Je devais offrir le tome II des Contes de Grand-père à tous mes petits-enfants, en juin prochain. Mais tout le monde est confiné et les journées peuvent paraitre longues. Alors, je mets les histoires en ligne. Ça leur fera passer un peu de temps… Bisous aux 9.
Papy Guînes
A la poursuite du tagueur masqué.
Conte pour Louise
L’adjudant Courdubec était rouge de colère ; il fulminait ; il rageait ; de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front, ses doigts tremblaient et c’est tout juste si on ne voyait pas sortir de la fumée par ses oreilles. Bref, il était fort en colère, dans une grosse colère, dans une énorme colère….
Face à lui, 9 personnes : toutes étaient assises, tête baissée, les bras croisés, n’osant pas affronter la colère titanesque de l’adjudant de gendarmerie.
« J’ai les moyens de vous faire parler, bande de voyous » s’écria Courdubec. « Jamais Guînes n’avait connu un tel scandale. C’est la première fois qu’on assiste à ce déferlement de bêtise et de méchanceté… Tout ça, c’est depuis que vous êtes arrivés. » Les neuf prévenus rentrèrent encore plus la tête dans les épaules. « Vous serez châtiés, privés de Nutella, privés de télévision… Privés de tout !!! »
Plus le gendarme parlait, plus les enfants se taisaient. Mais qui étaient donc ces neuf futurs prisonniers car il semble qu’ils avaient fait quelque chose de très grave. Ils s’appelaient Alexandre, Victor, Louise, Mathilde, Apolline, Margaux, Paul, Charlotte et Héloïse. Ils étaient tous de la même famille et ils étaient cousins. Mais qu’avaient-ils fait de si grave pour se retrouver en garde à vue à la gendarmerie.
Le matin même, alors qu’il était avec le caporal des logis Groskacot et qu’il faisait son petit tour habituel dans la ville de Guînes, en arrivant sur la place, l’adjudant Courdubec avait découvert quelque chose d’horrible, quelque chose de scandaleux, quelque chose d’inimaginable : quelqu’un avait écrit un tag sur le mur de la mairie… En couleur rouge… Et en grandes lettres ! Et il était écrit : « Papy nord est un gros chien galleux. » Et c’était signé M.
Le sang de l’adjudant Courdubec n’avait fait qu’un tour. Il avait contacté le maire qui lui avait confirmé que cette inscription n’existait pas la veille au soir et qu’il ne savait pas à quoi cela pouvait correspondre. Toute l’équipe de la gendarmerie se mit rapidement au travail et, dès le milieu de la matinée, les soupçons se portèrent sur certaines personnes qui habitaient chez monsieur Poher et ces personnes étaient ses neufs petits-enfants.
Le raisonnement de l’adjudant était simple : c’étaient forcément des petits-enfants puisqu’ils parlaient d’un papy ; ces petits enfants venaient probablement du midi car ils l’avaient appelé papy nord ; et M était sans doute une fausse signature pour égarer les enquêteurs.
Après quelques questions posées au pharmacien, au boulanger et à la postière, ils apprirent que des petits-enfants venant du midi, il y en avait chez Monsieur Poher. Ni une, ni deux, toutes sirènes dehors et accompagnés par un peloton de CRS, ils entourèrent la maison de monsieur Poher et arrêtèrent tous les gens s’y trouvant. Papy poher ne comprenait pas et Mamy, quant à elle, criait au scandale tout en jetant des poires pourries sur les gendarmes. Les gendarmes mirent les menottes à Papy, une camisole de force à Mamy et les emmenèrent, avec les neufs petits-enfants à la gendarmerie.
« Que faisiez-vous hier soir ? » demanda l’adjudant Courdubec. Il voulait avoir l’emploi du temps de chacun des suspects.
Très rapidement, on s’aperçut que Papy et Mamy avait un alibi inattaquable : hier soir, ils dormaient… En ronflant tous les deux, comme le confirmèrent les voisins qui avaient été effrayés par le bruit des ronflements. Par contre, les neufs petits-enfants étaient incapables de fournir une explication valable à leur soirée.
Alexandre avait dit : « Moi, je mangeais mes crottes de nez… ». Victor « Moi, je m’étais endormi dans les toilettes ». Louise avait prétendu qu’elle était partie couver un œuf dans le poulailler avec ses amies les poules. Mathilde, depuis qu’elle avait perdu ses dents, ressemblait à un vampire et, du coup, toutes les nuits, elle s’envolait pour sucer le sang des moustiques.
