Mon ami Le Cloporte.
Une histoire pour Margaux.
Madame Margaux travaillait depuis 20 ans à la foire de Chapelure-sur-Argent. Elle tenait l’attraction la plus célèbre et, il faut le reconnaitre, gagnait très bien sa vie. Les gens qui venaient à son stand étaient de tous les horizons : des femmes délaissées, des investisseurs en bourse, des hommes politiques inquiets pour leur avenir, des enfants qui travaillaient mal à l’école, des pénitents un peu joueurs ou des joueurs impénitents, des futurs PDG ou des « bientôt chômeurs » et, bien souvent, de simples curieux qui acceptaient de payer 10 euros pour consulter Madame Margaux. Il faut dire que sa disponibilité, son efficacité et son renom avaient franchi les frontières. On venait la consulter du fin fond de l’Europe. Madame Margaux était une voyante extralucide, c’est-à-dire qu’elle lisait l’avenir dans la boule de cristal, dans le marc de café et dans les lignes de la main. Parfois même, elle montrait des talents de médium et pouvait converser avec des fantômes… Du moins, elle le faisait croire car Margaux savait pertinemment que les fantômes n’existent pas mais elle faisait semblant d’entendre des voix ou de voir des spectres. Et les gens la croyaient car de tous temps, les gens ont aimé croire aux choses étranges et fantasmagoriques.
Un jour de grande affluence, il y avait, devant le chalet de Margaux, une queue d’au moins 20 personnes. Tous ces gens attendaient, patiemment. Sachant qu’il fallait au moins 10 minutes par client, pour les derniers arrivés l’attente allait s’avérer bien longue. Mais tout se passait dans le calme et la bonne humeur. Quand, tout à coup, on vit surgir un petit bonhomme qui osât dépasser tout le monde. Un chapeau de cow-boy, des binocles, une petite barbichette blanche, un âge bien avancé, une canne à la main et une redingote qui lui arrivait jusqu’aux chevilles. Bref, comme une caricature de vieux directeur de fabrique de savon. Et allègrement, faisant fi de toutes les protestations, il se mit en tête de la file d’attente.
" Espèce de vieux machin ! Tu ne peux pas faire la queue comme tout le monde ? Non mais on aura tout vu. Vieux déglingué ! Je vais te foutre une sacrée torgnole, tu vas voir ! "
Celui qui avait proféré cette menace était un grand baraqué avec une tête énorme comme son camion de 15 tonnes et des muscles sur les bras aussi gros que des boules de bowling. Autour de lui, la plupart des gens râlaient et demandaient que le vieux aille derrière et attende son tour comme tout le monde. En entendant un tel brouhaha, Madame Margaux sortit de son chalet et réclama une explication. Le malabar la lui donna et empoignant le vieux monsieur à son col de redingote, il le souleva de terre en criant :
" Moi, le vieux schnock, je vais l’envoyer en l’air et je vais le transformer en satellite !
- Calmez-vous Monsieur. Il doit bien avoir une solution… Dites Monsieur, pourquoi voulez-vous passer avant tout le monde ? demanda Margaux en se penchant vers le petit homme.
- Parce que c’est urgent, Madame Margaux. Je ne peux pas attendre… J’ai besoin de votre aide immédiatement. C’est une question de vie ou de mort.
- Non mais je t’en foutrais des « de vie ou de mort ». Je m’en vais te faire une tête au carrée que tu ne pourras plus entrer dans ta voiture, espèce de vieux crouton.
- Calmez-vous Monsieur… Tenez, j’achète la place."
Et il sortit un gros paquet de bouchées au chocolat et distribua une poignée de bouchées à chacune des personnes attendant devant le chalet. A la vue de cette friandise, les esprits se calmèrent et même le camionneur accepta de céder sa place. On ne soupçonne pas la puissance du chocolat ! Et du coup, le petit monsieur entra dans le chalet avec madame Margaux.
" Madame, dit-il. On m’a conseillé de vous consulter. Il parait que vous êtes la voyante-médium la plus extraordinaire et la plus puissante de l’Europe.
