Discours au Sénat, recommandant une "dynamique collective" pour lutter contre le changement climatique.
Madame la Ministre, mes chers collégues.
Il n’est pas facile de parler du raisonnable quand on vient d’être confronté à l’horreur. Il n’est pas facile de parler d’intelligence collective quand on nous impose l’image de l’obscurantisme..
Oui, tout cela est bien difficile mais, comme le disait le Président de la République tout à l’heure, parler de l’avenir de la planète et de l’avenir de l’homme, c’est aussi montrer que les barbares ne peuvent pas gagner.
Et puisqu’on est là pour parler du climat et d’avenir, parlons-en …
Les scientifiques ont parlé, les experts ont confirmé et les inquiétudes se précisent.
Dans ce domaine-là, comme dans d’autres, on ne peut pas ne pas savoir… On ne peut pas ne plus savoir « que le climat change ». Et pour les simples citoyens alertés que nous sommes, 4 évidences s’imposent :
Première évidence : Dans toute l’histoire de l’humanité, rares sont les périodes où l’homme a osé faire un bilan de son passé pour définir un véritable chemin pour son avenir… Sachant pertinemment que cet avenir dépendait de lui et presque entièrement de lui.
Je ne vois que deux périodes porteuses de telles interrogations: Dans la décennie après 1945, quand l’humanité a réalisé les dégâts possibles d’un emballement nucléaire… Du coup, on a inventé la dissuasion nucléaire.
Et après 1980, quand quelques scientifiques ont osé poser la question : « Ne sommes-nous pas responsables, sans le savoir, de certains phénomènes ? »
Le « Sans le savoir » est important car on admet que « l’ignorance peut, pour beaucoup, excuser certaines choses mais aussi que la certitude peut, pour quelques-uns, rendre inexcusable ».
Deuxième évidence : un processus est en marche.
Et pas besoin d’écouter les radios pour le découvrir, pas besoin d’être spécialiste pour s’en apercevoir.
Et n’importe quel observateur de bonne foi, vous avouera qu’un événement centennal a une fâcheuse tendance à devenir décennal ; qu’un évènement décennal a une curieuse tendance à devenir annuel et qu’un événement annuel exceptionnel a la mauvaise habitude de devenir un classique hivernal.
De plus, la forme même de l’événement climatique tend à se modifier. Le Nord de la France, dont je suis originaire, était habitué, depuis des siècles, aux fines pluies continues, voire au crachin breton. Mais depuis quelques années et de plus en plus fréquemment, nous pouvons parfois jouir de bonnes pluies de type tropical. Seul problème : c’est que notre aménagement du territoire et notre aménagement de l’espace ne sont pas prévus pour ce type de précipitations…
Et nous qui vivons là-haut, au nord de la France, dans des polders, dans la zone des wateringues, nous qui sommes juste au niveau voire bien souvent sous le niveau de la mer…
Nous sommes de plus en plus préoccupés par le fonctionnement de nos pompes qui rejettent l’eau à la mer ; car notre pays n’existe que parce qu’il y a des fossés, des canaux, des écluses et des pompes.
De plus, nous sommes devenus des spécialistes du dossier « Cat-Nat », c’est-à-dire catastrophe naturelle ;
Et il nous arrive, à l’occasion de travaux, de faire poser des caniveaux de montagne pour absorber les trop-pleins d’eau… Imaginez, Madame la Ministre : des caniveaux de montagne dans le plat-pays !!!... Quel paradoxe !
Et ça concerne 450 000 personnes… Que 450 000 personnes. Mais il est vrai que cette problématique-là est moins aigüe et potentiellement moins dramatique que dans d’autres pays du monde. Mais ça nous rappelle simplement que nous ne sommes pas à l’abri de certains incidents.
Troisième évidence : L’homme n’est pas programmé, socialement et psychologiquement pour faire du préventif… Il n’y a pas à en avoir honte : c’est comme ça.
Très naturellement et sans doute très inconsciemment, l’homme se dit « qu’il passera toujours à côté ». Alors, le préventif, on le laisse pour les autres. Et on fait du curatif quand, malheureusement, on en a besoin.
Or, vous le savez, le tout curatif : ça ne marche pas toujours et parfois, on risque d’avoir des séquelles… Dans le sanitaire, dans l’environnement ou dans d’autres domaines d’ailleurs. Et cette inaptitude à faire du préventif, caractérise les hommes mais aussi, parfois les structures et les collectivités.
D’ailleurs quatrième évidence : La solution sera collective et j’oserai rajouter « ou ne sera pas » : les nuages n’ayant pas de frontières, les vents n’ayant pas de maitre et les poisons étant souvent invisibles.
Et cette dynamique collective, cette volonté collective et cette destinée collective… Tout cela est en train d’être imaginé, tout cela est à construire, tout cela est à imposer… Comme une évidence… Parce que c’est une évidence.
Et nous remercions tous le président de la république et le gouvernement, pour l’engagement et le volontarisme dont ils font preuve.
Et quand on dit collectif, cela veut bien signifier : nations, citoyens, forces économiques, forces politiques, forces spirituelles, collectivités et individus… Tout le monde dans une dynamique collective car on n’a pas vraiment le choix.
Aussi permettez-moi d’être franc : dans ce domaine-là, on a encore beaucoup de conviction à faire partager : pas seulement avec certains gros pollueurs, pas seulement avec certains états mais aussi avec beaucoup de responsables et de décideurs dans notre propre pays… Vous le savez :
Tout le monde ne croit pas à la troisième révolution industrielle…
Tout le monde n’a pas la même définition du mot Urgence…
Et certains élus utilisent encore les termes « développement durable » comme on utilise de la confiture : pour badigeonner d’un peu de couleur et pour donner un peu de goût à leurs dossiers… mais ils n’y croient pas vraiment et d’autres priorités s’imposent toujours à eux.
Et là, nous avons, vous avez, encore beaucoup de travail sur le métier… Sachant qu’on ne peut se passer de tous ces acteurs, de tous ces relais, de toutes ces collectivités, de toutes ces ONG qui savent aussi inventer, créer et avancer…
Madame la Ministre, mes chers collègues.
La première chose qu’on apprend à un étudiant en médecine, c’est le réflexe intellectuel : Signes, Diagnostic, Traitement… avec une démarche bien établie pour faire le diagnostic.
Or notre terre n’est pas en grande forme… Certains voudraient nous faire croire qu’elle est un peu hypocondriaque. C’est faux : la Terre n’est pas une malade imaginaire.
Les signes sont de plus en plus évidents depuis quelques décennies ; les examens cliniques et paracliniques ne font que confirmer le mal et l’origine du mal.
Reste à persuader la malade qu’elle doit se soigner, qu’elle peut se soigner, qu’elle peut limiter les séquelles et qu’elle doit être désormais plus prudente et plus raisonnable…
Cela semble une évidence pour nous tous mais on sait, en médecine du moins, que les malades sont parfois plus difficiles à combattre que les microbes.
Hervé Poher