« Louise était une louve qui s’est trop dévouée
Et l’histoire lui a pris les enfants qu’elle aimait. »
Pièce n°3 pour confinés : « De l’utilité d’avoir de l’eczéma. »
Italie, 773 avant Jésus Christ.
LE NARRATEUR :
En sept cent soixante treize, juste avant Jésus Christ
Dans une région perdue, au centre de l’Italie,
Une louve dépitée vint à la LPA :
Ligua Protectionem Lupus Animalia.
LE HIBOU :
Greffier, faites donc entrer le dernier des plaignants.
Pour pouvoir l’écouter, il me reste peu de temps.
La justice a besoin, pour pouvoir s’exprimer
D’un minimum de temps… Or, je dois m’en aller.
LE HERISSON :
La plaignante est une louve qui vient des Sept Collines
LE HIBOU :
Dites-moi, chère madame, quel problème vous taquine ?
Essayez de faire vite car la nuit va tomber
Et pour un noctambule, c’est l’heure d’aller voler.
LOUISE, LA LOUVE :
Vous êtes un vrai hibou, car pour la langue de bois,
Vous êtes bien le champion du mot qui ne va pas !
Taquiner est un verbe qui semble bien trop doux,
Car je suis en furie, prête à mordre partout.
Mon taux d’adrénaline est monté au zénith !
LE HIBOU :
Expliquez, calmement, tout ce qui vous irrite.
Mais faites-le tout de suite car je suis très pressé.
Un juge, même un hibou, ne peut pas traînasser.
Ce n’est pas une colère, c’est une folie furieuse !
Je viens vous dénoncer une injustice odieuse.
J’espère que vous saurez vous montrer juste et bon.
LE HIBOU :
Si j’en crois les pratiques, telle est bien ma fonction.
Mais ne vous perdez pas dans trop d’explications.
Allez tout droit au but ! Je fais bien attention.
LOUISE, LA LOUVE :
Voilà, je vais vous dire les causes de mon courroux.
Je suis une vieille louve, au caractère très doux,
Qui a toujours vécu là-bas dans le Latium.
La meute que je menais, fréquentait peu les hommes.
LE HIBOU :
Ce n’était pas plus mal, car les hommes sont râleurs.
En plus, ils n’ont jamais une bonne notion de l’heure.
LOUISE, LA LOUVE :
Dites-moi, cette manie de toujours minuter….
Dans votre profession, ça pourrait vous gêner ?
LE HIBOU :
Madame, j’ai l’expérience et je sais être juste.
La justice peut se rendre en quatre ou cinq minutes.
Les gens se font toujours des idées erronées
Sur tous les artifices dont nous devons user.
L’instruction d’un dossier n’est pas si compliquée ;
Parfois même, il suffit d’avoir un peu de nez.
LOUISE, LA LOUVE :
Vous voulez me faire croire que les choses sont bâclées !
LE HIBOU :
Je n’ai pas dit cela ! Mais pour vous parler vrai,
La machine de justice peut parfois se gripper.
Les juges trop tatillons perdent, bien souvent, du temps
A chercher des indices qui n’en sont pas vraiment.
C'est ce que le public appelle "Chercher des poux"
Pour l’efficacité, on choisit des hiboux.
Mais si nous en venions à ce qui vous amène.
Vous avez commencé à parler d’un problème ?
LOUISE, LA LOUVE :
Je disais donc, hibou, qu’il y a des années,
J’étais une simple louve occupée à garder
Mes petits louveteaux ; j’étais une mère comblée.
Mais un jour de printemps, au détour d’un chemin,
Nous tombâmes sur un groupe de cinq ou six humains.
Une femelle pleurait et un mâle la grondait.
Par terre, étaient assis deux superbes bébés.
LE HIBOU :
Mais que venaient donc faire ces humains, sur vos terres ?
LOUISE, LA LOUVE :
En les observant bien, la chose devint très claire.
Ils venaient, en famille, pour raison de santé.
LE HIBOU : Pour raison de santé ?
LOUISE, LA LOUVE :
………………………Oui, car pour les bébés,
Il leur fallait trouver un traitement spécial,
Traitement, sans nul doute, des plus original.
Ces bébés, qui étaient de véritables jumeaux,
Présentaient, tous les deux, une maladie de peau.
Leurs corps étaient couverts d’un terrible eczéma…
Même à mon pire ennemi, je ne le souhaite pas.
Leur peau était couverte de croûtes et de macules.
Et comme ils se grattaient, ils avaient des pustules.
Et la peau arrachée saignait à qui mieux mieux.
Un œdème des paupières leur clôturait les yeux.
Bref, c’était une horreur et ces pauvres enfants
Pleuraient en permanence, toujours en se grattant.
LE HIBOU :
L’eczéma est connu comme une sale maladie
Qui est invalidante et empoisonne la vie.
Mais je ne comprends pas ce qu’ils venaient chercher
Comme remède spécifique, au fin fond d’une forêt.
LOUISE, LA LOUVE :
Le remède, c’était moi !
LE HIBOU :
………………………… Vous n’êtes qu’un animal !
LOUISE, LA LOUVE :
Justement, c’était une prescription médicale.
La faculté a dit qu’il fallait les baigner
Et les nourrir matin et soir, avec du lait.
Et le lait de la louve, c’est connu, est meilleur.
LE HIBOU :
Pourriez-vous écourter car je vois tourner l’heure.
LOUISE, LA LOUVE :
Les parents sont partis, en laissant les bébés….
Et moi, en voyant ça, je fus scandalisée.
Comment une maman, qui soit digne de ce nom,
Peut-elle abandonner ces deux petits garçons ?
LE HIBOU :
Les hommes sont inhumains, pire que des animaux !