- Il ne faut pas exagérer… La plus extraordinaire du pays, peut-être… Mais pas forcément de l’Europe… Quoi que…
- Voilà, il faut que vous m’aidiez."
Margaux était tout ouïe. Et le vieux monsieur commença son récit.
" Je m’appelle Adémole de Champoux, de la famille des Champoux-Champoux, elle-même issue des Champoux-Champoux-Champoux. Mon arrière-arrière-arrière-grand-père était un inventeur célèbre : il a inventé les chaussettes à trous.
- Des chaussettes à trous ! C’est imbécile ce truc-là remarqua Margaux.
- Non, c’est pour faire respirer les orteils. D’ailleurs, il a fait fortune avec ces trous. J’ai hérité du château qui se trouve à la sortie de la ville. Et je l’avoue, je suis très, très riche. Mais ce n’est pas cela mon problème. Figurez-vous que l’autre soir, un cambrioleur est entré dans mon usine. Or moi, par hasard, j’étais encore dans mon bureau en train de manger un hamburger. Quand j’ai entendu du bruit, j’ai cru qu’il en voulait à mon argent et qu’il allait vider mon coffre-fort. En fait, en m’avançant discrètement près de lui, j’ai découvert que ce cambrioleur était un vrai saboteur, un terroriste : il était en train de repriser les chaussettes que nous avions en stock… Et, ce salopard, faisait disparaitre les trous… Tous les trous des chaussettes. Et des chaussettes à trous qui n’ont plus de trous, c’est idiot et nos clients vont râler. Ils ont payé pour avoir des trous et ils veulent des trous.
- Et alors ? demanda Margaux. Qu’avez-vous fait ?
- Une grosse bêtise. J’ai eu un coup de sang et je me suis énervé. J’avais encore en main mon Mac’Do et je lui ai lancé à la tête. Je ne sais pas ce que Mac Donald met dans sa bouffe mais figurez-vous, Madame Margaux, que ce saboteur a été assommé et il s’est écroulé par terre. Et il m’a été impossible de le réveiller. J’ai tout essayé.
- Un Mac’Do sur l’estomac, c’est déjà difficile mais sur la tête, c’est terrible, rajouta Margaux, un tantinet moqueuse.
- Et je suis bien embêté. Car, voyez-vous, je désirerais m’excuser de ce vilain geste car ce n’est pas mon habitude d’être violent. Mais je n’arrive pas à le réveiller. Alors, j’ai pensé à vous. Vous seule pouvez m’aider.
- A moi ? Mais je ne suis pas médecin ! Comment voulez-vous que je puisse vous aider ?
- Il parait que vous êtes un grand médium… Mettez-moi en relation avec l’esprit de ce monsieur… Juste un petit moment…Pour que je puisse m’excuser !
- Mais il n’est pas mort ! Les esprits et les spectres n’apparaissent que si on est décédé. Lui est simplement assommé à coup de Mac’Do. Et moi, je ne parle pas aux assommés !
- Essayez ! Je vous en supplie. Je vous donnerai une belle somme. J’ai absolument besoin de lui parler."
Madame Margaux était partagée : D’un côté, cet homme était tellement triste qu’elle voulait bien lui rendre service ; de l’autre, elle n’avait jamais parlé à l’esprit de gens assommé. Mais, ça valait peut-être le coup d’essayer.
Elle demanda au petit vieux de s’asseoir dans un coin et elle-même regagna la table des divinations. C’était une table carrée qui était ronde et qui n’avait que 3 pieds. C’était une table spéciale pour médium.
" Esprit du saboteur, m’entends-tu ? Esprit, je te demande de me répondre. Je fais appel à ton esprit civique… Tu dois me répondre."
Adémole de Champoux était impressionné. Il régnait dans le chalet une atmosphère de mystère et d’angoisse. Tout était sombre et seul un rayon de lune éclairait le visage de Madame Margaux.
" Esprit du saboteur, réponds-moi… Je te demande de me répondre.
- Qu’est-ce que tu veux, gros tas de viande !"
