Hesdin,
Mesdames, Messieurs.
Il y a quelques semaines, j’ai eu l’honneur d’être réélu à la présidence du Comité de Bassin Artois Picardie. J’avais, depuis un an, eu l’occasion de mesurer l’importance de cette fonction, mais aussi les limites d’une telle responsabilité. Vous le savez, le vrai gouvernement, c’est l’Agence de l’Eau, et le Comité de Bassin n’est que le parlement de l’eau. Mais c’est au parlement qu’on discute des orientations, des nouvelles politiques et, il semble, qu’à l’avenir, les prérogatives du Comité de Bassin, seront de plus en plus importantes.
Mais même, si le pouvoir réel d’un président de bassin est relativement limité, il a, au moins, un pouvoir et un devoir, c’est d’aller prêcher la bonne parole.
J’ai dit, après mon élection, que je devais être l’apôtre de l’eau. Et comme, tout apôtre digne de ce nom, je me dois de vous énoncer les 10 commandements qui doivent, impérativement, être présents dans tous les esprits et être le leitmotiv de tous les décideurs. Cela ressemblera, peut-être, à un discours programmatique mais je me dois de profiter de la présence des principaux décideurs et gestionnaires régionaux pour réaffirmer certaines choses. De plus, vous risquez de réentendre certains propos tenus par moi ou par d’autres. Mais je crois fortement à la valeur de la répétition et dans notre société de communication, les messages ne sont valables que s’ils sont récents.
Permettez-moi d’énoncer ces 10 commandements :
1er Commandement : L’objectif commun, unique et incontournable, c’est l’année 2015. Cette année là, nous devrons avoir respecté la Directive Cadre Européenne qui dit simplement : « En 2015, il faut avoir atteint le bon état écologique des eaux ». J’entends, parfois, pour ne pas dire souvent, affirmer que cet objectif est impossible à atteindre et que des dérogations seront nécessaires. Je me refuse à tenir ce langage là. Nous devons tout faire pour réussir et c’est seulement, en 2014, que nous ferons un état des lieux et que nous jugerons de l’opportunité de dérogations. Le meilleur moyen de démotiver les gens, c’est de dire, dés maintenant que nous n’y arriverons pas.
2ème Commandement : C’est à nous, adultes, de réparer les bêtises que nous avons faites.
Nous avons vécu, depuis des décennies, dans une philosophie unique basée sur l’économique et l’aménagement du territoire à tout crin, en méprisant les atteintes au milieu naturel, parce que s’occuper de l’environnement représentait une contrainte intellectuelle et surtout une contrainte financière.
Ce temps là est révolu. Si nous avons un peu d’amour propre et si nous avons vraiment conscience qu’il nous faut préparer l’avenir de nos enfants, nous ne pouvons pas faire autrement que d’intégrer les contraintes environnementales dans toutes nos décisions. L’économique est important, l’économique est indispensable, l’aménagement du territoire est essentiel mais on se doit de concevoir tous ces projets en intégrant l’impact sur notre environnement.
3ème Commandement : Il faut sortir de ce dogme qui vous fait croire que la nature peut tout réparer. C’est vrai que la nature est puissante, c’est vrai qu’elle a une force d’adaptation remarquable, c’est vrai qu’elle sait défier, chaque jour, la compréhension de l’esprit humain… Mais c’est vrai aussi que depuis des années, nous l’avons violée, nous l’avons meurtrie, nous l’avons outragée. Et l’eau, élément essentiel, élément indispensable, élément vital de cette nature a été plus outragée et plus violentée que tout autre. Elle est sous la terre, elle est sur la terre et elle tombe du ciel….On voulait croire et il était bien pratique de croire qu’elle était éternelle et que la nature saurait réparer les outrages. Nous savons, maintenant que c’est faux.
4ème Commandement : Il faut que nous fassions notre Schengen des esprits. C'est-à-dire que les problèmes liés à l’eau doivent dépasser les frontières sociologiques, professionnelles et même politiques. La mobilisation pour l’eau n’est pas le monopole de certains esthètes, de certains intellectuels en mal d’idées ou de certains politiciens… Non, cette mobilisation doit être une dynamique collective de tous les décideurs, de tous les responsables et de tous les citoyens. Chacun doit faire ce qui est en son pouvoir et c’est comme cela que nous y arriverons. N’en déplaise à certains, la prise en compte de l’environnement n’est plus le monopole d’une idéologie politique. Elle doit faire partie intégrante de toute volonté de progrès.
