Arras, Assemblée plénière.
Monsieur le Président, chers collègues.
Monsieur le directeur de l’ARS. Pour être franc avec vous, je dois vous avouer qu’il règne dans cette enceinte, pour certains d’entre nous, comme une atmosphère de nostalgie, atmosphère que je qualifierais « d’esprit des anciens combattants ».
· Parce que c’est vrai qu’il y a bien longtemps que nous n’avons pas vraiment parlé de santé au sein de ce Conseil Général.
· Parce que c’est vrai qu’il y a bien longtemps qu’on n’a pas évoqué l’état sanitaire de nos populations.
· Parce que c’est vrai qu’il y a bien longtemps que nous n’avons pas crié à l’injustice et au respect légitime de nos concitoyens.
Il y a longtemps, mais je dirais que c’est presque logique. Franchement, nous étions arrivés à nous demander si une petite collectivité territoriale, comme la notre, avait encore le droit d’évoquer ces problèmes…
C’est vrai que le sanitaire ne fait pas partie de nos compétences et aujourd’hui encore moins qu’hier.
C’est vrai que l’Etat nous a signifié, à plusieurs reprises et parfois vertement, pour ne pas dire maladroitement, que c’était son domaine et que c’est lui qui définissait les règles du jeu… Pour être honnête, c’est lui qui fixe les règles ; c’est lui qui arbitre et c’est lui qui tient le chronomètre !!! Dans ces conditions là, il ne faut pas s’étonner qu’on n’ait plus envie de jouer… Nous en particulier !
Pour certains d’entre nous, ceux que j’appelle les anciens combattants, la situation n’en est que plus dure parce que, vous le savez, la frustration est un sentiment bien pénible. Car, franchement, nous étions un peu frustrés !
Oui, frustrés… C’est normal… Imaginez ! Maintenant, quand nous voulons interpeler l’état sur ses prérogatives et sur ses manques, nous devons déposer nos questions plusieurs jours à l’avance en évitant, si possible, les sujets qui fâchent… Et la santé a souvent été, dans cette enceinte, un sujet qui fâche. Où est le temps où nous osions dire au représentant de l’état qu’il faisait preuve, dans le cadre de la santé, d’indifférence administrative, d’observatisme sanitaire et où on menaçait le Préfet de le dénoncer pour non-assistance à personne en danger.
Oui, frustrés… C’est normal, réalisez ! Maintenant, quand nous voulons parler santé, souffrance, maladie, on nous répond presque systématiquement : bilan, budget, marge de manœuvre et déficit.
Je sais que vous pourriez me répondre et vous allez me répondre que « Le principal, c’est de faire fonctionner, en équilibre, notre système de soins et que, de toutes façons, les grands médecins n’ont jamais été de bons gestionnaires »… Ce qui est sans doute vrai mais ce à quoi je vous répondrais facilement : «Qu’à contrario, les grands gestionnaires n’ont jamais été de bons médecins… Sinon, ça se saurait et notre société ne serait pas aussi malade ! »
Oui, frustrés… C’est normal ! Maintenant, quand nous sentons le besoin de parler de ces problèmes majeurs pour le Nord-Pas-de-Calais, on a tendance à nous rétorquer qu’il y a désormais des instances habilitées, instances qui pratiquent « la démocratie sanitaire » et où nous sommes plus ou moins représentés.
Ayant été le premier président de la conférence sanitaire du Littoral, permettez-moi de confirmer que cette démocratie sanitaire ressemble quand même à une « pseudo-démocratie ». Vous pouvez réunir autant de professionnels de la santé, du monde associatif, du monde administratif et autant de politiques que vous voulez, c’était l’ARS, anciennement l’ARH, qui décide. Et les instances démocratiques ou de gouvernance partagée ne sont là que pour faire, permettez-moi de le dire un peu crument, un peu d’habillage. Tout se décide ailleurs… Ce ne sont pas les directeurs d’hôpitaux et les sociaux professionnels qui me diront le contraire.
Tout cela pour vous confirmer, Monsieur le Directeur, qu’avant même d’arriver sur les bureaux du Conseil Général, vos propositions souffraient de quelques handicaps… Et le handicap, vous ne pouvez pas dire le contraire, c’est bien de notre compétence !