Apolline, quant à elle, affirma qu’elle avait fait, toute la soirée un concours de prouts avec sa cousine Margaux… Car ces deux petites filles étaient 2 grosses « prouteuses ». Ce que Margaux confirma…. Pour la soirée et pour les prouts. Paul, qui commençait à peine à parler, fit comprendre qu’il avait passé la nuit, dans une caisse, à la cave, avec Julie, la tortue. Charlotte fit des signes pour expliquer qu’elle avait passé sa soirée à chercher son doudou et Héloïse, enfin, montra ce qu’était sa principale occupation depuis sa naissance : elle essayait de se coiffer… Sans grand résultat d’ailleurs, il faut bien l’avouer. Bref, les alibis de ces garnements ne tenaient pas la route.
« Lesquels d’entre vous appellent-ils leur grand-père du nom de Papy ? ». Les neufs suspects levèrent la main. « Qui l’appelle Papy nord ? ». Seuls les trois de Pomerols se signalèrent. « Qui a déjà dit à son grand-père qu’il était gros ? ». Les neufs voyous levèrent les yeux au ciel. « Qui peut être M ? ». Alexandre murmura « C’est peut-être un Marcel… Comme Marcel Duvieubourg». « Et c’est qui ce Marcel Dumachintruc ? » « C’est un abominable tyran » répondit Alexandre.
« Je le savais s’écria le maréchal des logis Groskacot. C’est une histoire politique… C’est grave et on risque des sanctions ! »
« Ne vous énervez pas Groskacot. On avance doucement mais on avance. Qui traite les autres de chien galleux ? » . Les neufs prisonniers s’écrièrent en cœur « C’est toujours Papy qui nous traite de chien galleux !!! ». Courdubec était bien embêté : que le papy traite ses petits-enfants de chiens galleux était surprenant et, du coup, cette histoire ressemblait bien à une vengeance de la part de ces mêmes petits-enfants… mais comment le prouver ?
Louise se leva et s’adressant à l’Adjudant déclara : « Monsieur le gendarme. Nous sommes tous innocents. S’il y a un tagueur, ce n’est pas dans notre famille. D’ailleurs, le seul qui utilise des bombes de peinture, c’est justement Papy. Alors, libérez-nous et je vous promets que nous surveillerons les alentours de la maison et que si nous trouvons le tagueur, nous vous préviendrons. »
Devant le bon sens de cette petite fille, Courdubec décida de libérer tout le monde.
Le soir même, chacun des enfants se cacha à un coin du jardin, espérant coincer la crapule qui osait écrire des horreurs sur leur grand-père.
Louise, quant à elle, décida de surveiller la petite maison car c’était là que Papy entreposait ses bombes de peinture. Vers minuit, alors que toute la ville dormait et qu’on n’entendait qu’un énorme ronflement (ce devait être Papy), Louise vit, dans le noir, une forme qui marchait en silence et qui se dirigeait vers la petite maison.
La forme y entra et Louise vit bien qu’elle utilisait un téléphone pour éclairer l’intérieur de la petite maison. Discrètement, Louise imita le cri de la chouette « Hou, Hou » « Hou hou » fit elle plusieurs fois. C’était le signal de ralliement pour que les autres enfants viennent lui donner un coup de main. Quand ils furent tous arrivés, Louise leur expliqua ce qu’elle avait vu et qu’il y avait quelqu’un en train de farfouiller dans les affaires de Papy. Les neufs enfants se postèrent autour de la sortie de la petite maison et attendirent.
L’attente ne fut pas longue. En effet, au bout de 20 minutes, le voleur sortit de la petite maison. Il était habillé entièrement en noir et portait une cagoule avec un masque. Et, en plus, il avait à la main… des bombes de peinture. C’était bien lui le tagueur et il fallait absolument l’empêcher de refaire un tag anti-papy.
