Mesdames et Messieurs.
Sachez que j’ai parfaitement conscience d’intervenir 5 heures trop tôt. En effet, vous allez avoir, cet après-midi, un atelier de travail intitulé : « Comment intégrer la problématique climat dans le domaine agricole » et cet atelier va permettre à d’éminents spécialistes, à des chercheurs et à des experts d’évoquer
- la production des gaz à effet de serre,
- le réchauffement de la planète,
- ses effets sur les productions agricoles
- et les moyens de lutter contre ce réchauffement. En partant d’un constat simple : en France, l’agriculture, c’est 12% de la production de dioxyde de carbone, 75% de protoxyde d’azote et 57% de la production de méthane.
Mais dans ce domaine, comme dans d’autres, il faut savoir laisser l’expression à ceux qui sont sensés ne pas dire de bêtises… Même si les constatations, les chiffres et les prévisions sont devenus, pour la gloire de certains, des objets de polémiques. Et, pour manier la polémique, ces gens là, le font de façon très habile et très allègre. Mais, malgré les polémiques, tout le monde s’accorde à admettre que, comme dans d’autres domaines, l’agriculture devra être politiquement et climatiquement responsable.
Et puisque je laisse la science aux experts, permettez-moi simplement de vous expliquer les états d’âme, les dilemmes et les poussées d’adrénaline qu’un élu comme moi peut subir dans le cadre d’une réflexion « Plan Climat et Agriculture ». Je ne peux pas vous parler du coté scientifique des choses mais je commence à avoir assez d’expérience pour vous évoquer les difficultés politiques et pratiques que rencontre un élu, plein de bonnes intentions, dans un département comme le Pas-de-Calais. Mais c’est ce qui fait le charme de mes responsabilités et cela doit être commun à tous les grands départements agricoles.
Certains d’entre vous doivent se demander : « Où est le problème ? Quel est le problème ? ». Laissez-moi vous le situer en vous rappelant certaines évidences.
1ère évidence : Le Pas-de-Calais a, comme tout département, ses spécificités. Et, en particulier, il en a une, parfois oubliée: l’agriculture y est omniprésente. Quand nous faisons le constat que nous avons peu de surfaces boisées (7%), ce n’est pas à cause du gigantisme de nos communes, contrairement à ce que disent certains, c’est bien parce que l’agriculture occupe plus de place qu’ailleurs. La SAU du Pas-de-Calais, est d’environ 65%, alors qu’elle n’est que de 50% pour toute la France.
2ème évidence : Nos demandes sociétales et notre fonctionnement économique ont souvent amené à des attitudes productivistes et, dès lors, la contrainte environnementale passe au second plan.
3ème évidence : Je me permettrai de dire, en toute amitié, que « le monde agricole est un peu chatouilleux » et, malheureusement, dans différents domaines et pour différentes raisons, il a quelques motifs d’être inquiet et chatouilleux.
Si vous cumulez ces 3 évidences, vous comprenez qu’il y a des sujets qui portent à discussions, à malentendus, voire à affrontements.
Preuve indirecte de désaccords potentiels et, surtout, ne le répétez pas : Au sein même du Conseil Général du Pas-de-Calais, il n’est pas rare que la 5ème commission n’ait pas la même vision ou interprétation des choses que la 6ème commission ; la 5ème, c’est la commission agriculture et monde rural ; la 6ème, c’est la commission environnement, Agenda 21 et Plan climat. On règle toujours les problèmes mais ce n’est pas toujours simple.
Je vais vous citer quelques cas concrets.
Emmanuel Caux, qui est notre idole à tous, a l’habitude de rappeler qu’une nature respectée, voire restaurée est la meilleure des usines à dépollution et à préservation du climat. Quand il dit cela, c’est pour dénoncer, à juste titre, la déforestation importante qui a été pratiquée dans notre région.
Afin d’y remédier, on parle donc de plantations ; qui dit plantation dit trame verte ; qui dit trame verte dit maitrise des sols ; qui dit maitrise des sols dit monde agricole… Ce sont les fiches 3,4,5 et 56 de notre Agenda 21 : plantations de voierie, oxygène 62, trame verte et bleue et maitrise des sols en périurbain pour le maintien des ENS et de l’agriculture.
