisés, souvent sans diplôme. Le fait de les faire travailler, dans la nature, avec des gestes qu'ils savent faire et l'esprit d'équipe qui anime ces structures, amènent plus de réinsertion sociale que le plus beau des discours. C'est une chose qu'il faut savoir prendre en compte.
Bien sur, dans tous les exemples que je vous ai cité, tout n'est pas forcément rose.
A Eden 62, on trouve des gens qui sont gardes départementaux, donc dépendant de la Fonction Publique Territoriale, à côté de techniciens, avec des diplômes et une expérience remarquable, mais qui sont embauchés par le syndicat et qui sont donc des contractuels ; ce qui veut dire travailler en CDD et ne pas avoir les mêmes avantages que les autres.
Essayer de résoudre cette anomalie n'est pas, avec les lois et la réglementation française, quelque chose de facile.
A OPUR, nous travaillons avec des CES et même si le taux de placement est bon, nous laissons quand même des gens sur le bord de la route. Mais bien souvent, nous leur avons donné une remotivation, accompagnée d'une formation.
Alors, si je reviens à mon introduction, je dirais "oui, l'environnement est créateur d'emplois, d'emplois pérennes, d'emplois de réinsertion, d'emplois tout court.
Mais pour cela, il faut :
- une volonté politique affirmant que la préservation de l'environnement est une des priorités de notre époque
- une volonté administrative qui confirme que les métiers de l'environnement sont des métiers indispensables dans le cadre de la Fonction Publique
- une volonté sociale, enfin, qui nous amènerait à affirmer que la gestion des ENS et la protection de l'environnement, c'est un service public, au même niveau que les autres.
Alors quand ces trois conditions seront remplies, nous pourrons affirmer que nous avons réalisé :
- notre devoir de responsable
- notre devoir d'élu
- notre devoir de citoyen
- bref, notre devoir d'homme
…. et à ce moment-là, nous pourrons enlever le point d'interrogation.
Hervé Poher