« Apolline travaillait chez un très grand savant
Et la science, grâce à elle, fit un pas en avant. »
Pièce n°5 pour confinés : « De l’utilité d’être sale. »
Syracuse, année 237 avant Jésus Christ.
LE NARRATEUR :
C’est en deux cent trente sept, avant l’ère chrétienne,
Tout prés de Syracuse, que se déroule la scène.
Archimède, le savant, n’avait aucune notion
Du processus de la saponification.
ARCHIMEDE :
Apolline, que faites-vous ? Je vous sens agitée.
Je ne vois pas pourquoi vous êtes si énervée.
Et une vie d’expériences m’a appris que les femmes
Qui sont trop excitées, peuvent provoquer un drame.
APOLLINE :
Mais c’est bien votre faute ! Vous êtes insupportable !
Etre votre boniche est une fonction pendable !
Je suis une faible femme qui ne peut pas tout faire
Et je réclame pour moi un vrai droit d’inventaire.
Les machos, y’en a marre ! Vous êtes des exploiteurs.
Les mâles n’ont jamais su apprécier leur bonheur.
ARCHIMEDE :
Mais qu’ai-je donc encore fait ?
APOLLINE :
………………………………….Pas plus que d’habitude !
Mais sûrement pas moins ! Vous êtes ma turpitude.
ARCHIMEDE :
Calmez-vous Apolline ! Je ne vois pas pourquoi
Vous vous traumatisez !
APOLLINE :
………………………….. ..Ah ! Il ne le voit pas !
Vous êtes comme tous les hommes, un monstre d’égoïsme
Ou alors, c’est plus grave…C’est bien du crétinisme !
Depuis plus de vingt ans, je m’occupe de vous,
Je suis plus qu’une servante, je suis une vraie nounou.
Je m’occupe de la bouffe, du linge, de la maison,
Et vous n’avez jamais de considération.
Les femmes ont bien le droit de sentir le respect
Pour tout leur dévouement et le travail bien fait.
Mais, vous croyez, peut-être, que le sexe féminin
N’aime pas les mercis ? Vous n’êtes pas très malin !
ARCHIMEDE :
Apolline, chère amie ! Vous êtes, pour moi, une mère.
Si vous n’étiez pas là, ma vie serait austère.
Tous mes bons souvenirs sont attachés à vous.
Mais un savant comme moi, n’a pas les yeux à tout.
Et je dois reconnaître que votre aide m’est précieuse.
Et je suis désolé de vous voir malheureuse.
APOLLINE :
Si je suis importante, vous pourriez faire quand même
Un minimum d’efforts pour régler les problèmes.
ARCHIMEDE :
Des problèmes ? Je les traite par les mathématiques.
Et j’ai des jouissances qui sont purement psychiques.
APOLLINE :
Mais la vie n’est pas faite uniquement de calculs !
Vous ne pensez qu’à ça…Cela est ridicule.
Ce n’est pas le mental qui peut nourrir son homme
Sauf si votre cerveau se contente de pommes !
On n'est pas du même monde et pour vous, c'est pratique
Et quand nous protestons, on nous traite d’hystériques.
Vous prétextez toujours les charges du travail
Disant que pour les femmes, la fatigue est normale.
Mais je vais inventer un groupe original
Qui sera le garant de mon droit syndical.
ARCHIMEDE :
Et que sera le but de ce groupe de femelles ?
APOLLINE :
Changer les fondements de la vie actuelle !
Nous réclamons les droits les plus élémentaires :
Le droit de travailler ou même de ne rien faire,
Le droit d’avoir accès à l’épanouissement,
Le droit de décider quand on veut des enfants…
Bref, nous voulons les droits que nous ont pris les hommes.
ARCHIMEDE :
Et vous appellerez ça : féminisme…en somme.
APOLLINE :
Ça, c’est une bonne idée ! En tous cas, nous serons,
Pour les mâles dominants, des nouveaux aiguillons !
ARCHIMEDE :
Mais pour qu’un groupe existe, il vous faut un programme.
APOLLINE :
Bien sûr, mais nous l’avons : c’est défendre les femmes.
ARCHIMEDE :
Ce programme est léger et sans grande consistance.
APOLLINE :
Vous auriez préféré qu’on garde le silence ?
ARCHIMEDE :
Je ne comprends pas bien pourquoi une telle colère.
Toutes les femmes sont choyées, on fait tout pour leur plaire.
Nous travaillons très dur pour nourrir nos enfants,
Les hommes ont toujours su porter le dévouement
Jusqu’à se sacrifier.
APOLLINE :
……………………….Vous voulez rigoler?
L’homme est un être abject, incapable de penser
Que la vie d’une famille, c’est aussi le dîner,
La lessive, le ménage, les enfants à soigner,
Les courses et la vaisselle…. Tout ça, c’est pour bibi !
ARCHIMEDE :
Mais qu’ai-je à voir avec cette affreuse litanie ?
APOLLINE :
Vous êtes pire que les autres car vous vous dites savant !
Vous êtes un bordélique et ce qui est rageant
C’est que vous trouvez ça tout à fait naturel.
Je n’ai jamais connu un fainéant pareil !
En plus, vous êtes très sale et vous sentez mauvais.
ARCHIMEDE :
Apolline, sincèrement, là vous exagérez !
APOLLINE :
Mais c’est la vérité ! Vous êtes un vrai crasseux.
ARCHIMEDE :
L’eau n’est pas ce que j’aime.
APOLLINE :
……………………………….C’est déjà un aveux !
ARCHIMEDE :
Mais mon refus de l’eau est purement scientifique.
