Monsieur le Premier Secrétaire.
Je me permets de vous adresser copie de la lettre envoyée à tous les militants du canton de Guînes. Comme vous allez le constater, cette lettre est un « coup de gueule ».
La réunion d’Outreau nous a ébranlés. Que l’on critique le parti dans les réunions de section, c’est la règle du jeu ; mais que l’on assiste à une démolition systématique de tout ce qui porte le nom de socialiste est choquant… Surtout dans le congrès fédéral de la première fédération de France.
Soyons francs, Monsieur le Premier Secrétaire : si les socialistes continuent à dénigrer ce qu’ils ont adoré pendant des années, la défaite est inéluctable en mars prochain.
Recevez, Monsieur le Premier Secrétaire, l’expression de notre dévouement et de notre amitié.
TEXTE ENVOYE AUX MILITANTS
Cher(e) camarade.
Les congés arrivent. Je vous adresse un petit devoir de vacances. Ce n’est qu’un texte à lire et à commenter. Nous nous rencontrerons, en septembre, pour une explication plus détaillée.
« VOYAGE AU PAYS DES MASOCHISTES. »
Dix. Nous étions dix petits nègres de la tribu des socialistes. Notre campement était situé à Guînes, prés de la forêt. Notre groupe ethnique était composé de 64 membres, râleurs, contestataires mais fiers. Fiers de notre groupe ; fiers de notre victoire locale contre la tribu des Droitiers, en mars 92 ; fiers de notre décision, lors du choix du sorcier-suppléant, montrant ainsi que nous, petits nègres de la base, refusions les querelles d’hommes ou de clans. Bref, nous étions fiers et heureux d’être socialistes.
Ces 10 petits nègres avaient donc décidé d’aller explorer le « pays des élus socialistes », pays situé en plein centre d’Outreau. Il était souhaitable, avant une rude bataille, d’aller écouter ce qui se dit, d’aller voir ce qui se fait ; il était bon d’être galvanisé par les harangues de nos grands sorciers socialistes et nous voulions entendre la bonne parole. Hélas, trois fois hélas !
Dés notre arrivée, nous déchantâmes. Une indigène socialiste, nous fit remarquer que nous étions trop nombreux : 3 mandats autorisés. Ceci m’étonna car nous ne sommes jamais assez nombreux pour parcourir la savane avec les tracts ou les affiches. J’osais faire remarquer, avec ma candeur de brousse, que 3 mandats, c’était peu et que j’avais amené 7 nègres spectateurs. Elle me rétorqua : « Vous n’avez qu’à avoir une section plus forte… Et les spectateurs sont interdits. » La tribu socialiste avait-elle quelque chose à cacher ? Un secret important allait-il être dévoilé ?... Une telle entrée en matière ne nous étonna pas. Depuis longtemps, nous avions discuté, au sein de notre groupe, du peu d’amabilité des permanents de la tribu des élus. J’expliquais aux 9 petits nègres qu’il ne fallait pas lui en vouloir : les permanents ont sans doute oublié qui les fait vivre et qu’ils sont au service des combattants… Et pas le contraire !
Passé cette première épreuve, nous étions prêts à écouter la bonne parole apportée par les grands sorciers et par les nègres venus d’autres horizons. Désastre, cataclysme, horreur… Durant 3 heures, nous avons assisté, médusés, à une séance de mortification collective, d’auto flagellation perverse. En effet, la tribu des élus socialistes pratiquait le masochisme intégral, le dénigrement systématique. Ici, un grand sorcier faisait une démonstration de sectarisme et d’intolérance laïque ; là, un grand chef affirmait qu’il était impossible de s’entendre avec les dieux parisiens ; un grand imprécateur barbu vilipenda le permis à points, oubliant qu’il l’avait lui-même voté ; on a même critiqué le grand chef élyséen, lui reprochant de s’occuper du bien-être de la tribu voisine et oubliant de s’occuper de la reconstruction de son propre village.
Bref, ces trois heures au pays des élus furent un vrai cauchemar. Autant le grand chef de la tribu avait été, à Béthune, exaltant, fonceur et gagneur, autant le spectacle d’Outreau était affligeant : notre tribu était mauvaise, nos guerriers étaient mauvais, nos combats étaient injustes et les décisions de nos chefs étaient nulles… On tirait sur tout ce qui bouge ; on se mortifiait à plaisir. Nous, petits nègres de la base, nous étions perdus. Et les idées dans tout cela ? Et le panache ? Et la rage de vaincre ?
Nous étions arrivés socialistes fiers ; nous allions repartir socialistes honteux. Quand nous sommes sortis, plusieurs petits nègres ont demandé : « On s’est peut-être trompés de tribu ? ». Hélas, non ! La première tribu de France joue les fakirs mais elle n’a pas la peau assez dure pour les planches à clous et cela lui fait très mal.
Nous étions arrivés fiers ; nous sommes repartis penauds. Nous étions plein de fougue, nous sommes repartis dégonflés. Nous voulions savoir comment construire la case commune ; nous avons assisté à l’élévation du mur des lamentations.
En définitive, il fût donc décidé, qu’afin de garder le moral et de conserver un minimum d’illusions et d’utopie, nous n’irions plus jamais explorer le pays des élus socialistes. Si l’on veut que les petits nègres aillent courir la savane, se battent et occupent le terrain, ce n’est pas en dénigrant la tribu ou les chefs…
Nous sommes des petits nègres de la base ; nous avons peut-être un peu trop d’illusions et d’utopie, mais après Outreau… « Mon Dieu, que c’est bon d’être utopiste. »
Hervé Poher
REPONSE DE DANIEL PERCHERON
6 Juillet 1992
Mon cher Poherix.
Ainsi donc, tu n’as pas pu déguster une pleine jarre de la potion magique qui fait les grands rassemblements moins querelleurs et moins ennuyeux .
Cependant, tes propos sont un peu injustes : le discours sur la laïcité était tout sauf négatif : une nouvelle laïcité s’impose. L’intervention du Ministre était frappée du sceau de la lucidité ; quant à votre barde barbu, il exprimait dans son dialecte minier la grande inquiétude de tout le village charbonnier.
Les minoritaires ont rêvé d’artillerie victorieuse et le petit chef a porté son menhir sans rouspéter.
Ne te décourage pas et reviens plus souvent encore explorer la tribu des élus, en attendant d’en faire partie.
Bonnes vacances à l’ombre de ta forêt séculaire.
Daniel Percheron