Mais dès que vous parlez de maitrise des sols, on vous rétorque outil de travail, expropriation abusive et intégrisme écologique. Et on nous demande de respecter, dans la maitrise des sols et dans l’idée d’une trame verte, une certaine modération voire une ostensible retenue. Et à un moment, on nous demande de signer une charte de bonne conduite. OK mais il faut quand même se rappeler qu’un arbre, ça ne se plante pas dans le goudron.
De plus, le sujet devenant polémique, le conseil général a décidé d’élaborer un SCOB (schéma de cohérence boisement). Mais déjà, certains prennent l’élaboration de ce schéma comme un moyen de limiter la démarche trame verte ; d’autres pensent, au contraire, que ça pourrait la booster. Là, le monde agricole, nous même au sein du Conseil Général, bref tous ensemble avons besoin d’une mise au clair…
Et inutile de vous dire que, dans la zone du « Parc naturel des Caps et Marais d’Opale », ce sujet est encore plus sensible.
Autre problématique : la consommation de produits issus de l’agriculture biologique.
Tout le monde sait qu’une démarche vertueuse dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique implique, entre autre, la consommation de produits de saison, dans un circuit court et sans utilisation d’éléments chimiques.
2 fiches de notre Agenda 21 font référence au bio : introduction dans les collèges et soutien aux structures régionales impliquées dans l’agriculture biologique.
Dés 2008, nous avons lancé une expérimentation dans 6 collèges, avec l’aide de l’association A.Pro.Bio. Mais très rapidement, 3 types de difficultés sont apparus.
Tout d’abord, l’absence ou le manque de structure des filières. Certains établissements ont eu des difficultés importantes pour trouver des fournisseurs capables de répondre aux exigences de volume, ou des fournisseurs capables de respecter toutes les obligations sanitaires pour la restauration collective et dans un rayon d’intervention relativement petit. Faire venir du bio de trop loin, peut nous satisfaire philosophiquement, mais est une aberration quant au bilan carbone. La filière locale a du mal à s’organiser mais elle est en train de faire sa révolution. Actuellement, nous communiquons à nos collèges une liste de 117 fournisseurs potentiellement mobilisables. C’est déjà mieux… Ou c’est moins pire.
Seconde difficulté liée à l’hétérogénéité des prix des denrées. Nous avons constaté des tarifs très variables d’un établissement à l’autre. Le surcoût pour des fruits et légumes bio peut être estimé de 5 à 10%. Pour d’autres produits, telle la viande, cela peut monter à 500%... Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes dans le cadre de la gestion financière des demi-pensions. Mais, dans le cadre de sa démarche, le Conseil Général à quand même voté un plus de 10 à 40 centimes d’euro par repas.
Dernière difficulté administrative et technique : Cette démarche nous oblige à mettre en place des cahiers des charges spécifiques pour le bio et amène les collèges à imaginer des menus à partir de produits frais, bio, de saison et produit localement…
Toutes ces difficultés ne sont pas insurmontables mais il nous faudra encore un peu de temps. Le département du Pas-de-Calais a beau être un grand département agricole… quand dans certain coin, on ne cultive que de la betterave, de la patate ou du maïs, faire un repas équilibré, bio, respectueux du climat et apprécié par les enfants, n’est pas forcément une évidence.
Voilà 2 exemples qui vous démontrent que le fait d’être un grand département agricole nous oblige à assumer une certaine inertie et à accepter que les mutations soient un peu plus difficiles qu’ailleurs. Nous vivons cette difficulté dans le cadre du changement climatique comme nous le vivons dans le cadre de la Directive Cadre sur l’Eau.
Tous les spécialistes s’accordent à dire que la modification du climat va bouleverser l’agriculture, le type de cultures et d’élevage, donc la gestion de notre territoire.
Dans ce domaine là, comme dans d’autres, il y a le préventif et le curatif sachant que les 2 attitudes se rejoignent en une seule attitude : s’adapter et transformer ses pratiques pour répondre plus efficacement aux risques climatiques.
Et nous avons confiance dans l’intelligence collective de notre société pour trouver des solutions. L’important, c’est d’abord d’avoir conscience du problème. Une fois que la prise de conscience est faite… le plus dur reste à faire. Mais cela, c’est votre sujet pour cet après-midi.
Hervé Poher