Se laver trop souvent serait peu bénéfique.
La peau n’est pas conçue pour être décapée
Par des produits bizarres qui sont mal tolérés.
Le sébum a toujours été une protection ;
Et il est bien prouvé que la transpiration
Permettait de mouiller tous les pores de la peau.
Pourquoi donc se laver ? C’est bien plus écolo
De baigner dans sa crasse.
APOLLINE :
…………………………….Vous êtes insupportable!
Je rends mon tablier !
ARCHIMEDE :
……………………..Soyez donc raisonnable!
APOLLINE :
Je suis bien décidée. Avoir servi vingt ans,
Sans repos, ni congés, travaillant tout le temps
Chez un ours mal léché, me dégoûte à jamais
Des hommes et du ménage.
ARCHIMEDE :
…………………………Apolline, s’il vous plait,
Ne soyez pas hargneuse. J’ai tant besoin de vous.
Je cède à vos désirs.
APOLLINE :
……………………….Et vous cédez sur tout?
ARCHIMEDE :
J’essaierai de tenir le maximum de choses.
APOLLINE :
Vous avez intérêt, sinon, je vous explose !
Vous allez commencer par aller prendre un bain !
Et avec du savon
ARCHIMEDE :
…………………Vous voulez donc ma fin ?
Ce sera un supplice, je risque d’en mourir !
APOLLINE :
Vous aviez dit que vous vouliez me faire plaisir.
ARCHIMEDE :
Mais ça, c’est inhumain…Une descente aux enfers !
APOLLINE :
Si vous refusez ça, je retourne chez ma mère.
ARCHIMEDE :
Mais votre mère est morte depuis plus de quinze ans !
APOLLINE :
Mais je vous interdis de critiquer Maman !
ARCHIMEDE :
Je ne critique pas ! Je dis qu’elle est partie.
APOLLINE :
Je l’avais toujours dit…Vous êtes vraiment pourri !
Vous servir de ma mère pour faire un tel chantage,
C’est comme si vous m’aviez fait subir un outrage.
ARCHIMEDE :
Pardonnez, Apolline, de cette maladresse.
Et comme je vous ai fait une vague promesse,
Je vous confirme, ici, que je prendrai demain,
Ce que vous exigez…… c’est à dire un bon bain.
Mais à une condition : Je veux bien me laver
Mais sans aucun savon……. J’ai peur de me gratter.
APOLLINE :
Si cela peut aider à vous faire prendre un bain,
Je veux bien l’accepter…c’est toujours mieux que rien.
ARCHIMEDE :
Et puis un autre vœu ; je voudrais m’amuser
Pendant le temps du bain, avec tous mes jouets,
Mes bateaux, mes canards et tous mes trucs en bois…
Tous ces petits objets qui viennent de mon papa…
S’il vous plait ! Apolline….
APOLLINE :
……………………………..Si vous le désirez.
Moi qui rêve de parler comme une femme libérée,
Je pense, très honnêtement, que je suis mal barrée.
Les hommes ont bien compris comment nous faire flancher,
Car si les grands savants s’amusent comme des bébés,
Le réflexe féminin sera de materner.
EPILOGUE DE : DE L’UTILITE D’ETRE SALE.
LE NARRATEUR:
Archimède était sale, tout le monde le savait.
Sa crasse était, pour lui, le meilleur tablier.
Il avait en horreur toutes les sortes de savons
Et le principe de la saponification.
Pourtant, le lendemain, respectant sa promesse,
Il prit un bain complet, mais troublé par le stress,
Il oublia dans l’eau, les jouets qu’il aimait.
Et dans le cas présent, le hasard a bien fait.
Car c’est en sortant de la fameuse baignoire
Qu’il eut comme un réflexe. En se penchant pour voir
Où étaient son canard, ses cubes et ses bateaux,
Il eut l’idée de les enfoncer plus, dans l’eau.
Son cerveau s’éclaira…Le principe était né.
Archimède est depuis, un savant vénéré.
Ce principe, qui n’est pas uniquement physique,
A eu des conséquences qui nous sont bien pratiques.
Apolline, quant à elle, fonda un syndicat
Pour les femmes rebelles qui ne se soumettent pas.
Elles voulaient ne plus être de vulgaires quidams ;
Ce groupe a pris ce nom : Encore Dignes les Femmes.
Les meetings d’EDF étaient très électriques
Mais leur programme était un peu trop éclectique.
Elles voulaient tout en vrac : ne plus faire la vaisselle,
Ne plus faire les courses et moins de bagatelle,
Avoir le droit de vote, pouvoir gagner des sous,
Et en plus, exigeaient de faire pipi debout.
Bref, elles contestaient tout ce qui les opprimait.
Elles voulaient qu’on leur donne, enfin, l’égalité.
Ces revendications furent, bien sûr écoutées
Mais elles mirent quelques siècles avant d’être appliquées.
Leur combat fut tellement l’image de l’énergie,
Que le nom d’EDF fit de nombreux petits.
Comme quoi, même pour les femmes qui veulent la parité,
Le meilleur des atouts, c’est de bien patienter.
Quant à notre savant, qui se voulait crasseux,
Il faut bien reconnaître qu’il a été chanceux :
Sans un canard en bois qui ne s’enfonçait pas,
Nous n’aurions jamais eu ce célèbre… « Euréka ».
Toutes ces histoires écrites pendant le confinement
Sont réservées, bien sûr, à mes petits-enfants.
Même s’ils sont un peu jeunes pour saisir les tenants,
Ils comprendront tout ça quand ils seront plus grands.
Papy Poher