Margaux fut surprise par cette brutale réflexion qui lui donna la chair de poule. Elle regarda monsieur de Champoux. Lui n’avait pas bougé, n’avait rien dit et n’avait rien entendu.
" Alors mémère ! qu’est-ce que tu veux ! Tu m’as appelé. Alors je suis là."
De Champoux était toujours immobile et patient.
" Est-ce toi ?... La personne assommée par un Mac’Do ?
- Ouai ! C’est moi. Le vieux cornichon m’a flanqué son mac sur la tronche… Et moi, je suis fort sensible de la tronche. Ma mère disait même que j’avais un « nasal délicat ». Alors, je suis tombé dans les vaps. Et ce zigoto de vieux corniaud, plutôt que de me réanimer avec un verre de flotte, il s’est barré tout courant… Car moi, je suis allergique à la flotte ! Espèce de vieux débris mal fagoté ! Non mais vous avez vu comment il est fringué, le milord de mes deux !"
Margaux s’était tourné vers monsieur de Champoux. Toujours aucune réaction.
" T’inquiète pas Mémère ! le vieux croulant ne m’entends pas. Il n’y a que toi qui peux m’entendre et me voir."
Le voir ! Madame Margaux se retourna et vit un spectre, le spectre. C’était un jeune homme en salopette et une casquette à carreaux, avec une cigarette au coin des lèvres et un litre de vin dépassant de sa poche ventrale. Mais on aurait dit un hologramme : il était là mais on pouvait voir à travers lui.
" Alors, tu me vois, espèce de déjantée du cerveau ?
- Oui, je vous vois et je vous entends. C’est la première fois que ça m’arrive. Je n’ai jamais vraiment communiqué avec un esprit. En plus, avec un esprit qui parle drôlement !
- Il faut un début à tout, médium de mes fesses. Tu m’as appelé… Je suis venu et je ne sais pas ce qui m’empêche de coller une beigne à ce vieux barbon tout fripé. Il mériterait que je lui enfonce un autobus dans le derrière. Vraiment, les vieux, c’est trop bête et ça ne mérite pas de vivre !
- Mais que faisais-tu dans l’usine de Monsieur De Champoux ? Tu es un terroriste ?
- N’importe quoi ! J’étais venu réparer les conneries que les De Machinchose ont faites depuis des siècles. Des trous dans les chaussettes ! Complétement débile ce truc ! Faut être taré pour inventer des bidules aussi idiots ! Ils sont responsables de millions de rhumes chez des gens qui n’avaient rien fait de mal. Ce sont eux, les terroristes ! Rendre les gens malades en refroidissant leurs nougats, c’est ça faire du terrorisme !
- Des rhumes ? Par les pieds ?
- Oui madame. Tout le monde sait qu’on attrape le rhume quand on a froid aux panards. Et faire des trous dans les chaussettes, ça fait des courants d’air et on attrape la niflette au nez. Et c’est pour réparer cette erreur historique que j’ai décidé de repriser toutes les chaussettes… Jusqu’à ce que ce débris ambulant m’assomme avec une massue.
- Ce n’était pas une massue, c’était un Mac’Do !
- C’est pire qu’une massue, bon dieu ! J’en ai encore mal au ciboulot. Je l’ai reçu en pleine tronche et je vais être bleuzé ! Tu ne peux pas dire au vieux machin de foutre le camp. J’en ai marre de le voir, cette espèce d’assassin. En plus, il a l’air tout penaud alors qu’il a manqué de me tuer… Espèce de roulure de crotte d’assassin !"
Heureusement que le vieux monsieur n’entendait pas. Margaux expliqua à Adémole de Champoux qu’elle avait beaucoup de mal à établir le contact avec l’esprit et qu’elle devait se concentrer un peu plus et que pour cela, elle avait besoin d’être seule. Après avoir promis de le prévenir s’il y avait du nouveau, Margaux ferma la porte derrière le petit vieux qui s’éloigna tout en maugréant.
" Alors Princesse, maintenant qu’on est tranquilles, tu vas m’offrir l’apéro. Ce n’est pas parce que je suis un spectre que je n’ai pas soif. Moi, en plus, j’ai le gosier en pente… Et il faut que je me remette de toutes ces émotions.