Dès qu’il fut sorti, Louise lui jeta un filet dans les pieds pendant que Victor lui tapait sur la tête avec vieux marteau. Alexandre, quant à lui, frottait les fesses avec un cactus. Les 3 filles Mathilde, Apolline et Margaux étaient allongées par terre et lui mordaient les orteils. Quant à Paul, Charlotte et Héloïse, ils jetaient sur le voleur tout ce qu’ils trouvaient : des pommes de pin, des cailloux, des boites de conserves. Bref, le voleur fut martyrisé, immobilisé et neutralisé en peu de temps. L’adjudant Courdubec arrivé avec toute une escouade de gendarmes félicita les neufs justiciers et leur dit qu’ils seraient tous décorés par le Président de la République pour « Haut fait d’arme et bravoure devant un ennemi masqué ». Mais sans plus attendre, il décida d’emmener le voleur masqué à la gendarmerie pour lui faire subir un interrogatoire dur et sans pitié. Car on ne doit pas avoir de pitié avec les tagueurs, surtout les tagueurs masqués, et encore moins avec les tagueurs masqués qui attaquent un Papy.
Arrivé dans la gendarmerie, Courdubec et Groskacot, accompagnés de Louise qui avait demandé à assister à l’interrogatoire, décidèrent d’ôter le masque du prisonnier afin de savoir qui était cet abominable tagueur. Quelle ne fut pas leur surprise… Et là, Louise s’écria : « Mamy, ce n’est pas possible ! C’est toi cachée sous le masque ; c’est toi qui, habillée tout en noir, vole la peinture de Papy ! C’est toi le tagueur masqué ?! »
Eh oui, c’était… Mamy.
« Mais Madame Poher, s’écria Courdubec, c’est très grave ! Le tagueur masqué, c’est vous. Alors, vous allez nous expliquer le pourquoi et le comment de cette folie… Car à votre âge, se déguiser et faire des tags qui attaquent quelqu’un, c’est bien de la folie ! Et surtout attaquer votre mari ! »
Et Mamy, toute honteuse avoua tout : « Si j’ai fait tout ça, c’est pour embêter mon mari… Parce qu’il ne veut jamais m’écouter. Cela fait des années que je lui dis de faire régime… Et il ne m’écoute pas. Alors je me suis dit que si je faisais remarquer, à tout le monde, qu’il était un peu gros, il ferait peut-être régime… D’où l’idée du tag… » « Mais pourquoi as-tu rajouté chien galeux ? » demanda Louise. « Pour faire croire que c’était quelqu’un d’autre… Car il traite tout le monde de Chien Galeux. »
Courdubec était bien ennuyé : c’était un cas d’école. Une femme qui fait des tags contre son mari. « Jamais vu ça ! Je vais demander l’avis du juge Poilour, seul magistrat à pouvoir me donner la solution ». Et il décida d’emmener les 9 petits-enfants pour consulter le fameux juge.
Après avoir écouté religieusement l’adjudant Courdubec, le juge Poilour s’exprima avec solennité : « C’est effectivement un cas très grave… Il faut un châtiment exemplaire. On ne peut pas laisser toutes les femmes faire des tags à chaque fois qu’elles ne sont pas d’accord avec leur mari. » Les 9 enfants dirent tous ensemble « C’est bien vrai. On n’attaque pas un Papy comme cela ! ». Après quelques minutes de réflexion, le juge Poilour annonça : « Puisque Madame Mamy a osé attaquer Monsieur Papy, elle devra faire un travail d’intérêt général… Pour se faire pardonner… Et pendant un temps très long… Je pense que les petits-enfants peuvent décider de la punition à infliger à madame Mamy. »
Louise demanda à tous ses cousins et cousines de venir, dans un coin du palais de justice, pour parler avec elle. Finalement, ils tombèrent tous d’accord et revinrent vers le juge. « Voilà Monsieur le juge. Nous avons délibéré et nous sommes tous d’accord. La punition de Mamy est simple : elle devra faire un gâteau tous les jours de la semaine, pendant 10 ans; et surtout, ne pas le goûter et le réserver à ses petits-enfants. »
Mamy qui avait été ramenée, par les gendarmes s’écria : « Mais c’est terrible comme punition ! » Courdubec remarqua : « Faire des gâteaux, ce n’est pas si terrible que ça ! » « Non, répondit Mamy, ce qui est terrible, c’est de ne pas avoir le droit d’y gouter… »
Surtout ne cherchez pas l’adjudant Courdubec,
Il n’existe que dans nos cœurs…
Fin de l'histoire
Papy Guînes