Pourtant, je me dois d’être objectif et tout d’abord de vous remercier d’être venu, en personne, présenter le résultat des cogitations de l’ARS et de quelques membres associés. Nous en avions perdu l’habitude.
Ensuite, quelques mots sur le document en lui-même,
- qui n’est, il faut le rappeler, qu’un document d’orientation, puisqu’il sera suivi par 3 schémas
- et qui est, il faut le constater, imprégné à 80% de sanitaire, c'est-à-dire de médical et nous, c’est plus le médico-social…
Aussi en m’obligeant à une démarche d’origine médicale mais qui est devenue un réflexe dans tous les dossiers quels qu’ils soient (Signes, Diagnostic, Traitement), je peux affirmer que, globalement, nous ne pouvons pas être contre les éléments structurels de ce dossier… On ne peut pas être contre car c’est ce que nous disons et dénonçons depuis 15 ans.
Premièrement, les signes. Personne ne peut contester la liste des signes négatifs que vous énumérez : mortalité, morbidité, pathologies…
S’il y a un domaine où nous sommes bons, c’est bien celui là. Nous sommes les plus forts depuis 30 ans… Et quand nous ne sommes pas 1ers, nous sommes deuxièmes ! Et c’est bien parce que nous connaissions ces chiffres qu’entre 1997 et 2000, nous avons dénoncé l’inertie, voire l’apathie de l’état.
Et pour la petite histoire, Monsieur le Directeur, je vous signale qu’à la fin des années 90, le Conseil Général du Pas-de-Calais a été peut-être très véhément… Mais, à l’époque, il se sentait bien seul dans sa véhémence. Et c’est d’ailleurs dans cette démarche là que nous avons réclamé un traitement inégalitaire et une discrimination positive. Ce qui nous fut accordé, pour quelques années et qui nous a bien aidés pour amorcer un rattrapage en équipements hospitaliers.
Deuxièmement, le diagnostic. Personne ne peut nier la réalité de votre document et le poids des déterminants de santé: Impact du chômage, de l’environnement, des comportements, le poids des addictions, de la culture sociale de nos concitoyens. Le diagnostic étiologique, c'est-à-dire l’énoncé des causes est une évidence et la cartographie des pathologies est on ne peut plus parlante.
Troisièmement, le traitement. Personne ne peut imaginer une autre ordonnance : 1) Mettre à niveau notre curatif 2) Poussez sur le préventif… Je ne connais pas de 3ème voie… Ou elle relève trop de l’utopie et je préfère la garder pour moi.
Et dans votre document, on voit surtout les mots : prévenir, anticiper, lutter, dépister, informer, éduquer, organiser…. Je vous rappelle que c’est à partir de 2000 que nous avons décidé de nous impliquer dans la prévention, de nous investir, encore plus, dans l’éducation sanitaire et d’inventer une implication territoriale des collectivités… Même si ce n’était pas totalement dans nos compétences… Et vous le savez, tout le monde reconnait que dans cette démarche là, nous avons été inventifs et volontaristes.
Bref, on nous aurait demandé de résumer les états d’âme du département du Pas-de-Calais, depuis 15 ans, nous aurions peut-être produit le même document que vous… Mais en étant légèrement plus inquisiteurs !
A une nuance près, monsieur le Directeur… Et elle est de taille. Mais elle est très logique.
Nous, monsieur le Directeur, nous sommes des politiques. C'est-à-dire que nous avons le devoir de manier d’abord les idées et les symboles. Vous monsieur Lenoir, de par vos fonctions, on vous demande de manier, en priorité, voire en exclusivité, les chiffres, les bilans et les taux directeurs... C’est normal. Mais vous le savez bien, depuis que le monde est monde, la dictature du mauvais chiffre a toujours été néfaste à l’éclosion et à l’épanouissement des belles idées.
Et votre document, comme la discussion qui a eu lieu à l’ARS, il y a quelques semaines, confirme cette omniprésence du chiffre. On évoque la maladie, la souffrance et la mort ; on vous répond consommation, PIB, déficit (textuellement dans votre document)… Avouez que c’est économiquement logique mais que c’est philosophiquement et humainement choquant.
Quelques points très rapides pour terminer.
Premier point. Vous évoquez le problème de la démographie médicale, le manque criant de spécialistes et la mauvaise répartition territoriale des médicaux et des paramédicaux.