- Mais vous n’êtes pas un vrai spectre… Puisque vous n’êtes pas mort ! Vous êtes seulement assommé ! Et d’abord, qui êtes-vous ?
- On m’appelle Le Cloporte parce que dans la vie, je suis portier d’un immeuble. Et en plus, je bricole et je répare tout. Mais aujourd’hui, à cause de ce zigoto, je suis devenu un spectre… Comme qui dirait « un spectre en intérim » … Avec un contrat à durée déterminée. J’ai obtenu exceptionnellement ce droit pour avoir le temps de me venger.
- De Monsieur De Champoux ?
- Non, t’es pas folle ! Pour me venger des fabricants de Mac’Do. On vit dans un monde de crapules. Les uns font des trous dans les chaussettes pour que gens attrapent froid aux trotignolles et les autres fabriquent des armes de destruction massive sous forme de sandwichs. Le sandwich de la mort ! Le hamburger de l’horreur ! Un alien dans le bide ! Dans quel monde vit-on ! Dis mémère, t’es pas un peu radin sur les bords ? Tu pourrais m’en mettre un peu plus quand même."
Margaux avait versé quelques centilitres de rhum dans un tout petit verre à goutte. Apparemment, ça ne suffisait pas au Cloporte. A contre-cœur, Margaux lui en rajoutât pour atteindre le bord du verre.
" Dis donc Mémère. Tu n’aurais pas autre chose que des dés à coudre pour boire l’apéro ?
- Ce n’est pas cela qui va vous guérir de votre mal de tête.
- T’occupe Ma Grosse ! T’es peut-être médium mais t’es pas spécialiste en alcool. Moi, si ! J’ai testé tous les alcools du monde et je connais les doses efficaces. Alors verse ! Et dans un verre à bière, s’il te plait. Et un vrai verre à bière… Pas un galopin !"
Margaux dut s’exécuter et lui versa un grand demi de rhum. Le spectre avala tout son verre en une seule rasade. Mais comme il était translucide, Margaux put voir le liquide qui descendait dans le gosier, l’œsophage, l’estomac et vit même le rhum passer dans l’intestin. Un beau cours d’anatomie. Ayant calmé sa soif, Le Cloporte regarda Margaux droit dans les yeux :
" Dis-moi Mémère, tu connais l’adresse de José Bové ?
- Non… Pourquoi faire ?
- Pour aller saccager le Mac’Do bien sûr ! Je ne vais quand même pas laisser la bouffe amerloque assommer les bons petits français. Et Bové, il sait faire ça ! Une fois qu’on aura saccagé cette usine d’armement – Margaux leva les yeux au ciel- je pourrai revenir dans le monde des vivants et quitter tous ces abrutis de spectres. Parce que, entre nous, il y a une paire de tarés !"
Quelqu’un frappa à la porte. C’était Gontran Tapedur, le responsable de la sécurité sur le champ de foire.
" Madame Margaux. Il y a monsieur Mortadelle qui est devant le chalet. Il en a marre d’attendre. Il exige que vous le receviez le plus vite possible !
- Qui c’est ce monsieur Mortadelle ?
- C’est le directeur du Mac Donald."
A peine avait-il terminé sa phrase que Le Cloporte lui avait sauté à la gorge et essayait de l’asphyxier. Gontran suffoquait et étouffait mais comme il ne voyait pas le spectre, il ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait. Il pensait à l’infarctus, une crise d’asthme ou je ne sais… Mais, en tous les cas, il voyait la mort approcher à grands pas.
" Salopard, crapule, voyou ! Assassin ! Tu n’en réchapperas pas ! hurlait Le Cloporte."
Margaux eut toutes les peines du monde à l’empêcher d’étrangler Gontran. Il était hors de lui, dans une furie débridée, hurlant toutes les insanités connues dans le monde des spectres.
" Non, arrête ! Gontran n’a rien fait. Le directeur de Mac’Do est dehors ! Ce n’est pas lui !"
