Séance plénière du Conseil Général
Monsieur le Préfet,
Le Conseil Général doit donner un avis sur le "schéma régional d'organisation sanitaire", pour les années 1999-2004.
Il est utile de rappeler que le Conseil Général n'a pas été officiellement consulté pour l'élaboration de ce schéma, mais qu'une réunion d'information s'est tenue, en ces murs, en début d'année.
Je n'infligerai pas, à mes collègues, un rapport détaillé de ce document :
- D'abord, parce que cela serait un exercice pénible pour tous,
- Ensuite, parce qu'on risquerait de s'attacher à tel ou tel cas particulier, à tel ou tel hôpital, à tel ou tel équipement ; cela nous ferait oublier la philosophie générale du dossier.
Une lecture d'ensemble des documents nous amène à formuler quelques remarques :
1ère remarque : certains termes reviennent de façon itérative.
Ce sont les termes de :
- réseau - convention
- collaboration - évaluation
- accueil - coopération
- écoute - organisation
- fédération - formation
- communication
et j'en passe.
Prenant un comparaison dans la gestion des collectivités, je me permettrais de dire que tout cela, c'est du fonctionnement, pas de l'investissement. Je veux dire par là, que "restructurer, c'est sans doute nécessaire, mais ça ne coûte pas cher". Par contre, acheter des équipements médicaux structurants, ça c'est de l'investissement et c'est bien plus onéreux.
2ème remarque : dans les propositions de révision de la carte sanitaire, il est noté, de nombreuses fois que le niveau d'autonomie doit être le bassin de vie et il est ajouté (je cite) : "l'autonomie totale des soins doit être recherchée". Plutôt que recherchée, il aurait été plus judicieux de mettre "réalisée".
Tout le monde sait que pour être autonome, il faut en avoir les moyens. Avoir les moyens, en médecine, Monsieur le Préfet, c'est avoir les équipements et avoir les hommes.
En médecine moderne :
- les hommes sans les équipements, c'est inefficace et ça peut être dangereux
- à contrario, les équipements, sans les hommes, ça s'appelle de la décoration.
Mais on sait que si on veut attirer les hommes, il faut avant tout leur donner les moyens de travailler. Une véritable autonomie des bassins de vie nécessite des investissements forts et une politique volontariste de la part de l'état, pour un rattrapage sanitaire.
3ème remarque : dans ce document, afin de juger de l'offre de soins et les besoins de la population, on se base sur la production du point ISA. C'est une manière très technocratique d'évaluer les problèmes de santé :
- d'autant qu'il est connu que certaines activités sont très productrices de points ISA et que d'autres, qui participent à une bonne médecine, ne le sont pas.
- d'autant qu'on assiste à une course au "productivisme médical" de la part des hôpitaux qui, pour faire baisser le coût du point ISA, essayent d'augmenter au maximum leur activité. C'est en effet plus facile que de diminuer les dépenses.
- d'autant que le point ISA ne permet jamais d'intégrer la notion fondamentale de "qualité de soins".
Transformer les hôpitaux en machines à produire du point ISA et s'en servir comme système d'évaluation, c'est peut-être pratique pour la comptabilité publique, mais nous ne sommes pas sûrs que ce soit un plus pour le malade.
4ème remarque : en se basant sur la production de ces fameux points ISA, une comparaison a été faite entre les 4 bassins de vie.
Toutes disciplines confondues, il est démontré :
- que la métropole lilloise est largement dotée et est autosuffisante (ça on le savait).
- Que le bassin de vie du Hainaut, vient après
- Et que, malheureusement, les bassins de vie du Littoral et de l'Artois arrivent loin derrière (Littoral + Artois, ça fait le Pas-de-Calais).
Ceci confirme, ce que nous avons déjà dénoncé : une inégalité infrarégionale entre les deux départements.
5ème remarque : aucune mention n'est faite sur la restructuration et sur le financement des établissements de l'AHNAC (Association Hospitalière Nord Artois Clinique).
