Discours du 1er Mai 1998
Messieurs le Sous-Préfet, Député, Maires, Elus, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Il existe un rituel qui veut que le 1er Mai, le discours du Maire soit, essentiellement, axé sur l'emploi.
En élu discipliné que je suis (!!), je ne voulais pas déroger à cette tradition et j'ai de façon consciencieuse et appliquée, préparé un discours mobilisateur sur les problèmes de l'emploi et du chômage. Mais, je voulais aussi profiter de cette manifestation pour présenter à Mr Imbert, nouveau sous-préfet de l'arrondissement, notre ville, notre population et montrer comment une petite collectivité, comme la nôtre, s'était mobilisée, depuis quelques années, pour l'emploi.
J'avais donc (excusez l'expression) pondu un discours, mais au moment de le relire, je me suis mis à la place des auditeurs, savoir ce qu'ils allaient penser et qu'elles seraient leurs impressions finales. Et je dois bien avouer que ceci m'a perturbé. En effet, si j'avais "débité" le long discours prévu, je pense que les réactions auraient été celles-ci :
Monsieur le Sous-Préfet aurait pensé : "ce que dit Mr Poher, c'est bien gentil mais c'est un vrai catalogue de La Redoute".
Monsieur le Député, qui est un habitué de notre cité aurait marmonné dans ses lunettes : "je pense que le Maire de Guînes a une fâcheuse tendance à radoter".
Messieurs les chefs d'entreprises auraient accusé: "ça ne nous étonne pas ! y'en a que pour le service public ! et nous alors !".
Les conseillers municipaux auraient râlé : "on commence à être saturés de la fameuse théorie de la dynamique incontournable".
Et les habitants de Guînes auraient conclu en disant : "c'est bien beau, tout ça ! mais nous, on veut du boulot et il y a, toujours, 500 chômeurs à Guînes !".
Après avoir réalisé toutes les remarques possibles et ne voulant pas passer pour un vieux Maire rabougri, radoteur et têtu, j'ai donc déchiré le discours et je me suis dit qu'il fallait, de temps en temps, avoir un autre message, peut-être pas sur le fond, mais au moins sur la forme.
Alors permettez-moi d'innover en m'adressant à chacun de vous, dans vos titres, vos fonctions ou vos responsabilités.
Pardonnez-moi si je vous choque, mais une question bien posée à souvent de mérite de faire réfléchir, et quand on est guînois, on ne se refait pas !
Monsieur le Sous-Préfet,
- Guînes, commune de 5.200 habitants dans une Communauté de Communes de 13.000 habitants
- 1995 : un Contrat de Plan Etat Région pour le tourisme
- 1996 : une intercommunalité
- 1997 : un contrat rural de développement
- 4 chantiers d'insertion occupant 50 personnes
- la municipalité était, en 1995, responsable de 52 personnes. Nous sommes, aujourd'hui responsable de 129 personnes.
Nous avons fait en 3 ans ce que certaine collectivité font en 10 ans ou plus.
Pourquoi cet activisme : pas parce que nous sommes des obsédés des dossiers… quoique ! pas parce que je suis un tyran pour mes collaborateurs les forçant à innover, chercher des subventions et inventer… quoique ! pas parce que nous avons un malin plaisir à faire mieux que nos voisins… quoique !
Non, Monsieur le Sous-Préfet ; c'est simplement parce que nous avons assimilé le fait que seule une dynamique locale forte peut créer des emplois.
Un souhait, Monsieur le Sous-Préfet : que les services de l'Etat ou para étatiques (Voies Navigables de France, Office National des Forêts…) comprennent que lorsqu'une collectivité monte un dossier, bâtit un projet et veut modifier l'état des choses, c'est presque toujours avec un souci de positivité, pour le bien des autres et qu'à terme, un projet pouvant paraître farfelu ou anodin, peut parfois, amener des bouleversements et être générateur de dynamique.
Vous savez que dans l'histoire du monde, il s'est souvent fait de grandes choses en bousculant l'ordre établi, et en modifiant des habitudes séculaires.
Les services de l'Etat et les collectivités locales jouent une même partition que l'on pourrait appeler "l'intérêt commun" ; encore faut-il que de temps en temps, on sache accorder nos violons et pour cela, il faut que nous, collectivité et vous Etat, apprenions à se parler et surtout à se comprendre. Ce n'est pas le plus facile, je vous l'avoue, mais dans ma conception de l'objectif commun, c'est devenu indispensable.
A Monsieur le Député : dans notre vie locale, que vous connaissez bien, vous savez que nous nous heurtons à des incohérences, à des aberrations, voire à des inepties.