Vous l’évoquez sans donner, évidemment, de solution régionale… Nous savons, vous, moi et bien d’autres, que la solution sera nationale.
Mais vous ne pourrez pas faire autrement que d’intégrer cette problématique dans l’élaboration de votre schéma pour l’organisation des soins. Avec en corolaire, la création des maisons de santé, dans certains territoires qui deviennent des déserts médicaux. Vous ne pourrez pas faire autrement que d’avancer des idées, voire faire des propositions concrètes, car je vous rappelle, monsieur le Directeur, que tout cela est de la compétence pleine et entière de l’Etat et de l’ARS. Et à une période où la réforme territoriale a tendance à nous recentrer sur nos compétences obligatoires, comprenez que nous fassions de même avec l’Etat, surtout dans un domaine aussi sensible que la santé.
Deuxième point. Même s’il est fortement imprégné de sanitaire, votre document nous interpelle et nous intéresse au plus haut point. En effet, vous y parlez promotion de la santé, d’éducation à la santé, de prévention, de dépistage… Et toutes ces initiatives recoupent automatiquement nos domaines de compétence.
· Parce que la grossesse, la périnatalité et la petite enfance, sont en partie dans nos compétences. Et c’est, par excellence, le domaine de la prévention.
· Parce que le handicap congénital ou acquis, c’est dans nos compétences. Et c’est par obligation, le domaine de la prévention, de l’éducation, du dépistage et d’environnement adapté.
· Parce que la personne âgée est de notre compétence et que l’augmentation de l’espérance de vie fait que la personne âgée est maintenant, bien souvent, un condensé de poly pathologies ; d’où l’intérêt de l’information, du dépistage de l’anticipation et de la prévention.
· Parce que, enfin, nous avons fait, de la jeunesse, une de nos priorités et que l’éducation à la santé, la lutte contre les addictions et l’accès aux soins sont des passages obligatoires pour une politique de la jeunesse.
Dernier point que je me dois d’évoquer. Les derniers chiffres de l’ORS, parus dans la presse récemment, montrent que la Région Nord-Pas-de-Calais reste encore la championne de la mauvaise santé. Pourtant, étant habitué à ces états des lieux réguliers, j’y vois quelques lueurs d’espoir et je ressens quelques frémissements d’optimisme. Ce qui veut dire implicitement, monsieur le Directeur, qu’il ne faut pas baisser la garde et qu’il ne faut surtout pas relâcher l’effort.
Nous ne sommes pas mieux ! Nous sommes un peu moins pires !! Et comme je vous l’ai déjà dit : « A force d’être moins pires, on sera, un jour, peut-être meilleurs ! »
Voilà, monsieur le Directeur, succinctement quelques avis sur votre document d’orientation. Avis qu’on peut résumer ainsi :
- Il faudra, encore et toujours, conforter nos acquis
- Il faudra s’attaquer, encore et toujours, à certains déterminants de santé qui sont la cause de tous nos malheurs.
- Il faudra lier et recouper vos programmes d’action avec certaines compétences détenues par d’autres et, en particulier, par nous.
- Et pour faire tout cela, il faudra, encore et toujours, réclamer un traitement inégalitaire de notre territoire. Le malheur sanitaire n’est pas programmé génétiquement, monsieur le Directeur et, tout à l’heure, sur une de vos diapos, il était noté : « Il n’y a pas de fatalité. ». Alors, il faut réclamer encore et toujours plus de moyens.
Vous avez écrit, dans ce document que « la maitrise de la croissance des dépenses est une nécessité ». Nécessité comptable peut-être, Monsieur le directeur, mais ce n’est pas une obligation morale… Surtout quand on veut changer l’ordre des choses et modifier non pas le parcours, mais les chemins de vie.
Monsieur le directeur de l’ARS. Vous êtes du coin. Aussi, nous ne doutons pas que vous soyez comme nous : c'est-à-dire porteur d’un véritable sentiment d’injustice, donc de rébellion, donc de revendication au profit d’une population qui le mérite.
Et sachez que quand un organisme malade est, en plus, touché par le syndrome de la rigueur budgétaire, on peut le guérir en donnant des doses massives de justice, d’équité, de solidarité et de bonheur.
C’est un traitement qui peut coûter cher mais la guérison et le bien-être, ca n’a pas de prix.
Je vous remercie de votre attention.
Hervé Poher