5ème Commandement : Il faut sortir de la démarche de culpabilisation pour entrer dans une démarche de solutions. Dans les problèmes de pollution, d’inondations ou de gestion de l’eau, nous n’avons pas intérêt à chercher les coupables…Parce que nous sommes tous coupables : industriels, agriculteurs, citoyens et même les élus…et j’ai l’habitude de dire « surtout nous, les élus ».
- Les industriels sont coupables parce que pendant des années, ils ont oublié la nature au profit de la production. Mais pourquoi l’ont-ils fait ? Parce que la société, c'est-à-dire nous, leur a demandé de créer des emplois, de produire plus, de produire moins cher. Quand on me dit : « Les industriels sont coupables », je réponds : « La société est coupable ».
- Les agriculteurs sont montrés du doigt parce qu’ici, ils ont défriché, parce que là ils ont trop nitratés, parce que là bas ils ont pollué. Mais pourquoi l’ont-ils fait ? Parce que la société, c'est-à-dire nous, leur a demandé de produire plus et de produire moins cher. Les agriculteurs ne sont pas coupables, c’est la société qui est coupable.
- Les citoyens, et notre génération en particulier, ont été élevés avec cette idée, que j’évoquais tout à l’heure, que l’eau est indestructible, renouvelable et éternelle. De plus, l’eau ne valait pas chère. Pourquoi se gêner, pourquoi économiser, pourquoi se priver. Notre société a réalisé, bien tardivement, que l’éducation du citoyen était devenue indispensable.
Parce que le pétrole était un liquide précieux, on a su inventer des solutions de rechange. Maintenant que le problème de l’eau se pose, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de solution de rechange. Et que, comme en médecine, la prévention est un moyen indispensable de résolution de nos problèmes. Le meilleur moyen de soigner une maladie, c’est de ne pas tomber malade.
- Et les élus, enfin. Nous, les décideurs, les donneurs d’ordre et les forgerons de la loi, combien de bêtises n’avons-nous pas faites, combien d’erreurs n’avons-nous pas commises, combien de compromissions n’avons-nous pas acceptées sous prétexte de développement économique, d’aménagement du territoire ou de complaisances électoralistes. De plus, nous, élus, nous avons tous le même défaut : nous sommes des obsédés du goudron….. Et quand on voit les inondations, quand on déplore l’érosion des sols ou quand on est confronté à des phénomènes de pollution massive,
· on regrette certains aménagements,
· on regrette la disparition des certaines zones humides,
· on regrette certains permis de construire,
· on regrette notre manque de vigilance.
6ème Commandement : Nous devons, désormais, intégrer dans nos esprits, dans nos schémas décisionnels, donc dans nos réalisations, un volet « Conséquences environnementales ».
Cela doit devenir un réflexe et si, cette prise en compte alourdit financièrement votre projet, dites-vous bien qu’un investissement de départ est toujours moins important qu’une dépense de réparation future.
De plus, il faut avoir le courage de sanctuariser certaines zones du territoire. Nous l’avons fait au département, nous l’avons fait sur le littoral. Cela a créé des mini-révoltes, des rancoeurs et des animosités….Mais au bout de 20 ans, on nous a dit : « C’est vrai ! En fait, vous aviez raison ».
7ème Commandement : Nous devons entrer dans une logique d’efficacité.
Notre société a une fâcheuse tendance à nous pondre, bien souvent, des lois inapplicables ou des décrets purement technocratiques. A nous, de savoir faire passer le message du pragmatisme, de l’efficacité et du réalisme de terrain.
Quand on est un élu local, on connaît vraiment l’âpreté des problèmes et le poids de la responsabilité. Et c’est nous qui essayons de respecter les lois et c’est nous qui essayons d’appliquer les décrets. De plus, c’est nous qui risquons la prison et contrairement aux techniciens, nous passons à la toise électorale tous les 6 ans.
Alors sachons faire remonter le message de la base, le message des acteurs de terrain.