Finalement, réalisant son erreur, Le Cloporte lâcha Gontran et se précipita, traversant la porte du chalet à la recherche du sieur Mortadelle. Et ce pauvre directeur reçu en 3 minutes des coups de poing dans le ventre, des coups de pieds sur les fesses, un violent coup de guitare sur le nez, ses oreilles furent à moitié décollées et il se retrouva par terre piétiné par une chose qu’il ne voyait pas mais qui lui faisait atrocement mal tout en lui comprimant la gorge.
" Au secours, essayait-il de crier. Appelez le SAMU. J’ai une crise… J’ai des douleurs partout et je ne sais pas ce qu’il m’arrive. C’est atroce !"
Le temps qu’il dise cela, Le Cloporte avait fait, à la vitesse de l’éclair, un aller-retour jusqu’au Mac Donald et était revenu les bras chargés de hamburgers. Et il se mit à les jeter sur Mortadelle qui était toujours allongé, à moitié groggy. Le Cloporte étant toujours invisible, le pauvre directeur vit, avec effroi, des sandwichs voler et lui tomber sur le crâne. Il a pensé un moment qu’il assistait à une scène de l’apocalypse, scène où la nourriture se rebellait et attaquait les humains. Et chaque hamburger qui lui arrivait sur le crâne provoquait des douleurs insupportables.
" Alors salopard ! Tu vois enfin l’effet des Mac’Do sur la santé ! Espèce d’empoisonneur public. Fossoyeur des gamins !"
Arrivé à cours de munition, Le Cloporte se retourna vers Margaux qui, elle, était désolée de voir ce pauvre directeur aussi mal traité.
" Ça y est ! Je suis vengé ! Le monstre a été terrassé ! Crénom de Zeus ! Ça fait du bien ! Allez Mémère, remets-moi un petit coup de rhum. J’ai attrapé la soif.
- Moi je veux bien mais avant de reboire un coup, tu dois rencontrer Monsieur De Champoux ? Rappelle-toi. Il t’attend.
- Je vais lui faire avaler toutes ses chaussettes à ce taré du bulbe. C’est un satyre, ce vieux machin. En faisant des trous dans les chaussettes, il creuse le trou de la sécurité sociale. On devrait lui infliger une amende. 10 euros par trou et il serait ruiné en moins de deux. C’est un olibrius malfaisant.
- Arrête un peu ton délire (Margaux avait haussé le ton et fait les gros yeux). Monsieur De Champoux est un brave homme. Il voulait juste se servir de moi pour te rencontrer et s’excuser. Il n’avait pas imaginé qu’un Mac’Do pouvait faire autant de dégâts.
- Ça ne m’étonne pas. Les gros capitalistes n’imaginent pas tout le mal qu’ils font."
Après quelques minutes de réflexion et une bonne rasade de rhum, le spectre se calma.
" Je veux bien voir ce vieux zigoto inconscient. Mais y’a un problème : lui ne me verra pas et ne pourra pas m’entendre !
- Non, bien sûr mais je servirai d’intermédiaire… Comme une traductrice en somme."
Et ils partirent, bras dessus bras dessous, jusqu’au château d’Adémole de Champoux. Arrivés là-bas, le maitre des lieux fit entrer Madame Margaux. Le Cloporte, lui, entra en traversant le mur. Après s’être installés près d’un feu de bois, la discussion commença :
" Voilà, monsieur De Champoux. J’ai pu entrer en relation avec votre saboteur. Il veut bien vous parler mais vous ne pouvez pas l’entendre. C’est donc moi qui vais vous répéter ce qu’il a envie de vous dire.
- Merci madame Margaux. Pour commencer, dites à ce monsieur que je regrette de l’avoir assommé avec un Mac’Do. Je n’ai pas l’habitude de manier ce genre d’instrument.
- Il regrette, il regrette s’écria Le Cloporte. Espèce de vieux débris de volaille ! Jus de cassoulet ! Espèce de crottin de Bretagne. Tu peux regretter mais tu m’as foutu une sacrée bosse, espèce d’abruti pas fini !"
Après avoir réfléchi 10 secondes, Margaux traduisit :
" L’esprit de ce que vous appelez le saboteur dit qu’il accepte vos excuses et qu’il ne vous en veut pas.