6ème remarque : dans ce dossier, Monsieur le Préfet, des propositions sont faites en psychiatrie, en cardiologie, dans le domaine des urgences. J'oserais dire : "c'est presque normal". Dans certains domaines, nous étions anormalement en retard. C'en était presque inavouable et on ne peut nier qu'on observe, dans ce SROS, quelques preuves de bonne volonté, en particulier en psychiatrie.
Mais à aucun moment, Monsieur le Préfet, on ne voit, dans ces documents, une quelconque référence à nos revendications, nous habitants du Pas-de-Calais.
Ces revendications qui sont, je vous le rappelle
- légitimes, parce qu'on vit moins vieux chez nous
- urgentes, parce qu'on souffre plus chez nous
- incontournables, parce qu'on meurt plus chez nous.
Monsieur le Préfet, les technocrates de la santé, à tout niveau, parlent d'objectifs, de schémas, de prévisions. Ils manient les chiffres et les bilans.
Nous, élus, nous parlons d'hommes, de souffrance et nous manions les symboles.
Et, c'est pour cela que lorsque l'état veut réformer le fonctionnement sanitaire, le dialogue entre les décideurs et les élus ou le dialogue entre les décideurs et les médecins est difficile, voire impossible. C'est normal, on ne parle pas de la même chose.
Notre symbole à nous, c'est le CHR parce que nous le voulons pour notre population, parce que nous le méritons pour notre population.
Eventuellement, une forte déconcentration ou décentralisation du CHRU de Lille pourrait améliorer le sort sanitaire de nos concitoyens… et ce serait un minimum.
Nulle part, dans ces documents, n'est fait référence à notre demande. Et même si, "l'autonomie des bassins de vie doit être recherchée", le déséquilibre entre les deux départements et l'omnipotence du CHRU de Lille sont toujours mis en évidence.
Dans ce dossier, on parle beaucoup de réorganisation "Monsieur le Préfet, nous ne voulons pas être soignés de façon réorganisée. Nous voulons être soignés mieux et surtout plus".
Il y a 2 mois, j'avais parlé d'obscurantisme sanitaire, d'indifférence administrative ou de non assistance à personne en danger.
Honnêtement, nous ne voyons pas dans ce dossier d'éléments concrets nous permettant de retrouver l'espoir.
Les propositions de ce document relèvent bien d'une philosophie générale que l'on pourrait qualifier de : "minimalo médicale et maximalo financière".
Et cette façon de faire est peut-être valable pour des régions sur-dotées en hommes, sur-dotées en matériel, sur-dotées en financement… mais ce n'est pas valable pour le Pas-de-Calais.
Monsieur le Préfet, le Pas-de-Calais est comme un homme blessé et il a réalisé qu'il était blessé. Alors, il souffre. Et pour le soigner, le SROS propose une mauvaise méthode : un peu de morphine pour nous endormir et des emplâtres pour faire croire qu'on intervient : mes confrères ne me contrediront pas "attention à la gangrène !" et la gangrène, pour notre département, c'est :
- voir des médecins compétents qui n'ont pas les moyens de faire de la bonne médecine,
- voir des médecins démotivés et du personnel désabusé
- assister à une fuite du corps médical qui va chercher ailleurs ce qu'il ne trouve pas sur place
- assister à une perte de confiance des malades vis-à-vis de leur environnement sanitaire.
Cette gangrène là, Monsieur le Préfet, nous la voyons déjà progresser.
Alors, il est plus que temps, Monsieur le Préfet, que l'ensemble des intervenants (corps médical, élus, techniciens et décideurs) parle enfin de la même chose : l'homme et sa souffrance.
Et lorsque nous discuterons de la même chose, avec les mêmes critères et avec les mêmes objectifs, tout le monde se rendra compte que nos revendications ne sont pas irréalistes, que nos demandes ne sont pas farfelues, que notre raisonnement n'est pas utopiste… et même, Monsieur le Préfet, tout le monde sait que dans le domaine sanitaire, comme dans d'autres domaines, "le progrès n'est que l'accomplissement des utopies".
Hervé Poher