Pour une collectivité locale, le développement économique, l'aménagement du territoire et les aides à la population sont nos moyens d'action pour plus de justice, de développement et de solidarité.
Un souhait, Monsieur le Député : vous qui êtes prêt des Dieux, là haut, à Paris, demandez-leur de réformer un peu le système.
Ce système qui veut que la loi, qui est faite pour fixer des règles et éviter les débordements, et elle est parfois tellement rigide qu'elle empêche toute créativité et toute indulgence même si c'est pour le bien de tous, et que l'intérêt de telle ou telle action est évident. Bref "qu'on nous donne un peu de lest".
Demandez à ce que soit enfin, entamée une réforme de la fiscalité locale pour qu'on arrête de voir cette guerre stupide et inutile entre les communes, à coup de taxe professionnelle et d'exonérations
S'il y a un grand et vrai chantier que doivent entamer nos élus nationaux, c'est bien celui là.
A Messieurs les Chefs d'entreprises ici présents : vous savez, sans doute, que j'ai une haute opinion du rôle de la Fonction Publique, que je crois foncièrement à l'effet inducteur de l'action publique et que l'Etat et les collectivités territoriales ont un rôle d'exemplarité et d'orientation à donner.
Je le pense sincèrement ! c'est peut-être un défaut, mais ce genre de défaut, on le traîne toute sa vie.
Nous avons la chance de vivre en France, pays à part, forgé par l'Histoire et pays des grands philosophes.
Nous ne pouvons pas être comme les autres. Bien sûr, nous ne serons jamais collectivistes, mais nous ne serons jamais américains. Et vous savez très bien que le "tout Etat" est mauvais du point de vue économique, mais que le "tout libéral" n'a jamais été porteur de progrès social.
Certes, une société a besoin d'entreprises performantes, dynamiques, innovantes mais elle a aussi besoin d'un Etat, de collectivités qui rappellent que nous avons un devoir de solidarité et qui peuvent parfois montrer l'exemple.
Alors un souhait vis-à-vis des entreprises : dans la recherche de solutions à nos problèmes communs, vous demandez le droit à l'innovation ; nous élus, nous demandons le droit à l'expérimentation que ce soit pour l'emploi des jeunes ou la durée du temps de travail. Pour vous, c'est un besoin ; pour nous c'est un devoir.
Je voudrais m'adresser finalement à mes collègues élus en vous réaffirmant que le travail de fourmis que nous faisons n'est pas ridicule, n'est pas incohérent.
C'est en bâtissant, petit à petit, que nous réussirons à redonner espoir aux gens. C'est en étant persuadé de bien fonder nos actions que nous finirons, un jour ou l'autre, par réussir. Oh bien sûr ! on ne gagne pas à tous les coups ou parfois pas tout de suite.
Mais l'important n'est pas toujours de gagner ! L'important c'est d'être dans la vérité.
Alors même si nous sommes quotidiennement montrés du doigt pour telle raison médiatique à la mode ou pour telle mode médiatique sans raison, ce que nous faisons, nous le faisons avec dévouement, désintéressement et avec l'unique arrière-pensée que cela peut servir aux autres et cela n'est pas critiquable !!
Voilà, j'en ai fini. J'espère avoir livré à vos esprits sagaces matière à réflexion, à cogitations et à critiques. Mais le rôle d'un élu n'est-il pas d'être critiqué.
J'aurais voulu vous parler de 2 autres dossiers qui me tiennent à cœur : les emplois jeunes et le service de maintien à domicile.
Les emplois jeunes parce que nos enfants ont le droit au travail, à la scolarité et à l'espoir. Le service de maintien à domicile parce que nos aînés ont le droit à la sécurité, à la solidarité et a un minimum d'humanité.
Et dans ces deux domaines, si l'on veut parler pratique, on peut créer des emplois, beaucoup d'emplois.
Permettez-moi, pour terminer, de m'adresser à Monsieur le Sous-Préfet :
Monsieur le Sous-Préfet,
Vous arrivez dans une région spéciale : carrefour de l'Europe, marquée par son passé, confiante dans son avenir. Les habitants y ont un caractère rude, parfois rugueux souvent râleur.
Vous apprendrez à nous juger, nous connaître et nous apprécier, j'en suis sûr.
Bien sûr, nous ne sommes pas très souriants, et nous sommes des buveurs de bière, mais nous avons un cœur énorme et un courage exemplaire qui fait qu'on se bat bien souvent pour des choses inutiles… mais comme disait Cyrano "c'est bien plus beau quand c'est inutile".
Hervé Poher