- Tudieu ! Je n’ai pas dit cela ! J’ai dit que c’était un foutu zigoto de zoulou de détraqué ! Comment voulez-vous que je lui pardonne ? On ne pardonne pas aux fous.
- Il dit qu’il n’a pas eu mal et que s’il est tombé, c’est qu’il a une petite nature et qu’il perd connaissance à la moindre douleur.
- Mais ce n’est pas vrai. Je n’ai jamais dit ça ! D’abord je ne suis pas douillet ! J’ai fait du rugby, moi Madame. En plus, quand j’étais petit, je m’arrachais les dents moi-même. Alors, je ne suis pas une petite nature. Mais dites à ce concentré de viande avariée qu’il est un assassin : on devrait interdire de vendre des chaussettes à trous qui refroidissent les arpions. C’est une atteinte à la santé publique. Moi, je serais la sécu, je lui foutrais la police aux fesses.
- L’esprit confirme qu’il vous pardonne et il vous autorise à reprendre votre activité. Il demande simplement qu’au lieu de 5 trous, vous n’en fassiez que 3. C’est moins stressant pour les… arpions.
- Pardon ? Arpions ? s’étonna Adémole.
- Oui, ça veut dire les pieds.
- Dites-moi, Mémère ! Dans quel pays avez-vous appris à traduire le langage des spectres ? Vous avez été diplômée de l’école du Foutage Public et votre diplôme, vous l’avez trouvé dans un paquet de lessive ? Et le pire, c’est que le vieux crouton, vous croit sur parole !
- Ecoutez monsieur Le Cloporte. Je fais cela pour arranger les choses. Il faut que cette malheureuse histoire se termine et vous pourrez alors vous réveiller… Car je vous rappelle que vous n’êtes spectre que par intérim. Alors, fermons ce dossier et revenez dans le monde des vivants.
- Qui vous dit que j’ai envie de revenir dans le monde réel ? C’est pratique de ne pas être vu mais de voir, de ne pas être entendu mais d’entendre, de passer à travers les murs et de casser la figure à des gens qui ne vous voient pas !
- Oui, je vous comprends ajouta Margaux. Mais la vraie vie, c’est quand même mieux. Et si vous restez spectre, je ne pourrai même pas vous faire un petit bisou…"
A ces mots, Le Cloporte se sentit rougir. Il était extrêmement troublé et, du coup, rentra dans une profonde méditation… Ce qui n’était pas habituel, en temps ordinaire, chez lui.
"OK dit-il. Vous avez gagné. Je veux bien me réveiller mais quand vous me verrez en chair et en os, j’espère que vous m’offrirez autre chose que du rhum Négrita. Je peux vous le dire maintenant : votre rhum, il était dégeulasse !"
D’un seul coup, le spectre disparut. Et au même moment, Le Cloporte qui était resté allongé dans l’usine de chaussettes se réveilla. Avec une grosse bosse mais la tête pleine de souvenirs. Et une furieuse envie de rencontrer une voyante extra-lucide, un peu médium qui lui avait promis un petit bisou.
La fin de cette histoire est relativement simple : Monsieur Adémole de Champoux reprit l’activité de l’usine mais il modifia le processus de fabrication : Les chaussettes n’avaient plus que 3 trous. Personne n’a jamais compris les raisons de ce changement mais Adémole reçut une lettre de remerciements de la part de la sécurité sociale. Le Cloporte, une fois sorti de l’usine se précipita à la foire de Champelure -sur-Argent, y a rencontré une certaine voyante, y a reçu un bisou et, 3 mois plus tard, s’est marié avec Madame Margaux. Il continua à l’appeler « Ma grosse mémère » mais elle l’appelait « Mon petit fantôme ». Quant à monsieur Mortadelle, il a démissionné de chez Mac Donald. Sur sa lettre de démission, il a donné comme raison : « les hamburgers me donnent mal au crâne. » La direction France de Mac’Do n’a pas compris, celle des Etats-Unis encore moins.
Même José Bové n’aurait pas pu inventer une si belle histoire.