Oser abandonner des enfants…. Quels salauds !
LOUISE, LA LOUVE :
N’écoutant que mon cœur, je les ai emmenés
Et je les ai gardés, les nourrissant de lait
Comme pour mes petits loups. Ils ont beaucoup aimé !
Et cela a duré pendant dix-huit années.
LE HIBOU :
Et pour leur eczéma ?
LOUISE, LA LOUVE :
……………………..Il disparut bien vite.
Mon lait s’est avéré une vraie thérapeutique.
Au bout de quelques mois, la peau redevint rose,
LE HIBOU :
Mais pour votre colère, il y a bien une cause ?
LOUISE, LA LOUVE :
Justement, j’y arrive ! Je les ai élevés
Comme si c’était des loups….Je les ai adoptés.
Ils ont grandi bien vite, c’était de beaux garçons.
Et le chef de la meute leur donnait des leçons.
Ils chassaient comme des loups, courraient plus vite que nous
Leur repas préféré était du vieil hibou,
Plumé et macéré dans de l’huile d’olivier.
LE HIBOU :
Madame, je vous en prie ! Je ne peux cautionner
De tels agissements. Le hibou n’est pas fait
Pour servir d’aliment !
LOUISE, LA LOUVE :
………………………En tous cas, ils aimaient !
LE HIBOU :
Madame, je suis outré. C’est bien la première fois,
Qu’on me dit que l’on mange les gardiens de la loi.
LOUISE, LA LOUVE :
Justement, ils ont dit, en ayant fondé Rome,
Que la justice avait, toujours, nourri son homme.
LE HIBOU :
C’était une boutade ! Du moins, je veux le croire.
Bouffer de la justice, c’est trop blasphématoire.
Mais terminez l’histoire.
LOUISE, LA LOUVE :
………………………….Il y a quelques mois,
Des hommes sont arrivés et sont venus chez moi.
Ils ont pris les enfants que j’avais élevés.
D’après ce qui est dit, dans le livre sacré
Ces deux gamins devaient être les fondateurs
D’une ville rayonnante et qui serait le cœur
D’un grand empire romain.
LE HIBOU :
……………………………..Vous n’en savez pas plus ?
LOUISE, LA LOUVE :
Ils les ont appelés : Romulus et Remus.
LE HIBOU :
Cela ne me dit pas pourquoi vous fulminez ?
LOUISE, LA LOUVE :
Mais ces deux grands garçons que j’avais adoptés
M’ont été retirés……. On me les a volés !
Pour moi, c’était tout comme mes petits louveteaux.
Ils étaient si gentils, si féroces et si beaux.
J’étais une vraie nourrice, aimante et si fidèle,
Que les loups m’appelaient : l’assistante maternelle.
Alors, je suis outrée de voir le peu de cas
Que ces voleurs d’enfants, ont osé faire de moi.
Je suis une vraie mère, qui a fait son devoir
Et ce rapt d’enfants me pousse au désespoir.
LE HIBOU :
Madame, il se fait tard. Je vais donc résumer
L’objet de la demande. Vous avez élevé
Deux enfants très humains, mais que vous adoriez.
Il y a quelques temps, les deux furent kidnappés.
Vous voulez donc saisir le hibou que je suis,
Pour que justice soit faite. Ai-je bien tout suivi ?
LOUISE, LA LOUVE :
C’est exact et il faut, au plus vite, me venger.
LE HIBOU :
Mais, Madame, la justice n’est jamais fort pressée !
EPILOGUE DE : DE L’UTILITE D’AVOIR DE L’ECZEMA.
LE NARRATEUR :
La justice a souvent été très critiquée,
Parfois avec raisons, il faut le concéder.
Chacun de nous connaît des cas où les juges n’ont
Pas su bien nous convaincre qu’ils sont des hommes d’action.
Le hibou n’a jamais fait la moindre instruction.
Pour lui, la louve n’avait pas tout à fait raison.
Elever des humains, n’était pas naturel…..
Pourtant la louve était assistante maternelle.
Ce qui est très injuste, et cela j’en conviens,
C’est bien l’indifférence qu’ont montrée les humains.
Ils auraient pu, quand même, être reconnaissants
Avec cet animal qui fut une vraie maman.
La louve a transformé ces deux bambins en hommes
Romulus et Remus furent fondateurs de Rome.
L’histoire est incomplète car elle ne signale pas
Le facteur essentiel que fut cet eczéma.
Alors, n’oubliez pas que les démangeaisons,
Sont des preuves objectives d’une tendance à l’action.
Celui qui est couvert de pustules et de croûtes,
Sera un bâtisseur, il n’y a aucun doute.
Quant à vous, qui voulez que la justice soit claire,
Perdez vos illusions, sans être trop sévère.
La justice se devrait d’avoir de l’humanisme,
Mais elle doit s’adapter souvent au réalisme.
Car en matière de loi, les juges sont obligés
D’être des serviteurs de notre société.
On dit que la justice est parfois imparfaite,
Mais c’est la société qui perd souvent la tête.
Qu’un hommage soit rendu à ces femmes d’exception
Qui sont de vraies mamans, mais par procuration.
Qu’un hommage soit rendu à tous ces hommes de loi
Qui veulent que la justice n’épargne pas les rois.
Et honte à ceux qui croient qu’ils peuvent y échapper,
Car quand on crache en l’air……La gueule va se mouiller !
Et tant pis pour tous ceux qui ne reconnaissent pas
Que les grands de ce monde ont tous de l’eczéma.
Toutes ces histoires écrites pendant le confinement
Sont réservées, bien sûr, à mes petits-enfants.
Même s’ils sont un peu jeunes pour saisir les tenants,
Ils comprendront tout ça quand ils seront plus grands.
Papy Poher