8ème Commandement : Il n’y a pas de solution unique, vous le savez. Les solutions sont multiples. Elles dépendent de la géographie, de la géomorphologie, de l’occupation spatiale de votre territoire et, permettez moi de rajouter, de l’imagination des gens. Toutes les idées qui permettent une amélioration de l’état écologique de l’eau, sont bonnes à prendre.
9ème Commandement : Il faut, toujours garder à l’esprit que le problème est global. Quand on vous parle du bon état écologique de l’eau, nous vous parlons
- De l’eau sous terre, dans nos champs captants ou ailleurs,
- De l’eau de surface, rivières, lacs, ruisseaux et mares
- De l’eau de nos zones côtières qui, vous le savez, vous le voyez, a une fâcheuse tendance à se dégrader.
Et les zones humides ont, dans cette démarche qui doit être, avant tout, pragmatique, un rôle essentiel dans le maintien de la biodiversité, dans son rôle de réservoir hydraulique et dans son rôle d’assainissement. Lorsque ma commune a été déclarée « Champ captant irremplaçable », je me suis étonné de voir que le marais de Guînes n’était pas classé en zone très vulnérable, alors que dans ce marais, il existe plusieurs stations de pompage. Les spécialistes m’ont répondu : « C’est simple, Mr POHER, la meilleure des station d’épuration, c’est votre marais. Le champ captant situé sous votre marais, ne risque pas grand-chose ».
10ème et dernier Commandement : La solution sera collective ou ne sera pas. C'est-à-dire que si nous voulons réparer nos erreurs et léguer à nos enfants un monde plus sain, avec une eau digne de ce nom, il faut nous unir : Collectivités locales, collectivités territoriales, Etat, socioprofessionnels, associations et citoyens. L’enjeu est noble mais les contingences financières sont énormes. Seuls, nous ne pouvons pas grand-chose ; ensemble, nous pouvons essayer de réparer. Et s’il y a bien un domaine où l’on se doit de créer et d’appliquer le principe de solidarité, c’est dans le domaine de l’eau. Et cette solidarité doit être effective dans la philosophie, effective dans l’action et effective dans les financements. L’eau est à 90% en milieu rural et c’est les ruraux qui doivent la protéger ; et pourtant les ruraux sont moins riches que les urbains. Si l’on veut que les ruraux soient motivés et efficaces, il faut leur montrer concrètement que nous sommes solidaires sur chaque action et sur chaque dossier.
Voila ce que je tenais à vous dire. Mais sachez, qu’avant d’être le Président du Comité de Bassin, je suis avant tout le maire d’une commune située sur un champ captant irremplaçable, le maire d’une commune régulièrement touchée par des inondations et un vice-président du CG, conscient de l’importance de nos décisions.
C’est pourquoi, je peux vous assurer que
- Le CG saura être à vos cotés dans ce combat pour l’eau. Nous avons décidé de l’eau sera une de nos priorités politiques. Et dans le cadre de la réorganisation du CG, nous venons de créer un pôle Aménagement du territoire et développement durable. C’est tout un symbole. Symbole que nous prenons en compte, encore plus qu’avant, la notion d’environnement ; symbole que nous voulons être des acteurs de la solidarité.
- Et je peux vous assurer que l’Agence de l’Eau saura, dans l’élaboration de son 9ème programme être aux cotés de tous ceux qui se montrent volontaristes. La Commission Programme avait 3 commissions de travail : les collectivités, l’industrie, l’agriculture. A la fin du mois, nous proposerons la création d’une 4ème commission : la commission « Milieux naturels ». Simplement pour bien montrer que le maintien des habitats et de la biodiversité sont aussi des thérapeutiques efficaces pour une guérison indispensable.
Mesdames et Messieurs, je sais que vous avez besoin de nous ; Mais je me dois de vous confirmer que nous avons surtout besoin de vous. L’eau mérite bien ce consensus. Et merci de votre engagement, de vos idées et de ce que vous ferez.
En agissant pour l’eau vous ferez
* simplement votre devoir de citoyen,
* consciemment votre devoir d’élu et surtout, ne l’oubliez pas,
* naturellement votre devoir naturel de parent. Et ça, Mesdames et Messieurs, ça n’a pas de prix.
/ Hervé Poher